* Sophie : Pendant cette guerre le PC semble avoir une attitude ambiguë ?

* Guy : Oui, tout à fait et j’ai un témoignage personnel à te conter. Pour le PCF, l’essentiel est la lutte de la classe ouvrière. La colonisation, l’inégalité hommes-femmes, tout sera résolu après la révolution. Je me souviens d’une réunion entre les responsables de notre section PSU du XIXe arrondissement et les responsables locaux du PC, dont un membre de leur bureau politique, au sujet de préparatifs d’une manifestation pour la paix avec l’Algérie. Nos camarades nous expliquent que nous sommes des intellectuels irresponsables car la classe ouvrière est, dans sa grande masse, attachée à garder l’Algérie française. Sans doute ? « Une manifestation limitée à une avant-garde favoriserait la provocation du pouvoir personnel ». Le PCF se sent solidaire du PC algérien PCA et, bien des prolétaires vivant en Algérie, Français ou Espagnols, ont certainement envie que l’Algérie reste française. Par contre les intellectuels communistes, avec d’autres, ont une attitude opposée. Le professeur de mathématiques Maurice Audin, du PCA, est torturé puis assassiné en juin1957. Henri Alleg, arrêté chez Audin et torturé rédige ensuite le récit des sévices pratiqués dans les prisons. Son livre : « La question » sera interdit.

  • L’internationalisme du PC aurait dû le conduire à soutenir la lutte anti-impérialiste des peuples colonisés, mais, dans cette période, l’ennemi essentiel est l’impérialisme américain et l’Union soviétique pousse le PCF à ménager le général De Gaulle qui prend ses distances avec l’atlantisme. La direction du PCF est allée jusqu’à l’exclusion des membres du PC soutenant le FLN. Les jeunes communistes voyant leurs camarades du PSU ou de l’UNEF affronter la police dans des manifestations interdites, font pression et conduisent le PCF à participer aux manifestations. Les morts du métro Charonne seront d’ailleurs des membres du PC.
  • Dans les rares manifestations communes, la bataille des slogans entre le PSU et le PCF est très significative. Nous scandions : « Paix avec l’Algérie » et le PC scandait : « Paix en Algérie » ! Toutes les forces politiques, y compris celles de droite ne voulaient-elles pas la paix en Algérie ?? La paix avec l’Algérie signifiait clairement que le PSU affirmait le droit du peuple algérien à l’indépendance.
  • Comme dans bien d’autres cas, il faut faire la distinction entre la ligne politique de la direction nationale et le courage lucide de militants que les dirigeants utilisent ensuite pour réécrire l’histoire.

* Sophie : A l’autre extrémité de l’échiquier politique, que font les fanatiques de l’Algérie française et que fait l’armée ?

* Guy : Ils ne pardonnent pas au général De Gaulle son abandon du « Vive l’Algérie française » proclamé en1958 à Mostaganem, pour le « droit des Algériens à l’autodétermination ». Trahison confirmée par le référendum du 6 janvier 1961. Le député Pierre Lagaillarde et Jacques Ortiz ont organisé, à Alger, entre le 24 et le 31 janvier 1960 la « semaine des barricades ». Mais, dans ces sept journées insurrectionnelles, ils n’ont pas été suivis par toute l’armée. Au moment de leur procès à Paris, ils s’enfuient à Madrid. Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini y fondent en février 1961 l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) qui proclame : « L’Algérie est française et le restera ».

  • Un événement bien plus grave se produit dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 : le putsch des quatre généraux Challe, Salan, Jouhaud et Zeller que De Gaulle appellera le « quarteron de généraux en retraite ». Ils sont soutenus par plusieurs centaines d’officiers supérieurs et surtout par le premier REP (Régiment Etranger de Parachutistes) de la Légion étrangère. Le Premier ministre Michel Debré redoute que les parachutistes sautent sur Paris pour prendre le pouvoir. Et, le dimanche 23, à la télévision, il lance un appel dramatique à la population pour qu’elle se rende sur les aéroports « à pied ou en voiture (on rajoutera, pour ironiser, à cheval) dès que les sirènes retentiront, pour convaincre de leur erreur les soldats engagés et trompés ».

* Sophie : Comment vis-tu ces moments dramatiques ?

* Guy : Comme beaucoup de militants ou cadres du PSU ! Etant donné que Savary est un résistant de la première heure, Compagnon de la Libération, c’est lui que le bureau national du PSU délègue pour prendre contact avec le ministre de l’intérieur et proposer l’aide du PSU contre les parachutistes. Le gouvernement promet, par la voix d’Alexandre Sanguinetti (son chargé de mission anti-OAS) de donner des armes au PSU.

  • Secrétaires de nos sections locales ou membres du service d’ordre, nous sommes plus d’une centaine, rassemblés rue de Solferino au siège de la FEN, attendant ces armes. Anxieux et un peu coupés du monde ! On nous annonce que, désormais, nous sommes sous les ordres de Savary, que la discipline remplace la démocratie. Nous sommes partagés en deux groupes : ceux qui ont eu une formation militaire et ceux qui n’en ont pas eu (je me demande à quoi je pourrai bien servir avec ma vue fort basse). Les parachutistes, finalement, ne viendront pas et les armes non plus car le PSU était quand même dans l’opposition.
  • Ce sont certainement les 200 000 appelés du contingent qui, en Algérie, restent républicains, qui font échouer le putsch. Les généraux factieux ont eu tort de considérer que « ces bidasses ne pensent qu’à la quille ! » Le 25 avril le « pronunciamiento militaire », pour reprendre le qualificatif, est terminé car les chefs se rendent. Mais d’autres militaires viennent renforcer l’OAS. Pour lutter contre elle le régime gaulliste mobilise des « barbouzes » ; ceux-ci auront beaucoup de pertes en Algérie.

