Pendant six semaines en décembre 1972 et janvier 1973, Honeywell-Bull est en lutte, pour obtenir un treizième mois de salaire. La CFDT et la CGT mènent la grève avec un comité de grève dont les membres sont élus par les travailleurs des différents services. La CGT veut que cette augmentation soit hiérarchisée alors que CFDT et comité de grève la veulent uniforme (sujet de divergence classique à l’époque). La grève est minoritaire sur le site de Gambetta et la lutte aboutira grâce à la grève massive des agents de maintenance. La Direction proposera alors le 13e mois, hiérarchisé, au vote de tout le personnel, grévistes et non-grévistes. La CGT et la CGC appelleront à la reprise du travail; la CFDT et le comité de grève proposeront de poursuivre la lutte pour un 13e mois égal pour tous. La reprise du travail sera votée mais la position de la CFDT lui permettra un peu plus tard de devenir le premier syndicat de l’entreprise. « Si nous avons gagné un long conflit contre le démantèlement de l’établissement entre 1978 et 1981, c'est grâce à l'élection présidentielle de mai 81 et à la nationalisation de "CII-Honeywell Bull" (qui devient Bull) par Mitterrand. Mais le démantèlement reprendra dès 1983 par "grignotement" : il commence par le transfert coûteux du siège social (250 salariés) de Gambetta à l’avenue de Malakoff, dans les beaux quartiers, le nouveau Directeur Général, Francis Lorentz, nommé fin 1982 par le gouvernement, ne supportant pas d’être dans le même site qu'un grand nombre de salariés avec des organisations syndicales influentes qui n'hésitent pas à appeler les salariés à "retenir" la Direction pour exprimer un mécontentement ou une revendication. » m’a écrit un vieil ami, animateur de la section CFDT à cette époque

Pendant cette lutte, la section PSU réalise en sérigraphie une affiche de soutien. Nous voilà donc partis, Jean-Jacques J. et moi avec notre seau de colle, nos balais et la bombonne de lessive dans laquelle sont enroulées plusieurs séries d’affiches sur les luttes ouvrières et le contrôle ouvrier. Nous n’avons presque plus de colle et nous entreprenons de terminer sur le grand panneau publicitaire situé juste en face de l’entrée réservée aux dirigeants de la grande entreprise. Soudain surgissent six ou sept grands gaillards qui nous intiment l’ordre de décoller nos affiches encore humides. Nous n’avons pas le rapport de forces suffisant pour refuser l’ordre de ces sbires qui sont sans doute payés par l’entreprise. Nous rentrons donc chez moi rue Haxo, tout près, après un petit détour pour semer nos adversaires. Au début de la rue Haxo, le morceau de mur, lieu de nos collages habituels, me tente pour liquider le reste de colle et nous voilà à l’œuvre lorsque réapparaissent les mêmes gaillards, avec la même injonction. Furieux je leur déclare : « Vous voyez, nous n’avons plus de colle, mais nous allons en refaire et nous allons continuer ! » - « Ah bon ! Police ! Venez avec nous ! » Et ils exhibent leur carte.

Dans la grande pièce du commissariat de la place Gambetta, un inspecteur étale sur la table nos différentes affiches pour les noter sur son rapport. Un policier en uniforme, un peu éméché, manifestement, s’approche et en lit à haute voix les slogans, en particulier celui qui explique que les augmentations de salaires sont rapidement annihilées par l’inflation et que la bataille importante se situe ailleurs, dans le contrôle ouvrier, notre thématique dominante de l’époque. Il se retourne et, à la cantonade, proclame : « N’est-ce pas collègues, ils ont bien raison ! » L’inspecteur baisse le nez sur son rapport, comme s’il n’avait pas entendu !




Un peu plus tard, j’entends des policiers dire dans un coin : « Ils sont comme nous ; ils bossent demain. » Des syndicalistes sans doute ! Nous serons assez vite libérés. Mais il est curieux de voir aussi clairement la police nationale au service du patronat, pour stopper un affichage inopportun !