La révolution de mai 68 dans un grand lycée parisien
:: Par Guy Philippon, mardi 14 novembre 2006 ::
Je débarque en septembre 1958 au Lycée Chaptal,près de la gare Saint Lazare, un des vieux établissements prestigieux de Paris, donc 10 ans avant mai 68 Je venais du lycée mixte de Saint Omer. Et je vais découvrir que Paris est en grand retard à bien des égards...
Chaptal, lui, n’était pas un lycée mixte, comme d'ailleurs tous les lycées parisiens au niveau des élèves et les profs femmes y étaient nettement minoritaires. Mais écoutez bien ; ces profs femmes avaient interdiction de venir travailler en pantalon, jupe obligatoire ! et pour les hommes la cravate était de rigueur sans qu’il y ait obligation. Plus grave : les enseignants dans leur grande majorité ne saluaient pas les agents de service préposés aux repas ou à l’entretien et nous découvrirons en 68 qu’ils nous appelaient les « seigneurs ». Pourtant la gauche était nettement majoritaire à cette époque dans le corps enseignant
Grave encore : dans le réfectoire des profs, de fait, il y avait des tables où se retrouvaient les personnels de l’administration, les surveillants d’internat ou d’externat, les profs du collège, d’autres tables avec les profs du lycée, une autre avec « l’élite », les profs du Grand Lycée, c’est à dire des classes préparatoires aux grandes écoles ; et aussi une table où dominaient les politiques. Il faut dire que la plupart des militants politiques PC ou PSU et les syndicalistes connaissaient un peu tout le monde et pratiquaient la « mixité sociale ». Dans s certains lycées parisiens, il y avait officiellement la table des agrégés et celle des certifiés
Ce récit m’a été suggéré par un ami arrivé comme moi en 58 parti en retraite comme moi bien plus tard ; membre comme moi du PSU et maintenant des Verts dont je vous joins ci dessous la lettre qui montre combien mai 68 a bouleversé la vie dans les établissements sans que tout soit devenu comme rêvé lors de ce joli mois de mai La grève générale avait stoppé les transports en commun, la pénurie d’essence avait réduit quasi totalement la circulation automobile. Et venus à pied de très loin souvent, élèves, agents, surveillants et profs discutaient des journées entières dans les classes, refaisaient le monde de l’école, se parlaient enfin !
« Bien sûr que je m'inscris sur ta liste « histoire », et plutôt deux fois qu'une. Ça réveillera des souvenirs. Et combien tu as raison de dire ce qu'était 1968, un des moments les plus heureux de ma vie. Bien sûr, nous nous sommes beaucoup trompés, nous avons cru tout bien plus facile qu'en réalité, mais il me reste le souvenir inoubliable de la rupture des barrières, entre profs et élèves, entre "intellos" bourgeois et syndicalistes ouvriers, entre certains collègues aussi, ce moment si rare de contacts entre des mondes clos chacun sur son train-train. Amitiés Pierre
Je rajouterai aussi rupture très étonnante des barrières politiques car se retrouvèrent dans le mouvement de mai 68 quelques enseignants gaullistes ou « apolitiques » mais profondément motivés par le dialogue avec les élèves Mais se placeront en dehors du mouvement voire souvent en hostilité les PC « staliniens » pour schématiser et plusieurs collègues issus de milieux modestes pour qui l’accession au professorat des classes préparatoires aux Grandes Ecoles avait été une ascension sociale extraordinaire et d’ailleurs méritée. Le mouvement de mai 68 brisait quelque part le sens profond de leur vie