1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


divers
Vingt cinquième texte : le bonheur du militant

*Sophie : Laurent Joffrin disait que la décennie 70-80 fut ultra politique et tu semblais d’accord

* Guy : Oui. La France cherche sa voie. Nous y reviendrons. Je souhaite te raconter d’abord la meilleure période de ma vie militante avec ses diverses aventures, liées à la lutte des Lip. !

  • LIP 1973 est le modèle d’une synthèse réussie entre lutte syndicale et lutte politique, entre défense d’une entreprise menacée de liquidation et projet de société autogestionnaire, entre influence de leaders reconnus et adhésion consciente de toute une collectivité, entre tradition et imagination.
  • LIP était une marque de montres mondialement connue qui dominait le marché horloger français et travaillait accessoirement pour l’armée française en fabriquant des têtes de fusées. Son patron Fred Lip n’était pas un patron « voyou » mais un humaniste et un paternaliste, mais assez nul quant à la gestion économique et à la projection dans l’avenir. Il ratait le virage de la montre à quartz.
  • L’usine de Palente à côté de Besançon allait fermer ; les luttes syndicales classiques avaient échoué. Les Lip décident le 12 juin de se constituer un trésor de guerre en saisissant le stock de montres. Il est planqué dans plusieurs lieux dont un couvent ou un lieu catholique de ce type. En effet les 7 ou 8 leaders de la lutte (Piaget, Vittot, Burgy, etc.) étaient tous membres à la fois du PSU et de la CFDT, de la mouvance chrétienne ACO, JOC, prêtres ouvriers ; (mouvance qui, avec 2000 ou 3000 membres, constituait la base ouvrière du PSU qui avait joué un rôle déterminant dans les luttes ouvrières de mai 68.

* Sophie : Le vol du trésor ne pose pas de problèmes à ces chrétiens ?

* Guy : Si, évidemment ! « Vol » ou « mise à l’abri du stock de montres » ? Sont-elles la propriété du patron ou celle des ouvriers qui les ont fabriquées ? Il a fallu que le Dominicain Raguenès se fâche et dise « je ne vais quand même pas être obligé de vous donner l’absolution ! »

  • Il y eut aussi un énorme débat éthique et politique sur la hiérarchie des salaires : dans la paie « autogestionnaire » assurée par les ouvriers eux-mêmes, devait-on distribuer la même somme à toutes et tous, ouvriers ou cadres ? Plusieurs cadres étaient endettés, avaient des charges de famille ; l’égalitarisme risquait de casser la large unité du mouvement. On adopta un compromis.
  • Je te rappelle que, dans cette période, la CFDT autogestionnaire préconisait des augmentations de salaires uniformes, c’est à dire la même somme pour ouvriers et cadres, tandis que la CGT exigeait des augmentations proportionnelles aux salaires.


* Sophie : Et que se passe t-il ?

* Guy : L’usine est remise en route en autogestion et expérimente toute une série de problèmes fondamentaux comme ceux de la hiérarchie, de l’échelle des salaires ; de la rotation des tâches, du « produire pourquoi », des rapports femmes-hommes, des relations comité d’action syndicats, c’est à dire des non-syndiqués et des syndiqués. Le « on produit, on vend, on se paie » devient connu de la France entière, de même que l’énorme banderole « C’EST POSSIBLE » dressée devant l’usine.

  • « Il éclatait comme le cri de joie incrédule que l’on pousse lorsqu’on a réussi l’impossible, l’improbable » écrit Rocard dans la longue postface au livre LIP de Charles Piaget. Il y analyse remarquablement cette lutte. D’ailleurs le siège national du PSU sera la plaque tournante de l’organisation des ventes de montres LIP nécessaire pour assurer la survie des travailleurs ; ce recel et ces ventes illégales ont été assumées par le PSU et la CFDT, beaucoup de comités d’entreprises et notre Teinturerie (désobéissances civiques ?).
  • La lutte des LIP inspira celle des PIL, les femmes de Cerizay dans les Deux Sèvres qui fabriquaient des chemisiers. Lip a survécu plusieurs années avec un nouveau patron puis en coopérative. Il reste un symbole de la revendication autogestionnaire.

