* Sophie : Peut-être est-ce le moment de me décrire ta section PSU du XXe arrondissement, son organisation, ses activités, ses animateurs-trices, son ambiance ?

* Guy : J’avais beaucoup écrit sur cette section, pour un premier projet, textes très partiellement utilisés pour le livre « Mon PSU ». De plus, en cherchant des dates je viens de retrouver un dossier sur notre premier week-end de formation dans l’île des Migneaux, à Poissy, au Relais International de la Jeunesse. Nous y ferons ensuite 3 autres week-ends de formation, pour la seule section du XXe.

  • Je ne pensais pas que nous avions commencé si tôt : le dimanche 27 octobre 1968. J’avais oublié les 4 thèmes abordés et le sérieux de leur préparation confiée à 4 groupes, avec 4 animateurs dont moi. Les rapports introductifs avaient été imprimés et présentés le samedi chez moi. Donc tu vois, je m’étais vite intégré !
  • Les 4 « essais » introductifs sont bien symboliques de l’époque. Voilà leur libellé : la stratégie révolutionnaire – le socialisme dans un pays industriel – le communisme – le capitalisme ! Le vocabulaire également est caractéristique. Je ne me souviens plus des débats de Poissy, mais de la beauté du lieu. Pour les week-ends suivants nous prendrons deux jours avec le samedi et nous coucherons sur place, ce qui permettra de créer une joyeuse ambiance et de souder le groupe !

* Sophie : Tu ne m’as pas vraiment répondu !

* Guy : Le militantisme intense de l’époque te paraîtra étonnant. Tous les groupes de travail dont je vais te parler n’ont sans doute pas existé simultanément et n’ont pas vécu pendant la même durée. Ils rassemblaient de 5 à 10 personnes. Pratiquement, chaque semaine ou chaque quinzaine se réunissent :

  • - Un groupe « immigration » qui rédige tracts et brochures, travaille avec les instances nationales, en particulier pour créer des affiches, et d’autres associations.
  • - Un groupe « entreprises » qui rédige de multiples tracts locaux, très pédagogiques pour Bull informatique (2400 employés avenue Gambetta et 1000 rue d’Avron), le centre de documentation du CNRS, rue Boyer, l’hôpital Tenon, l’usine SOPELEM (optique) du Bd Davout, l’entreprise SANCAR qui fabriquait des armoires métalliques, la BNP de la place Gambetta pendant sa longue grève.
  • - Un groupe « sérigraphie » dont je t’ai parlé !
  • - Un groupe « femmes » dont les hommes sont exclus, décision bien utile pour que les femmes osent toutes prendre la parole. En effet les débats des réunions plénières étaient souvent fort théoriques avec, en particulier, de longs discours de plusieurs théoriciens du « luxembourgisme ».

* Sophie : C’est quoi le luxembourgisme ? C’est né au Luxembourg ?

* Guy : Non, pas du tout ! C’est en référence à Rosa Luxembourg, révolutionnaire allemande assassinée en 1919, marxiste hostile à la vision léniniste de la dictature du prolétariat. Notre camarade Alain Guillerm publiera deux livres au moins sur Rosa Luxembourg qu’il voyait en pionnière de l’autogestion.

  • Je continue ma liste des groupes de travail de la section :
  • - Un groupe « école », avec notamment des lycéens, des étudiants, une surveillante générale du lycée de Montreuil. Il se réunissait chez notre grand trésorier Roger Bournazel, dont je te reparlerai.
  • - Un groupe « cadre de vie », dont les quelques membres travaillent avec le CLAD (Comité de Liaison pour L’animation et le Développement du vingtième arrondissement qui a publié une soixantaine de brochures entre 1972 et 1994, sur transports, urbanisme, fêtes, etc. et se méfiait de la récupération éventuelle par le PSU) Michel Riaudel se rappelle le grand jeu de l’oie organisé devant l’église Notre Dame de la Croix, rue de Ménilmontant, pour populariser les réflexions.
  • - Un groupe « santé » qui travaille avec des sympathisants dont un médecin du quartier. Il a contribué à l’édition d’une brochure sur l’IVG à l’hôpital Tenon.
  • - Un groupe de vendeurs du journal TS, Tribune Socialiste, le journal du parti (chaque semaine TS était vendue à 7 ou 8 stations de métro et au porte à porte le dimanche). Les ventes oscillaient entre 50 et 70 car j’ai gardé nos graphiques. Ce groupe ne se réunissait pas en tant que tel, mais exigeait une organisation.

* Sophie : Avec tous ces groupes la coordination doit être importante ?

* Guy Oui ! Notre bureau est très efficace au niveau de l’organisation, des contacts avec les sympathisantEs ou les adhérentEs (en particulier lorsqu’ils ou elles sont un peu démotivés). Autour de Claude Picart, puis de moi ensuite, en collaboration avec le trésorier Roger Bournazel dont il me faudra faire le portrait.

