Concurrences dans l’incongru et le grotesque
:: Par Guy Philippon, dimanche 5 novembre 2006 ::
1971 : Michel Rocard est secrétaire national du PSU. Le PSU parisien a mené des actions fortes pour les transports publics et contre la rénovation de Paris qui aboutit à en expulser les classes populaires. Il a rédigé deux livres noirs remarquables. Tout cela avec Lutte Ouvrière. Oui ! Oui ! Rocard et Lutte Ouvrière? Bizzarre! Bizarre en 2006 ! Donc il est assez logique que soient constituées des « listes communes PSU-LO » aux élections municipales du 14 mars 1971. Listes intitulées « Paris aux travailleurs ».
Je suis tête de liste dans le 20ème ; sur les 7 candidats titulaires : 5 PSU et 2 LO (3 ouvriers, 2 employés, 1 artisan, 1 prof).et sur les 7 suppléants : 6 PSU et 1 LO.
Premier épisode comique lié à LO et sa conception bolchevique du rêve révolutionnaire. Pour préparer le grand soir, il faut construire une force clandestine, déterminée, cohérente sur le plan idéologique. Pas de siège officiel, des dirigeants inconnus. Hantise de la police. Donc nos candidats LO du 20ème viendront du 14ème ou du 15ème et ne se connaissent entre eux que sous des pseudonymes. Alors que moi, qui ai déposé la liste à la préfecture, je ne connais que les vrais noms. C’est commode pour le travail en commun ! Et, absurdité paranoïaque, la police connaît bien évidemment tous les candidats déposés.
Deuxième épisode grotesque gravé dans ma mémoire. Le PCF considère le PSU de Rocard comme une force irresponsable, gauchiste et sectaire. C’est le PCF qui dirige la liste d’union PC, PS, Radicaux de gauche. Or, à sa stupéfaction notre liste dépasse les 9% et nos voix sont indispensables pour le succès de la liste de gauche au 2ème tour. Ils n’osent pas demander directement une réunion avec les extrémistes que nous sommes. Ils passent par l’intermédiaire de militants d’Objectif socialiste (groupuscule du gaulliste Buron qui a fait partie avec le PSU et des écolos du front autogestionnaire. Buron rejoindra bientôt le PS). Nous acceptons et venons Rue Pelleport au siège du PCF avec bien entendu nos « camarades » de LO pour vivre des moments surréalistes.
Les chefs PC déclarent « Nous, ici, nous ne connaissons que le PSU ». Les camarades LO logiquement déclarent à chaque intervention : « nous, à LO… ». Les apparatchiks PC se tournent alors vers moi pour répondre et doivent calmer leurs jeunes militants dont l’excitation peut compromettre la suite. Il faut éviter que nous rédigions un tract de 2ème tour sur droite et gauche « blanc bonnet et bonnet blanc » comme le PC avait dit de Pompidou et Poher au 2ème tour d’une certaine présidentielle et comme le fera souvent LO par la suite. « Vous avez mordu sur notre électorat populaire de Belleville et des Amandiers et l’avez abusé avec votre titre « Paris aux travailleurs». Les travailleurs étaient la chasse gardée, le « monopole » du PC ; comme étaient la « propriété du PCF » pour l’affichage une série de murs de l’arrondissement. Le « travailleurs-travailleuses » d’Arlette était fortement présent dans nos tracts car le PSU lui aussi parlait volontiers aux « travailleurs » dans ses affiches. Mai 1968 était encore très présent « Vous avez aussi mordu sur l’électorat de droite les long des Boulevards des Maréchaux » Je cherche à répondre à cette vacherie. « Mais non, ne te trompes pas, c’est très positif car quand des électeurs commencent à bouger, ils peuvent continuer ». Pour gagner, il faut ménager les gauchistes mais aussi la droite populiste. Pendant ce temps là, le vieux notable socialiste, présent pour la forme ne comprenant rien au film, il était ailleurs, ahuri, assoupi. Charzat n’avait as encore été parachuté de son 16éme arrondissement ! Nous ferons un tract sage d’appel à battre la droite mais elle ne sera pas battue.