* Sophie : Que devient ta section PSU du vingtième arrondissement ?

* Guy : Nous continuons à publier régulièrement notre journal « Les pavés de la commune » et à faire nos réunions à la Teinturerie de la rue de la Chine. Entre 1982 et 1990, date de la fin du PSU, nous avons publié 5 numéros par année, en moyenne. Je te signale qu’en avril 1987, nous faisons un article sur le drame de Creys-Malville, qu’en novembre 1987 nous faisons des réunions sur la Chine avec Raymond Georgein qui y a exposé des toiles et reviendra avec une jeune chinoise, puis avec Guy Labertit de la commission « internationale » sur le Tchad, qu’en février 1989, nous ferons une réunion avec Paul Oriol et Bernard Delmotte sur Amiens où 4 conseillers étrangers sont associés au conseil municipal depuis 1987 (un Marocain, un Algérien, un Sénégalais et un Portugais ; grande réussite pour le PSU).

  • Un événement va nous donner un véritable espoir pour « l’Alternative »: le développement des mouvements des Rénovateurs et des Refondateurs du parti communiste et en particulier l’alliance avec Pierre Juquin qui sera notre candidat à la présidentielle de 1988. Un nombre important de membres du comité Juquin se réunit rue de la Chine. Je note une bonne centaine de noms nouveaux. La campagne présidentielle est active, dynamique, optimiste. Malheureusement le résultat est démoralisant : 2,10 % pour Juquin. Décidément les électorats communistes et PSU sont incompatibles ( il y avait eu une expérience malheureuse dans le 13e arrondissement).
  • François Mitterrand est réélu président au second tour, face à Jacques Chirac. Il se sent obligé de nommer le populaire Michel Rocard Premier ministre ! J’ai gardé respect, estime et même une réelle sympathie pour Michel. Je suis admiratif pour la façon dont il réussit à sortir par le haut du drame de Nouvelle Calédonie, consécutif aux massacres de la grotte d’Ouvéa et à trouver un compromis entre kanaks et caldoches. Les indépendantistes acceptent de rester dans la République française jusqu’en 1998 et tu vois que plus personne ne parle actuellement d’autodétermination pour ce pays ! Les kanaks obtiennent l’amnistie pour les massacres de gendarmes et des promesses de développement. Les accords sont validés par référendum, en novembre 1988. Vite fait, bien fait !
  • Les deux dernières années de la décennie sont pénibles pour moi, à cause de la mort inéluctable du PSU et les cancérophobies dont je t’ai parlé. J’ai bien du mal à parler après deux heures de cours. J’essaie d’installer un micro dans ma salle de cours et ça rate. Je crois à un cancer des cordes vocales jusqu’à ce que l’on me suggère de voir une orthophoniste.
  • Au bout de 30 secondes, elle me persuade que je n’ai rien de grave ; je n’utilise pas mes poumons comme un soufflet pour pousser ma voix ; donc je fatigue trop la zone des cordes vocales. Cette orthophoniste me fera faire des séances de relaxation et des exercices de « chant grégorien », en psalmodiant des voyelles. Je suis un peu sceptique ; mais je serai vite guéri et je découvrirai que plusieurs collègues sont également obligés de recourir à des orthophonistes. Pourquoi ces conseils ne font-ils pas partie de la formation des enseignants ?

* Sophie : Comment le PSU vit-il le gouvernement Michel Rocard ?

* Guy : Mitterrand, volontairement, ne l’a pas aidé à trouver une majorité absolue de gauche au parlement, après sa victoire de 1988 et Rocard doit jongler avec les centristes, et devra avoir recours 28 fois à l’article 49-3 de la constitution. Je suis d’accord avec lui quand il crée la CSG, impôt prélevé à la source, qui, pour la première fois, frappe non seulement les travailleurs, mais aussi le capital. Je pense que le PSU a soutenu cette initiative.