* Sophie : Votre section du PSU a fait quoi pour les Lip ?

* Guy : Notre groupe PSU 20ème a produit et collé plusieurs affiches de soutien. Mais mon meilleur souvenir est celui de l’aventure des ballons ! Nous décidons une opération médiatique de soutien aux LIP, à laquelle se joignent ceux du 5ème. Nous voulons déployer une banderole devant le lieu central qu’est l’Hôtel de Ville de Paris, assez haut pour que l’échelle des pompiers devienne indispensable à sa récupération. Il est envisagé d’accrocher la banderole par des nœuds coulants en haut des immenses réverbères de la place de l’Hôtel de Ville (à plus de 20 m).Ainsi elle restera visible assez longtemps. Comment faire ?

  • Une banderole légère en gaze sera hissée par un bouquet de ballons gonflés à l’hélium. J’achète une lourde bombonne d’hélium, la banderole, les ballons. Pour prévoir le nombre de ballons nécessaires à l’envol de notre message « LIP VIVRA» envoyé au gouvernement Messmer il faut faire des essais. Essais donc dans ma cage d’escalier au 11e étage. Des ballons éclatent, d’autres restent flasques. Nous nous amusons bien avant de trouver la quantité de ballons adéquate.

* Sophie : Et, ça marche, comme vous voulez ?

* Guy : La date et l’heure sont fixés. Les « commandos » s’organisent en 3 ou 4 voitures dont la 2 chevaux d’Agnès ! Les 30 ou 40 ballons gonflés sont empilés dans les voitures avec les militantEs et quelques-uns uns éclatent. Rendez vous réussi. Nous courons vers la place avec tout l’attirail. Angoissés par la présence du commissariat de police tout proche. Les équipes arrivent ensemble, fébriles, au pied des réverbères ; elles commencent l’installation, la banderole commence à monter.

  • Et… catastrophe. Un fort vent horizontal pousse les ballons vers la Seine. Le scientifique que je suis n’avait pas prévu de venir observer sur place et constater le rôle de certaines forces de la nature contrariant la force ascensionnelle. Nous nous affolons et décision peut-être trop rapide est prise de couper les amarres. La banderole LIP s’envole au paradis des rêves autogestionnaires et de l’utopie.
  • Obstinés, nous ne décourageons pas. Nous tirons la leçon et décidons une nouvelle opération dans l’immense salle des pas perdus de la gare Saint Lazare où ne souffleront pas de vents mauvais. Vite décidé, vite fait et… nouvel échec car les fils des ballons s’emmêlent dans les traverses métalliques du toit.
  • Bilan : nous avons les souvenirs joyeux d’une bande de copains.

* Sophie : Vous n’avez plus d’idée originale ?

* Guy : Si, et nous sommes encore surpris ! . Le Premier ministre Messmer a refusé d’autoriser la banque BNP à aider les LIP et à sauver leur entreprise. Il s’agit, pour notre section, d’écrire avec des bombes de peinture sur les agences BNP « LIP VIVRA » ou « DU FRIC POUR LIP ». Des secteurs de Paris sont définis pour des équipes de « bombage » réparties dans plusieurs bagnoles. Au moment du départ nous découvrons qu’une amie instit pense que « bombage » veut dire « pose de bombes »… Sans commentaire ! Le PSU était classé extrême-gauche dans les sondages, haï comme gauchiste par le PCF, mais quand même !

  • Sur une banque proche de mon lycée Chaptal, je viens, cette nuit - là de finir mon « bombage » quand quelqu’un derrière moi me frappe sur l’épaule ! Un flic ? Non, un élève maoïste qui m’a connu au lycée en 1968 ; il veut échanger des souvenirs, discuter. Mais je ne veux pas moisir devant mon « tag » et je rejoins mes camarades au chaud dans la voiture !
  • Certes nous avons vendu de façon tout à fait illégale des montres LIP venues du trésor de guerre que s’étaient constitué les travailleurs pour continuer à produire et à faire vivre l’usine. Ventes organisées dans notre local, rue de la Chine, comme dans beaucoup de villes, au siège national du PSU, dans les locaux des comités d’entreprise organisés par la CFDT en général…Nous avions beaucoup de clients mais nous étions angoissés par le risque de perdre notre petite part du trésor de guerre si la police arrivait car il n’y a pas de véritable issue de secours rue de la Chine. Pourquoi la police n’est-elle pratiquement jamais intervenue pour stopper ces ventes illégales ? (On qualifierait aujourd’hui ces actes de désobéissance civique, comme les fauchages d’OGM). Parce que la lutte des LIP était trop populaire ? Le souvenir des solidarités fortes devant les répressions de mai 68 trop proche ?

