* Sophie : Comment as-tu vécu le septennat de Valéry Giscard d’Estaing ?

* Guy : Le début m’a surpris par ses visites dans des prisons, sa façon de s’inviter chez des gens modestes. Il veut montrer un nouveau visage du président, plus jeune, plus libéral sur le plan sociétal. Il abaisse à 18 ans l’âge du droit de vote.. La loi Simone Veil sur la dépénalisation de l’avortement, dès janvier 1975, est un signe fort de cette volonté. Le PSU s’était beaucoup battu pour la légalisation de l’avortement. Huguette Bouchardeau, secrétaire nationale, avait été en première ligne de la grande Marche des femmes. Notre section 20e avait édité une brochure avec un groupe santé.

  • Mais le septennat se termine mal. Les « trente glorieuses » sont sur le point de s’achever. Une politique de rigueur est menée par Raymond Barre. Les réformes sociétales s’arrêtent en 1976. De plus la rupture est consommée avec le RPR et Jaques Chirac, qui sera candidat contre lui lors de la présidentielle !
  • Puis un certain nombre d’affaires assombrissent le ciel. C’est le « suicide « bizarre » du ministre Robert Boulin dans les 50 cm d’eau d’un étang, en octobre 1979, puis l’assassinat du ministre Joseph Fontanet, non élucidé, en février 1980, enfin l’attentat de la rue Copernic qui fait 4 morts en octobre 1980 ; et surtout l’affaire de la plaquette de diamants offerts à Giscard par son ami Bokassa de Bangui, chassé du pouvoir centrafricain par les parachutistes français. On apprend que Giscard a fait beaucoup de chasses aux grands fauves dans les pays africains amis. L’affaire des diamants pèsera lourd contre Giscard.
  • Le PSU a été particulièrement actif lors de ce septennat : sur les problèmes de la sidérurgie, pour l’égalité des droits entre Français et immigrés et contre le nucléaire
  • C’est la première fois qu’une petite commune obtient l’annulation du projet de construction de centrale nucléaire sur son territoire. C’est arrivé à Plogoff, à la pointe du Raz en Bretagne. En septembre 1978, le conseil général vote le principe de cette construction. Les partis de droite et ceux de gauche sont pour. Seuls le PSU et l’Ube (union démocratique bretonne) se battent contre. Radio Plogoff est créée par eux. Des manifestations d’opposants sont très brutalement réprimées par 7 escadrons de gendarmerie et les CRS. On enverra même des blindés à Plogoff. Le drame de Creys Malville avait eu lieu en juillet 1977 avec la mort du non violent Vital Michalon, poumons éclatés par une grenade offensive tiré de près. Ce sera Mitterrand qui, après son élection, arrêtera Plogoff et le Superphénix de Malville.
  • Lors d’une fête du PSU à la Courneuve, notre section PSU avait emmené sur place son matériel de sérigraphie et, avec des personnes plus professionnelles que nous, nous avons fait là-bas un tirage d’une très belle affiche, représentant un clown qui jongle avec un atome. Avec le titre : « Société nucléaire, société militaire ». Le tirage en 4 ou 5 couleurs exigeait deux tirages pour la même affiche et un réglage minutieux du papier sur l’instrument. J’en garde une encadrée dans mon salon. Je ne la regarde plus assez souvent§

* Sophie : La campane de la présidentielle a dû être fort animée et complexe ?

* Guy : C’est sans doute la campagne la plus violente, la plus complexes que j’ai vécue. D’abord, dès octobre1980, la candidature de l’humoriste Coluche a secoué le monde politique et passionné les médias. Sa candidature a été soutenue par Charlie Hebdo, 5 intellectuels très connus, Nicoud du Cidunati des commerçants. Les sondages lui ont attribué de 12 à 16% d’intentions de vote en décembre 80, de quoi inquiéter les professionnels de la politique. Il a reçu des menaces de mort, n’a pas obtenu ses 500 parrainages de maires et a dû renoncer. Il avait fini par se prendre au sérieux.