  • Je suis alors furieux contre les communistes qui l’attaquent sur cette CSG en disant qu’elle frappe les retraités. Pourtant Rocard a prévu des compensations pour les petites retraites ! Je suis avec intérêt les affrontements feutrés entre Rocard et le président Mitterrand. Je t’ai déjà dit que Mitterrand pensait que Rocard se ridiculiserait assez vite, avec ses utopies irréalistes. « Au bout de dix-huit mois, on verra au travers lui ! » déclarait-il ! Or Rocard reste populaire et Mitterrand sera obligé de le conserver pendant trois années jusqu’en mai 1991 !
  • Rocard est également le créateur du RMI, devenu maintenant le RSA. On lui a beaucoup reproché sa phrase : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il dit qu’il ajoutait : « mais elle doit fidèlement en prendre sa part » Mitterrand sera finalement obligé de licencier un Rocard encore populaire qui deviendra premier secrétaire du PS. Jusqu’au coup de Jarnac porté par le président lors des élections européennes, avec Tapie, balancé comme concurrent !
  • Le PSU pouvait difficilement oublier que Rocard avait abandonné le PSU pour aller au PS, en espérant devenir le successeur de Mitterrand. La grande majorité des adhérentEs de l’époque n’avait pas connu le PSU de la décennie 1960-1970, celle de la guerre d’Algérie et du tandem Rocard-Heurgon ! Pour eux Rocard était essentiellement un social démocrate.

* Sophie : Quel bilan fais-tu des trente années du PSU ? Quels sont tes meilleurs souvenirs de toute cette période ?

* Guy : Je pense, comme Ravenel, que ce parti a été « visionnaire » et a porté le premier des idées importantes : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, donc à la décolonisation vraie, pas factice, le « décoloniser la province » contre le jacobinisme, l’autogestion contre les délégations de pouvoir, l’écologie politique, le réformisme « révolutionnaire ou radical » opposé au léninisme et à la social démocratie. Mon meilleur souvenir est la lutte des Lip, devant celle de la guerre d’Algérie et du dynamisme de la section PSU du vingtième arrondissement

  • Les fondateurs du PSU de 1960 se partageaient en deux rêves :
  • - refaire l’unité du mouvement ouvrier cassée au congrès de Tours en 1920, entre communistes et socialistes, retrouver la dynamique du Front populaire de 1936, d’un côté, et
  • - créer un nouveau parti qui finirait par prendre la place des vieux partis de gauche, faisant oublier les tares du stalinisme et de la bureaucratie opportuniste des socialistes, plus, accessoirement la scissionite aiguë des trotskistes.
  • Ces deux paris ont été ratés. Je n’assisterai pas, en novembre 1989 au congrès de dissolution du PSU ! Bernard Ravenel souligne la coïncidence des dates entre la mort du PSU et la chute du Mur de Berlin, symbole de « la fin du socialisme réel » et du triomphe idéologique du libéralisme et du marché. C’est le PSU qui a analysé les nouvelles formes du capitalisme et les transformations profondes de la société : Serge Mallet avec deux livres « La nouvelle classe ouvrière » et « Les paysans contre le passé ». D’ailleurs Serge Mallet, Bernard Lambert et le PSU sont vraiment les créateurs des « Paysans travailleurs » qui deviendront la « Confédération paysanne »
  • Le PSU comprendra parfaitement les aspirations de la société française en mai 1968 et y jouera un rôle important, trop ignoré. En liaison étroite avec la CFDT il a mené de sérieuses réflexions sur l’autogestion et le contrôle ouvrier ; il n’a pas réussi à imposer cette perspective. On peut également dire qu’il est le père de l’écologie politique, même s’il n’a utilisé le mot que tardivement. Trois livres remarquables scandent ces réflexions théoriques : le manifeste de 1972 « Contrôler aujourd’hui, pour décider demain », «L’utopie réaliste » en 1977 et « Pour vivre, produire, travailler autrement » en 1978. Belles perspectives que la gauche devrait adopter enfin !
  • Je ne résiste pas à l’envie de te lire la liste des hommes et femmes connus qui ont été membres du PSU, plus ou moins longtemps :