  • Nous avions une réunion plénière tous les 15 jours avec des débats très riches et théoriques, mais aussi des plannings très concrets de ventes du journal, d’affichages, de séances sérigraphie, de manifs très fréquentes à l’époque, etc.. Le bureau se réunissait tous les 15 jours (les semaines sans réunion plénière).
  • Quelle période ! Nous rêvions de changer la vie, mai 68 nous avait donné espoir, énergie, imagination.-
  • La réalisation des fêtes PSU de juin fut chaque année un énorme travail. Elles eurent lieu ; en 1974, à Meudon, dans le jardin de l’Observatoire, pour la première, puis sur le stade de Colombes, en 1975, et enfin plusieurs fois à la Courneuve. Publicité (de magnifiques affiches chaque fois), vente de billets, installation de clôtures autour du lieu de la fête, pour La Courneuve, organisation des tenues des guichets, des tours de garde pour les clôtures et la sécurité centrale des recettes, nettoyage du terrain après les festivités sont pour toutes et tous de bons souvenirs, même si tout cela était épuisant !
  • Nous avons accueilli une énorme quantité de chanteurs mondialement connus que je ne peux te citer toutes et tous. Aucune présence de publicité !! C’est le climat : une pluie énorme sur nos deux jours de fête qui provoqua une catastrophe financière et…la fin des fêtes
  • Notre section du 20e a organisé, lors de ces fêtes, un stand sur la « révolution des oeillets » au Portugal, avec vente de porto, un sur l’histoire de PSU: « le PSU tout nu », un sur les droits des immigrés et un avec un atelier de sérigraphie et vente massive de notre fameuse affiche sur la Commune de Paris.
  • Le bureau, pour faire des économies, mit en place la distribution de courrier dans un certain nombre de boites à lettres, à partir d’une organisation par quartiers.

* Sophie : Y avait-il un journal de section ou un simple bulletin ?

* Guy : De décembre 1969 à février 1978, 42 numéros du « Bulletin intérieur de la 20e section » furent imprimés sur notre ronéo. En ces temps-là Internet n’existait que dans le domaine des recherches. Les techniques de photocopie étaient rudimentaires. Nous avons d’abord utilisé une ronéo qui tournait à « l’huile de coude » ! Puis, gros progrès, nous avons acheté une ronéo avec un moteur électrique. Elle a longtemps été installée dans mon appartement de la rue Haxo et son bruit m’a causé quelques soucis avec les habitants de mon escalier.

  • Notre machine à écrire perforait la fine pelure d’un stencil. Celui-ci était fixé sur la ronéo et l’encre imprimait à travers les trous. Les titres étaient faits avec un stylet à travers les lettres d’un normographe. Parfois le stylet déchirait le stencil et il fallait recommencer toute la page. C’est Madeleine Hennebault qui a frappé la plus grande partie de nos textes du journal ou de nos tracts. Elle a pu perfectionner la mise en pages lorsque j’ai acheté une machine à écrire Bull qui permettait en changeant de boule de changer les caractères d’impression.
  • En 1978,nous avons décidé d’êt* re plus ambitieux et d’avoir un journal diffusé le plus largement possible. Nous avons cherché un titre et c’est Paul Oriol qui a trouvé le titre adopté : « Les Pavés de la Commune ».Il évoque à la fois l’histoire du quartier et de ses barricades, dans la Commune de Paris et aussi la vie quotidienne dans les rues de l’arrondissement.

* Sophie : Réussissez-vous votre pari ?

* Guy : La vie des Pavés commence en mai 1978 et comportera 103 numéros dont 72 numéros pour le PSU (dernier numéro en octobre 1989) et 31 pour l’Alternative Rouge Et Verte qui succédera au PSU (dernier numéro en janvier 1998, moment de notre passage chez les Verts). Nous avons alors obtenu un numéro de dépôt légal et un numéro de la Commission Paritaire de Presse, car notre journal ne comportait pas de publicité. Ainsi la poste nous permettait l’envoi à un tarif réduit à condition que soient envoyés au moins 4 numéros par année, et de faire à chaque fois 10 envois légaux (6 pour la Bibliothèque Nationale, 2 au Premier ministre, 1 au ministre de l’intérieur, 1 au Préfet de police signé par le directeur de publication qui pouvait ainsi être éventuellement poursuivi ! Je fus ce directeur de publication ).

  • Les articles étaient illustrés par des dessins de Plantu (qui avait donné son accord implicite). La première page a longtemps été illustrée par une photographie d’une vieille rue du quartier, prise par Jean-Claude Chastaing. Les numéros contenaient les tracts de la section chaque fois que nous en produisions (et il y en eut beaucoup), souvent des poèmes ou des dessins.
  • Dans chaque numéro l’article que cherchaient en premier lieu les lecteurs était « Les mauvaises lectures de Polo » où Paul réunissait une série de petits billets originaux par leur humour, leur variété, leurs provocations – billets inspirés par ses lectures. J’ai souvent rédigé l’éditorial.
  • Ce fut une riche aventure humaine, politique, collective.

* Sophie : Au niveau technique, avez-vous remplacé l’archaïque ronéo ?

* Guy * : Nous avons fait un bond technique et qualitatif avec l’achat d’une petite off-set d’occasion installée sur la mezzanine de la Teinturerie de la rue de la Chine. Pierre Ragon, Michèle Véchambre et moi, professeurs dans « le civil » sont devenus offsettistes ! Notre amateurisme nous a causé bien des ennuis : impression trop pâle, à droite – trop pâle à gauche – puis sur toute la page, car le réglage de l’eau ou celui de l’encre n’étaient pas bons ! . Le bourrage du papier nous obligeait à démonter le bloc moteur pour tout nettoyer avant de recommencer ; et l’encre envahissait le sol, les mains, le bout de mon nez, les manches du pull si bien qu’Agnès a dû m’acheter une salopette ! . Avec les ratages nous avons souvent passé un samedi entier pour effectuer le tirage du journal.

  • Pour éviter les bourrages et que les ramettes de papier soient bien « déramées » nous avons acheté une vibreuse électrique et pour la collation des pages un appareil spécial. Cette dernière opération, l’agrafage, l’écriture des adresses de 400 ou 500 « abonnés », la mise sous plis se faisait avec une petite équipe dans un climat fort convivial.
  • Nous avons fini par remplacer les tirages off-set par la photocopie, en mai 1993. Plus coûteuse, mais plus belle, et moins aléatoire pour les néophytes de la technique offsettiste !