  • Un autre préalable à la campagne fut intéressant : l’opposition entre Michel Rocard et Mitterrand, commencée au congrès de Metz. Début 1980, on présente Rocard comme un meilleur candidat que Mitterrand ; il est plus populaire. Il se veut le symbole de la modernité contre l’archaïsme ( il a 14 as de moins) – de la décentralisation contre la bureaucratie étatique, du « parler vrai ». Le 19 octobre 1980, il fait une * médiocre déclaration de candidature dans sa mairie de Conflans Sainte Honorine. Et…le 8 novembre Mitterrand annonce la sienne qui oblige Rocard à se retirer.
  • A gauche, la non-révision du Programme commun a justifié la rupture entre le PS et le PC. Ce dernier aura un candidat contre Français Mitterrand. Ce sera Georges Marchais qui attaquera violemment le PS. Lutte Ouvrière présentera Arlette Laguillet. Notre PSU présentera sa secrétaire nationale Huguette Bouchardeau (je ne me souviens plus du passage de relais entre Mousel et Bouchardeau, ce qui veut dire que cela s’est fait en douceur ; je ne connaissais pas la « provinciale » Huguette, militante active à Saint Etienne !)
  • La droite est tout autant divisée que la gauche, avec quatre candidatEs, comme tu vas voir dans les résultats.
  • Résultats de la présidentielle des 26 avril et 10 mai :
  • Valéry Giscard D’Estaing : 28,31 % puis, au second tour : 48,24 %
  • François Mitterrand : 25,85% puis, au second tour : 51,78%
  • Jacques Chirac (RPR) : 18,00 – Georges Marchais (PCF) : 15,35 – Brice Lalonde (écolo) : 3,88 – Arlette Laguiller (LO) : 2,30 – Michel Crépeau (MRG) : 2,21 – Michel Debré (gaulliste): 1,66 – Marie-France Garaud (droite gaulliste dure): 1,33 – Huguette Bouchardeau (PSU) 1,19
  • La candidature de Huguette Bouchardeau avait été bien accueillie et sa campagne également car elle avait donné la parole à des acteurs nouveaux comme les handicapés ou les homosexuels. Mais, au dernier moment le PS sortit l’arme mortelle du « vote utile ». Il ne fallait pas risquer que Mitterrand n’arrive que troisième derrière Giscard et Chirac. La droite avait pourtant au total 4 candidatEs, avec Debrè et Garaud. Le Pen pour le FN n’avait pas eu ses 500 parrainages, ni Krivine.
  • On a su après coup qu’au second tour des cadres communistes n’avaient pas voté Mitterrand et que, de même, des amis de Chirac n’avaient pas voté Giscard. Une personne que je connais bien, cultivée, intéressée par la vie politique me dit avoir hésité entre Bouchardeau et Garaud, malgré le fossé entre les deux positionnements. Pourquoi, demanderas-tu ? Car les deux paraissaient les seules profondément sincères, passionnées !

* Sophie : Au milieu de ces bouleversements politique, comment se passe la vie quotidienne, en particulier dans ton lycée qui ne doit plus être un « lycée rouge » ?

* Guy : Non ; je te raconterai l’hostilité de mes collègues à la réforme des collèges proposée par le grand ministre socialiste de l’Education nationale, Alain Savary, sur le « tutorat ». Attitude corporatiste, pour ne pas dire conservatrice ! Je vais peut-être te parler des souvenirs qui restent dans ma mémoire, car je les ai trouvés marquants.