* Les intellectuels : Alain Badiou, Pierre Belleville, Jean-Louis Bory, François Chatelet, Francine Comte, Daniel Guérin, Alain Guillerm, Alain Joxe, Robert Lapoujade, Victor Leduc, Alain Lipietz, Jérôme Lindon, Serge Mallet, Clara Malraux, Pierre Naville, Hubert Prévot, Olivier Revault d’Allonnes, Laurent Schwartz, Emmanuel Terray, Patrick Viveret, Jean-Marie Vincent

* Les historiens : Claude Manceron, François Furet, Marc Heurgon ,Pierre Jeannin, Jacques Le Goff , Ernest Labrousse, Emmanuel Le Roy Ladurie, Jacques et Mona Ozouf, Michelle Perrot, Edouard Perroy, Bernard Ravenel, Denis Richet , Pierre Vidal Naquet. Liste impressionnante !

* Quelques syndicalistes parmi bien d’autres : Edmond Maire, Albert Détraz, Fredo Krumnov (dirigeants CFDT) sans oublier Charles Piaget, pour la CFDT-LIP et Claire Villiers ( CFDT-ANPE et cofondatrice de AC ! :agir ensemble contre le chômage), André Barjonet (dirigeant CGT),Robert Chéramy (dirigeant FEN), Alain Geismar (secrétaire national du SNES-Sup), Bernard La-mbert ( fondateur des Paysans Travailleurs), Gabriel Granier fondateur du SMG (syndicat de la médecine générale), une liste importante de présidents de l’UNEF

* Les journalistes : Claude Bourdet et Gilles Martinet (France Observateur), Victor Fay (Combat), Victor Leduc ( l’Humanité), Gilbert Mathieu (Le Monde), Bernard Langlois (télé puis Politis), Maurice Najman (Libération), Claude-Marie Vadrot (Le Canard, le JDD puis Politis), Antoine Glaser (la lettre du continent, spécialiste de l’Afrique, qui fut membre de notre section du 20e arrondissement) etc.

* Les artistes : Jacques Bertin (chanteur et journaliste), Jean Tabary (qui dessinait des BD dans Pilote et a réalisé 2 BD, journaux muraux pour sa section PSU du vingtième arrondissement de Paris), Claude Picart (peintre, auteur de plusieurs affiches nationales dont « le parti de votre avenir : PSU ») Raymond Georgein (peintre de renommée internationale, voir portrait plus loin).

* Les avocats : Henri Leclerc, Yves Dechezelles, Yves Jouffa, Pierre Stibbe.

* Les ministres (avant, pendant ou après leur présence au PSU) : François Tanguy Prigent (agriculture), Edouard Depreux (intérieur et éducation nationale), Daniel Mayer (travail et sécurité social, président de la LDH), Alain Savary (éducation nationale), Charles Hernu (défense), Jack Lang (culture, etc.), Robert Chapuis (secrétaire à l’enseignement technique), Jean Legarrec (délégué à l’emploi), Huguette Bouchardeau (environnement), Marylise Lebranchu (justice), etc.

* et trois premiers ministres qui ont été des fondateurs du PSU en 1960 : Pierre Mendés France (juin 54-février 55), Michel Rocard (mai 88-mai 91), Pierre Bérégovoy (avril 92-mai 93.

* Les secrétaires nationaux de partis autres que le PSU : Gilles Lemaire pour les Verts, Brice Lalonde pour Génération écologie, Alain Savary et Michel Rocard pour le PS, Jean-Jacques Boislaroussie, Michel Fiant et Henri Mermé pour l’Alternative Rouge Et Verte, et même, pour une courte période, Arlette Laguiller pour LO. Bien des cadres des Verts ou du PS, connus ou non, sont passés par le PSU.

* Les précurseurs de l’écologie politique : René Dumont adhérent pendant la guerre d’Algérie et signataire du manifeste des 121, Michel Mousel secrétaire national du PSU après le départ de Michel Rocard (1974-1979), président de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), fondateur de 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable) etc. C’est impressionnant, n’est-ce pas ?