* Sophie :Quel bilan politique global fais-tu de la lutte des Lip ?

* Guy : Je vais l’emprunter à ce que j’écrivais après avoir vu le film : « Les Lip, l’imagination au pouvoir » de Christian Rouaud. Son film est l’analyse concrète du passage d’un capitalisme à un autre : du capitalisme d’entreprise, de production, souvent paternaliste, au capitalisme financier, un libéralisme pur et dur, voire sauvage et cynique (ce qui n’exclut pas un libéralisme sociétal dans le domaine des mœurs).

  • Politiquement, dans cette période, cela se traduira par la défaite du gaulliste Chaban Delmas face au libéral Giscard d’Estaing (alors soutenu par l’opportuniste Chirac). Le gaulliste Charbonnel et le patron rocardien Neuschwander racontent parfaitement dans le film cette transition entre 2 capitalismes et comment Neuschwander qui commençait à redonner un second souffle à LIP fut débarqué par le pouvoir giscardien.
  • Giscard d’Estaing expliqua cyniquement qu’il fallait punir les LIP car leur initiative pouvait « véroler les autres entreprises, provoquer une flambée ouvrière et syndicale». Cela souligne combien l’idée autogestionnaire semble dangereuse pour nos adversaires.

* Sophie : Toi ? A titre personnel, en dehors de ces actions collectives ?

*Guy : Bien sûr, j’ai acheté une montre, visité l’usine de Palente pendant les vacances scolaires d’été, assisté à un réunion de la cellule PSU de l’usine. Je pense que les Lip étaient les seuls PSU à utiliser le mot cellule du PCF au lieu de section ?Tu imagines mon bonheur de pouvoir parler avec Piaget, Vittot, etc. ! J’ai acheté une tête de fusée transformée en minuteur pour les cuissons, et, plus tard un jeu ce Chomageopoly ?

  • Le Chomageopoly est un jeu inventé par les LIP en 1977-1978. Ce jeu se veut l’opposé du Monopoly. « Il ne fait pas appel à l’esprit de compétition mais aux solidarités ». On ne s’y bat pas les uns contre les autres, mais collectivement et solidairement pour sauver ensemble les entreprises menacées de fermeture, représentées par des pions en forme de petites bouteilles aux bouchons de différentes couleurs.
  • Ces pions se déplacent sur les 40 cases de l’échiquier en fonction des chiffres donnés par les dés, comme sur un jeu de l’oie. Les 40 dessins des cases ont été réalisés en soutien par six dessinateurs bien connus, ce qui souligne l’ampleur des soutiens aux travailleurs de Lip.
  • Les commentaires sur les cartes obtenues lors de l’arrivée sur telle ou telle case qui s’appellent : « chance », « les banques financent », « coordination », « petite, moyenne ou bonne solution » dans la négociation avec le patron, sont tous différents, intéressants encore aujourd’hui. On y joue non pas avec de l’argent, mais avec des tickets « rapports de force ». On pourrait imaginer un tel jeu sur les prises de conscience écologique ?
divers
Vingt quatrième texte : 1971, année baroque

* Sophie : Tu m’as parlé de votre journal. N’aviez-vous pas encore des techniques audiovisuelles ?

* Guy : A l’époque, nous ne connaissions pas les vidéos, si elles existaient. Mais nous avons réalisé en 1971 un montage audiovisuel, assez remarquable. Utilisé en premier lieu pour la campagne des municipales. C’est une réussite militante, esthétique, politique.