* Sophie : L’OAS agit-elle en France ? Que fais-tu, toi ?

* Guy : Les plastiquages de l’OAS en France se multiplient à partir de la fin de 1961 : les journalistes Jean Daniel et Pierre Stibbe en décembre, puis Serge Mallet, Claude Estier, Jean-Paul Sartre (son appartement sera totalement détruit), Gilles Martinet, etc. en janvier 1962. Des rafales de mitraillettes ont été tirées contre le siège national du PCF. Le gaulliste André Malraux est plastiqué en février (une fillette de 4 ans perdra la vue à cause de cela). La condamnation à mort de Claude Bourdet du PSU est écrite en grosses lettres sur les murs de son appartement. France Observateur, l’Express et Tribune Socialiste, le journal du PSU, publient chaque semaine une liste des plastiqués dont le nombre augmente, y compris en province, contre des responsables du PSU « Il devient presque humiliant de n’avoir pas sauté » écrit Marc Heurgon dans son histoire de l’époque !

  • Quant à moi, je suis alors trésorier de la fédération de Paris du PSU, dont le secrétaire est Marc Heurgon. Mon nom figure donc sur plusieurs documents. Marc a échappé de justesse au plastiquage, car l’OAS a frappé à son ancienne adresse. Je pense que c’est un peu « ennuyeux » d’avoir une chambre au rez-de-chaussée, avec fenêtre sur la rue des Alouettes, en face des studios de la télévision. Et … une nuit, je suis réveillé par un bruit insolite et le choc sur ma tête d’un objet non identifié ! Secondes d’angoisse, lumière, ouf ! Sur ma tête je n’ai pas un morceau de la cloison mais la reproduction d’un tableau de Renoir que j’avais accrochée au-dessus de mon lit ! La ficelle usée a eu la mauvaise idée de se casser en pleine nuit !

* Sophie : Comment réagit le PSU ?

* Guy : Comme l’unité antifasciste a du mal à s’organiser et reste sur un plan défensif et attentiste, le PSU décide de prendre l’offensive pour peser sur l’opinion publique résignée et spectatrice. Marc Heurgon organise l’intox GAR.Pendant une nuit de mars 1962, les militants PSU peignent sur un certain nombre de murs, à Paris et en banlieue, les trois lettres du sigle GAR, ce qui signifie « Groupes d’Action et de Résistance ». Le domicile de Jean-Marie le Pen a lui-même droit à cette sorte d’avertissement. Un peu plus tard nous collerons de grandes affiches rouges « Voici les tueurs de l’OAS et leurs chefs », avec les photos de Salan, de ses adjoints, etc., deux cent photos marquées par une croix gammée et une inscription : « N’attendez plus, organisez-vous, GAR »

  • Cette bataille psychologique, sigle contre sigle, a eu une certaine résonance mais était un peu ambiguë car les GAR n’étaient pas vraiment structurés ni clandestins. Les GAR disparaîtront assez rapidement, surtout parce que le drame de Charonne changera un peu la donne, ainsi que la paix signée à Evian. Même si l’OAS a ensuite continué des opérations de commando : attentat du Petit Clamart visant à tuer De Gaulle le 22 août 1962 et celui du Mont Faron le 28 août 1964 (une jarre devait exploser au passage du général). La fin définitive des activités de l’OAS se situe en 1965 !

* Sophie : N’as-tu pas une autre histoire comique comme celle du tableau Renoir dont la ficelle casse, liée à cette période ?

* Guy : Oui : une histoire assez cocasse. Je me trouve, à la tombée de la nuit, en 1961, je crois, dans le quartier de l’Opéra. Pour un besoin urgent, je fais une pause dans la vespasienne qui se trouvait alors en face des Galeries Lafayette. Je marche ensuite sur les grands boulevards lorsque m’aborde un jeune Algérien. Affolé, il sollicite mon aide car il n'a plus de lieu pour passer la nuit et ne peut demander une chambre dans un hôtel. Il travaille, dit-il, dans le grand café de la place de l’Opéra et me propose de me montrer ses papiers. Je lui dis que je n’ai qu’une petite chambre dans un hôtel meublé de la rue des Alouettes, près des Buttes-Chaumont. Il insiste. Nous marchons côte à côte. Il insiste ! Je n’ai qu’un seul lit. Il insiste, désemparé. Nous marchons. Je me dis : « Tu as des principes, des convictions ; tu milites à Jeune Résistance ; et puis, face à une demande concrète, tu recules ! » Alors, je finis par accepter de l’héberger.

  • Nous voilà rue des Alouettes ; je lui propose un pyjama ; il refuse. Nous voilà dans le même lit et il me fait des avances sans équivoque. C’est moi qui, cette fois, refuse. Devant la persistance de ses avances, je serai obligé de passer la nuit sur la couverture en le laissant à l’intérieur des draps. Il partira furieux le lendemain matin ! Car, me révèle-t-il, cette vespasienne des Galeries Lafayette était en fait un lieu de contact classique entre homosexuels à !a recherche de compagnons !