• 1947 : Le Creusois monte à Paris, en classe de mathématiques supérieures, au lycée Saint Louis. Catastrophe ! Lycée napoléonien ; les réveils des internes, les fins de cours se font au son du tambour. Courir dans un couloir vaut une suppression du droit à la sortie du dimanche chez le correspondant ! Discipline de fer, ennui des cours, faim ! Guy compte les jours. Guéret devient un paradis ! Classé troisième en fin d’année, on lui refuse le passage en mathématiques spéciales car, réformé, il ne peut présenter à Polytechnique !!
  • Le lycée Henri IV, lui, l’accepte en septembre1948 ; magnifique ancien couvent situé derrière le gros sein du Panthéon. Guy découvre avec ses camarades la rue Mouffetard, le jeu d’échecs et le poker, puis, avec le Z, les vélos de course et les courses de chevaux. Joyeuses détentes, sympathiques entorses à la tradition ; ces classes s’appellent en effet depuis 1841 des taupes car les étudiants y travaillent tellement que, comme l’animal, ils ne sortent jamais de leur trou, en principe !
  • Z ?? Dans la tradition de ces classes, c’est le chef de classe (la dernière lettre devient la première, la dominante !) En fin d’année scolaire ce Z vend son vélo de course à Guy. Le Creusois paie avec son argent de poche et le prix du train du retour, sans l’autorisation des parents. Alors, 360 km sur le vélo, en 2 jours, sans entraînement ! Un kilog de sucre suspendu sous la selle; qui finit par frotter sue le boyau arrière. Il faut le jeter ! Terribles pavés ! Horribles lignes droites de la Beauce, avec ses voitures-éclair ! Nuit sur un banc de la gare de Vierzon ! A l’arrivée postérieur plus « fatigué » que les jambes, pendant 8 jours (selle fort dure, la coupable)
  • Guy montre son calot de l’époque ; calot, analogue à ceux de l’armée : avec un X, les lettres BAZ H IV, 5 étoiles comme 5/2. une petite feuille de vigne, un petit parapluie, une abeille. Il était en effet PDM, préfet des mœurs. Son voisin de lit dans le grand dortoir des internes, Guy Béart, était alors SO, satire officiel. reçu à l’école des Ponts et Chaussés il deviendra chanteur- compositeur. Ses chansons traduisent souvent le côté joyeux, l’humour de ces traditions taupines.
  • Guy raconte un bizutage amusant qu’il a vécu à Henri IV : - on bande les yeux du bizuth, …- il monte sur une grande planche à dessin …- quatre anciens se placent aux quatre coins de la planche …– Han ! Han ! Han ! ..- Ils donnent l’impression que la planche et son étudiant montent péniblement vers le plafond …- Han ! Han ! …– la planche tangue, silence et sourires, Han ! … - un copain touche le haut de la tête avec un carton lui donnant l’impression qu’il a atteint le plafond … - le groupe crie « saute bizuth» …- le bizuth prend son élan en pliant les jambes comme quelqu’un qui va tomber de 2 mètres alors qu’il est à 50 cm ; le saut devient grotesque et le groupe rit bien aux dépens du bizuth.
  • Cette intégration dans les traditions prenait fin officiellement début décembre lors de la sainte Barbe, fête des pompiers, artilleurs, mineurs, etc.…Lors de cette journée, baptisée « inversion », les bizuths deviennent anciens Alors : chaises renversées, pieds en l’air, élèves assis sur le dessous du siège habituel et regardant le fond de la classe et pas le tableau pendant qu’un élève y fait des divisions mathématiques absurdes, …blouses boutonnées dans le dos, etc. Les profs apprécient plus ou moins !
  • Ces traditions fort anciennes ont été crées pour forger des communautés solides, fermées, des sortes de castes, des hiérarchies. Les bizutages étaient souvent stupides, humiliants, parfois brutaux. Les anciens X (anciens de l’école polytechnique) forment une véritable franc maçonnerie bien utile pour obtenir un poste. Même chose pour les anciens gadzarts (anciens des écoles des Arts et métiers) ; le bizutage appelé « usinage » était là fort stupide, voire dangereux ! On trouve ces pratiques sans les facultés de médecine et les écoles de commerce.
  • Une tradition non écrite mais impérative veut que, pour nos républiques, dans les cabinets de collaborateurs des ministres, figurent un pourcentage donné d’anciens X, d’anciens centraliens, d’anciens énarques, etc. J’ai appris cela par des collaborateurs d’Huguette Bouchardeau, PSU, nommée par Fabius ministre de l’environnement ; on lui interdisait de choisir un grand scientifique qui n’était pas passé par une de nos « grandes écoles » Elle finit par gagner mais les X ou centraliens obtinrent en compensation un autre poste dans un autre ministère !! Les anciens de l’Ecole des Mines trustent tous les postes concernant l’énergie et sont fort pro nucléaire !!
  • Après six échecs nos gouvernements ont enfin obtenu en 1998 une loi interdisant les bizutages. Mais ils ont été remplacés par des « week-ends d’intégration » fort alcoolisés et la bataille contre ces pratiques continue
  • Post scriptum Je peux expliquer ces histoires de 3/2, 5/2 pour les anciens qui sont encore liées à l’obsession des hiérarchies, ou également la dangerosité des « usinages » qui ont fortement déprimé certains de mes anciens élèves
  • Pour terminer sur l’aspect amusant et joyeux de ces traditions, je vous conseille de lire « Les copains » de Jules Romains qui y raconte trois canulars savoureux organisés à Ambert et Issoire par des élèves de l’Ecole Normale Supérieure. Autre canular célèbre : la création d’un grand mathématicien fondateur des mathématiques modernes Nicolas Bourbaki qui publia de nombreux livres théoriques avant que soit révélé le fait qu’il s’agissait d’une équipe collective