  • Il s’agit d’une projection en « fondu-enchaîné par deux appareils» de nombreuses diapositives, projection rythmée par l’audition simultanée de chansons, d’interviews d’habitants et de reportages des journalistes de Europe 1 faits sur le vif en mai 68. Ce montage a été fort apprécié lors de ses projections qui ont continué après la campagne.
  • Il est baptisé : « Des pierres, des hommes, des luttes » C’est une idée de Claude Daugé. De longues et nombreuses réunions de travail se tiennent chez moi avec Claude, Jean Biscarros, Laurent Zundel et peut-être quelques autres épisodiquement. Nous décidons de réaliser des interviews d’habitant/es dans les rues et parfois chez eux. Jean me rappelle combien il fut surpris de voir autant de passants accepter volontiers de répondre.
  • Surpris également de constater combien leurs réponses étaient souvent claires, directes, percutantes sur des problèmes politiques importants comme la « déportation » en banlieue des plus défavorisés. C’est sans doute ce thème développé dans nos listes « Paris aux travailleurs » qui a fait le succès de celle-ci avec plus de 9% et a stupéfait le PCF. Les interviewés ne parlaient de leurs soucis personnels, quotidiens que pour les lier à une vision collective. Belle démonstration de lucidité et de sens du bien commun !

* Sophie : Vous aviez le matériel requis ?

* Guy : Nos interviews étaient loin d’être parfaites car nous n’avions pas un matériel de professionnels et des bruits annexes étaient perturbateurs. Le travail de lecture, de bonification technique, de choix des séquences à sélectionner a été long, un peu fastidieux. Plus joyeux le choix des chansons à enregistrer ! J’avais acheté un gros magnétophone Revox et le couple Schalchli avait décidé d’adhérer à condition que leurs cotisations servent à acheter une table de mixage.

  • Nous n’étions pas des pros. Laurent Zundel et Jean Biscarros ont été les artisans majeurs de la réalisation des mixages. Nous avions même prévu que le déclenchement des projections de diapositives serait commandé par la bande du magnétophone au moment adéquat. Mais cela n’a pas fonctionné en pratique et j’ai appris avec plaisir le rythme nécessaire à la concordance entre le son et l’image, dans le passage d’un projecteur à l’autre. Les spectateurs étaient admiratifs.

* Sophie : Peux-tu me raconter un peu le contenu du montage ?

* Guy : Le montage s’ouvrait avec la chanson « Sous les toits de Paris » et de belles photos de notre arrondissement. Une séquence importante portait sur le logement et les promoteurs avec projection de nos affiches « Les promoteurs sont les casseurs, main basse sur la ville», « On démolit les entreprises, on expulse les travailleurs, Les riches s’installent » et nous étions ravis d’avoir trouvé pour accompagner cette projection la chanson « Les loups sont entrés dans Paris » chantée par Serge Reggiani.

  • Une partie importante était consacrée aux transports illustrée par « Le poinçonneur des Lilas » chanté par Serge Gainsbourg et nos affiches en sérigraphie « Pense pas… roule ! », etc. Suivait une séquence sur le contrôle ouvrier, une autre sur les foyers de travailleurs immigrés, toujours avec projection de nos affiches de l’atelier 20e ! La fin sur mai 68 était déjà un peu décalée mais les images de manifestations de mai 68, la belle affiche du CRS au brin de muguet et « Il ne s’est rien passé» rappelaient de bons souvenirs à plusieurs.

* Sophie : Tu as dit que le montage avait été important pour une campagne électorale, pour les municipales ! Parle-moi de cette campagne !

* Guy : Michel Rocard est secrétaire national du PSU. Le PSU parisien a mené des actions fortes pour les transports publics et contre la rénovation de Paris qui aboutit à en expulser les classes populaires. Il a rédigé deux livres noirs remarquables. Tout cela avec Lutte Ouvrière. Oui ! Oui !

  • Donc il est assez logique que soient constituées des « listes communes PSU-LO » aux élections municipales du 14 mars1971. Listes intitulées « Paris aux travailleurs ». Je suis tête de liste dans le 20ème ; sur les 7 candidats titulaires : 5 PSU et 2 LO (3 ouvriers, 2 employés, 1 artisan, 1 prof).et sur les 7 suppléants : 6 PSU et 1 LO.

* Sophie : Alors, comment cela se passe t-il ?

