Je suis né dans un petit bourg de la Creuse en novembre 1927. Ce département est le pays des « Maçons de la Creuse », ces paysans qui, au 19e siècle, montaient à Paris pour bâtir le Paris haussmannien.

Mes ancêtres sont composés de générations de paysans et de paysannes. Mais mon grand-père paternel, particulièrement dynamique, avait créé, à côté de sa ferme, un commerce de vins en gros pour livrer aux paysans des tonneaux de vin de tous calibres. Mon père lui avait succédé. Ce grand-père a été, pendant plus de 30 années, maire de la commune, comme l’avait déjà été son propre père. Il était radical-socialiste et ses quatre fils ont suivi l’exemple. A l’exception de mes parents, toute la famille, de la naissance à la mort, s’est soigneusement tenue à l’écart de la religion catholique. Je suis le seul à avoir été enfant de chœur et à avoir fait ma communion solennelle. La Creuse est de fort loin le département le plus déchristianisé.

J’ai vécu la période de la seconde guerre mondiale, comme interne au lycée de Guéret. J’ai connu quelques épisodes de la lutte des maquisards autour de mon domicile situé sur la nationale 145, l’exécution par les Allemands d’élèves plus âgés, le massacre d’Oradour sur Glane tout proche !

A la fin de la guerre, j’ai été fasciné par les sermons fort radicaux prononcés pendant le carême, dans la cathédrale de Paris, par le Révérend Père Riquet, résistant dès 1940 et déporté.

Je dévorais au fur et à mesure de leur parution les tomes des « Hommes de bonne volonté » de Jules Romains. Il y en a 27 et la politique est omniprésente dans cette fresque couvrant 25 années.

Pendant les trois années scolaires qui vont de 1947 à 1950, au lycée Saint Louis puis au lycée Henri IV, à Paris, le bachotage scientifique intense pour préparer l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm ne m’a guère laissé le temps de penser à la vie politique. Je suis collé au concours de l’ENS et me retrouve étudiant à la Sorbonne qui était alors la seule université de la région parisienne.

La vie étudiante, après trois années de classe préparatoire aux grandes écoles et dix années d’internat, c’est la LIBERTE. Cette liberté est dominée moins par le cinéma que par la vie politique. C’est bien plus l’enthousiasme pour la création des prêtres ouvriers que la foi qui me conduit aux messes de la Cité Universitaire. D’ailleurs, dès que le pape Pie XII en mars 1954 condamne cette expérience, et demande aux prêtres de se retirer des usines, j’abandonne tout lien avec l’église.

La liberté me permet de me passionner pour la vie politique et de dévorer chaque semaine plusieurs journaux très engagés dans la lutte contre la guerre d’Indochine menée par la France, et plus généralement pour les décolonisations. C’est d’abord un journal fondé en 1950 par Gilles Martinet, Roger Stéphane, Claude Bourdet baptisé d’abord « L’Observateur politique, économique et littéraire », puis en 1953 « L’Observateur aujourd’hui », et en 1954 « France Observateur ». C’est l’ancêtre du « Nouvel Observateur » actuel, fondé en 1964. Je lis aussi l’Express fondé en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, pour soutenir Mendés France ; y écrivent Camus, Sartre, Malraux ; pendant la guerre d’Algérie, l’Express publiera chaque semaine le brillant Bloc-notes de François Mauriac dénonçant les horreurs de la guerre. Le Témoignage chrétien de Georges Montaron est alors l’un des plus radicaux et est souvent saisi.

Reçu au CAPES, je suis nommé professeur de mathématiques dans un lycée de Rouen, où je continue à préparer l’agrégation. Le succès me vaut d’être nommé en octobre1956 dans les classes de terminales du lycée mixte de Saint-Omer

La défaite de l’armée française à Dien Bien Phu le 7 mai 1954 amène la nomination de Pierre Mendés France (PMF) à la tête du gouvernement. Les 7 mois et demi du gouvernement PMF me fascinent : difficiles négociations de paix avec le Viet-Minh indochinois menées rondement et expliquées régulièrement aux citoyens français, causeries hebdomadaires à la radio, etc. Je mets donc mes espoirs dans le Front Républicain (alliance des socialistes de la SFIO, de radicaux socialistes autour de PMF et de gaullistes comme Jacques Chaban Delmas). Comme beaucoup d’autres, je vote SFIO, pour renforcer la composante la plus à gauche du Front Républicain, tout en pensant que PMF sera le président du Conseil. Mais le bon score des socialistes permet au président René Coty de nommer, sans faire scandale, comme Président du conseil des ministres, Guy Mollet plutôt que PMF et c’est le début des hontes.

En 1956, grâce à un collègue du lycée, j’adhère à la Nouvelle Gauche de Bourdet et Martinet. Vous verrez dans le texte « Poupées russes », le récit des fusions qui aboutissent à la naissance du PSU en 1960. La fusion de la Nouvelle Gauche avec le MLP (Mouvement de Libération du Peuple) se prépare et je découvre à Saint-Omer une vingtaine de militants ouvriers de ce mouvement chrétien. Leur méthode de formation collective et leur engagement citoyen font l'objet d’un autre texte. En faisant du porte à porte, je découvren avec stupéfaction, les taudis infâmes où vit la classe ouvrière d’une petite ville bourgeoise, la cité de « Ces dames au chapeau vert » !