  • J’ai eu un élève exceptionnel. Il était au fond de la classe, ne prenait pas de notes et donnait l’impression de rêver. J’ai assez vite compris qu’il comprenait dix fois plus vite que ses copains. En l’interrogeant dans ces séances appelées Kholles j’ai vu qu’il assimilait les choses les plus délicates sans avoir besoin de notes détaillées.
  • Dans les classes préparatoires, chaque élève a droit chaque semaine à une interrogation sur le programme mathématique de la semaine précédente et alternativement sur celui de physique ou de Français. Cela fonctionne par groupe de trois et par séances d’une heure. En mathématiques, le professeur interroge souvent les trois élèves en même temps : 2 sur une moitié du grand tableau et le troisième sur papier, avant de passer au tableau si nécessaire. Ils cherchent des exercices d’application du cours traité, souvent donnés à l’oral des concours ; donc chacun est sondé pendant une heure. Le prof. va de l’un à l’autre et est fort bien payé, en heures supplémentaires. Ce fut très longtemps la grande supériorité des classes prépas sur les universités qui commencent à copier.
  • Pour t’expliquer l’intelligence du bonhomme, je vais te dire qu’un jour il m’a mis en difficulté sur le plan théorique. Il lève gentiment la main ; je lui donne la parole « Monsieur, n’y a t-il pas là une contradiction avec tel principe de base qu’il énonce? » Je pige tout de suite qu’il a raison. Les autres élèves ne comprennent rien ! Mais je n’ai pas la réponse théorique qui est plus une question de logique fondamentale que de mathématiques pures. Je dois déclarer que je ne sais pas lui répondre et que je le ferai à un cours suivant. Cela m’obligera à approfondir et à compléter mon cours. Je ne perdrai pas mon prestige pour la classe, je crois!
  • Il ne faisait rien pour montrer ses supériorités et était un camarade modeste. Il a été bien évidemment reçu aux Arts et Métiers ; il l’aurait été à Polytechnique. Il est allé ensuite dans une grande université américaine. J’aimerais savoir ce qu’il est devenu.
  • Je vais te parler, à l’opposé, d’un élève qui m’a posé problème et qui en a posé à la société. Il était noble ; son père était un dirigeant de Saint Gobain ou d’une entreprise aussi connue. Il participait peu en classe. Un jour, en kholle, il sèche sur l’exercice que je lui ai donné ; pour une fois, je ne me souviens plus de la solution de cet exercice que j’ai souvent donné ! A la sortie il me déclare : « Monsieur, vous êtes payé pour ce travail ! ». Je ne peux que lui dire Oui ! Peu de temps après, devant la classe, ilme fait une réflexion aussi désagréable. Je lui dis « sortez » et il ne sort pas. Mais il ne revient pas à mon cours de l’après-midi.
  • Le lendemain, à la sortie du réfectoire, mon collège physicien et moi l’invitons à prendre un café avec nous. Il se livre et déclare qu’il aurait voulu être ébéniste, que c’est son père qui a voulu qu’il soit ingénieur comme lui et qu’il veut abandonner. Nous le persuadons de finir l’année. Il devient d’une gentillesse incroyable pendant mes cours. J’avais dialogué avec lui, comme ne le faisait pas son père ! Et il tombe amoureux d’une autre de mes élèves. Ils sont reçus tous les deux aux Arts et Métiers, mais envoyés dans deux villes différentes et n’arrivent pas à se retrouver ensemble. Je saurai que celui que j’appellerai André a voulu inviter sa copine Monique chez ses parents et qu’ils ont refusé car elle était fille de boucher ! Tu vois, les classes sociales, ça existe vraiment !
  • Puis se noue le drame. Monique se trouve un autre copain. Et André, un week-end, vient à Paris prendre le fusil avec lequel son père chasse le sanglier et il va tuer son rival. Il dépose un bouquet de roses sur le cadavre. J’apprends ce drame par le JDD, grâce à Agnès. Quelque temps après, un gendarme chargé de l’enquête vient me rencontrer pour compléter son dossier. Je lui raconte l’incident dont je t’ai parlé et parle de la responsabilité du père. Et il me déclare que la mère est sans doute encore plus responsable du comportement d’André que le père. J’ai senti que le gendarme cherchait quelques excuses à André Je pense que celui-ci a été lourdement condamné et que sa vie a été fort compromise, car il y avait préméditation. J’ai revu Monique que j’ai trouvée bizarrement peu marquée par ce drame.