* Guy : Pas mal, globalement. Mais Lutte Ouvrière a une conception bolchevique du rêve révolutionnaire. Pour préparer le grand soir, il faut construire une force clandestine, déterminée, cohérente sur le plan idéologique. Pas de siège officiel, des dirigeants inconnus, hantise du repérage par la police. Donc nos candidats LO du 20ème viendront du 14ème ou du 15ème et ne se connaissent entre eux que sous des pseudonymes. Alors que moi, qui ai déposé la liste à la préfecture, je ne connais que les vrais noms. C’est commode pour le travail en commun, quand je parle de Durand et que, eux, connaissent Léon ! . Et, absurdité paranoïaque, la police connaît bien évidemment tous les candidats déposés.

  • Est gravée dans ma mémoire la réunion au siège du PCF pour le second tour. C’est le PCF qui dirige la liste d’union PC, PS, Radicaux de gauche. Or, à sa stupéfaction notre liste dépasse les 9% et nos voix sont indispensables pour le succès de la liste de gauche au second tour.
  • Le PC considère le PSU de Rocard comme une force irresponsable, gauchiste et sectaire. Il n’ose pas demander directement une réunion avec nous et passe par l’intermédiaire de militants d’Objectif socialiste (groupuscule du gaulliste Buron qui a fait partie avec le PSU et des écolos du front autogestionnaire. Buron rejoindra bientôt le PS). Nous acceptons et venons Rue Pelleport au siège du PCF avec bien entendu nos « camarades » de LO pour vivre des moments surréalistes.

* Sophie : Tu me mets l’eau à la bouche !

* Guy : Les chefs PC déclarent : « Nous, ici, nous ne connaissons que le PSU ». Les camarades LO logiquement déclarent à chaque intervention : « nous, à LO… ». Les apparatchiks PC se tournent alors vers moi pour répondre et doivent calmer leurs jeunes militants dont l’excitation peut compromettre la suite. Il faut éviter que nous rédigions un tract de second tour sur droite et gauche « blanc bonnet et bonnet blanc » comme le PC avait dit de Pompidou et Poher au second tour d’une certaine présidentielle et comme le fera souvent LO.

  • « Vous avez mordu sur notre électorat populaire de Belleville et Amandiers et l’avez abusé avec votre titre « Paris aux travailleurs». Les travailleurs étaient la chasse gardée, le « monopole » du PCF ; comme étaient la « propriété du PCF » pour l’affichage d’une série de murs de l’arrondissement. Le « travailleurs-travailleuses » d’Arlette apparaissait mais le PSU lui aussi parlait volontiers aux « travailleurs » dans ses affiches. Mai 1968 était encore très présent.
  • « Vous avez aussi mordu sur l’électorat de droite le long des Boulevards des Maréchaux ». Je cherche à répondre à cette vacherie. « Mais non, ne te trompe pas, c’est très positif car quand des électeurs commencent à bouger, ils peuvent continuer ».
  • Pour gagner, il faut ménager les gauchistes mais aussi la droite populiste. Pendant ce temps là, le vieux notable socialiste, présent pour la forme ne comprenant rien au film, il était ailleurs, ahuri, assoupi. Charzat n’avait pas encore été parachuté de son 16éme arrondissement ! Nous ferons un tract sage d’appel à battre la droite mais elle ne sera pas battue.

* Sophie : Je ne pense pas que Rocard soit sur cette ligne d’alliance ?

* Guy : Non. Il essaie de surfer sur diverses vagues. Sa tendance « Deuxième gauche » est contestée vivement par plusieurs tendances de forces inégales : une tendance trotskisante, une tendance « luxembourgiste » (avec Michel Mousel qui deviendra secrétaire national en 1974 lorsque Rocard rejoindra le PS), et surtout deux tendances maoïstes : la GR (Gauche Révolutionnaire) et le courant 5 qui deviendra la GOP (Gauche Ouvrière et Paysanne).Ces deux dernières sont particulièrement puissantes en Ile-de-France et en Rhône-Alpes.

  • Le congrès de Lille de juin 1971 marque le premier affrontement politique entre ces orientations et esquisse les futures scissions. Je l’ai vécu comme délégué de la petite tendance luxembourgiste. Son déroulement dramatique et ses conclusions « cocasses » méritent d'être connus. Les principaux protagonistes escamotent dans leurs récits ultérieurs un aspect essentiel de ce congrès, pour des raisons fort différentes ! Michel Rocard est légèrement minoritaire pendant les deux premières journées de ce congrès qui a été préparé sous la pression du courant 5 et de la GR dans 17 Assemblées Régionales Ouvrières et Paysannes par des militants PSU mais aussi des non adhérents. Les tendances maoïstes imposent leurs thèmes et leur vision dans le débat d’orientation. Les textes adoptés portent sur : - le mouvement politique de masse (thèse développée en Italie par « Il manifesto » dans « Pour le communisme »), - le parti révolutionnaire et - la dictature du prolétariat !
  • Dans la nuit du samedi au dimanche les animateurs des tendances les plus radicales rencontrent discrètement Rocard pour discuter de la répartition des responsabilités dans la future direction, alors que tout dialogue semblait impossible. Le lendemain Michel Rocard monte à la tribune pour révéler ces tractations et souligne que les mêmes qui dénoncent avec virulence ses trahisons réformistes et le dépeignent comme un véritable ennemi de classe sont prêts à passer des compromis avec cet ennemi ! C’est un choc pour les délégués et Benneteau délégué de Toulouse décide de reporter les mandats dont il est porteur sur la motion Rocard. Il est hué par le congrès et repart à Toulouse. Rocard est réélu de justesse secrétaire national avec une plate-forme intitulée « Pour une orientation révolutionnaire » qui contient une définition du mouvement politique de masse et une référence à la dictature du prolétariat que « le stalinisme a transformé en dictature sur le prolétariat ». Dans le Tribune socialiste du 1er juillet 1971 qui rend compte de ce congrès de Lille, Michel Rocard dans son éditorial « Pour une nouvelle étape utilise 23 fois l’adjectif révolutionnaire accolé à: parti, mouvement ou programme !
divers
Vingt troisième texte : Les « riches heures » de ma section PSU

* Sophie : Peut-être est-ce le moment de me décrire ta section PSU du XXe arrondissement, son organisation, ses activités, ses animateurs-trices, son ambiance ?

* Guy : J’avais beaucoup écrit sur cette section, pour un premier projet, textes très partiellement utilisés pour le livre « Mon PSU ». De plus, en cherchant des dates je viens de retrouver un dossier sur notre premier week-end de formation dans l’île des Migneaux, à Poissy, au Relais International de la Jeunesse. Nous y ferons ensuite 3 autres week-ends de formation, pour la seule section du XXe.

  • Je ne pensais pas que nous avions commencé si tôt : le dimanche 27 octobre 1968. J’avais oublié les 4 thèmes abordés et le sérieux de leur préparation confiée à 4 groupes, avec 4 animateurs dont moi. Les rapports introductifs avaient été imprimés et présentés le samedi chez moi. Donc tu vois, je m’étais vite intégré !
  • Les 4 « essais » introductifs sont bien symboliques de l’époque. Voilà leur libellé : la stratégie révolutionnaire – le socialisme dans un pays industriel – le communisme – le capitalisme ! Le vocabulaire également est caractéristique. Je ne me souviens plus des débats de Poissy, mais de la beauté du lieu. Pour les week-ends suivants nous prendrons deux jours avec le samedi et nous coucherons sur place, ce qui permettra de créer une joyeuse ambiance et de souder le groupe !

* Sophie : Tu ne m’as pas vraiment répondu !

* Guy : Le militantisme intense de l’époque te paraîtra étonnant. Tous les groupes de travail dont je vais te parler n’ont sans doute pas existé simultanément et n’ont pas vécu pendant la même durée. Ils rassemblaient de 5 à 10 personnes. Pratiquement, chaque semaine ou chaque quinzaine se réunissent :

  • - Un groupe « immigration » qui rédige tracts et brochures, travaille avec les instances nationales, en particulier pour créer des affiches, et d’autres associations.
  • - Un groupe « entreprises » qui rédige de multiples tracts locaux, très pédagogiques pour Bull informatique (2400 employés avenue Gambetta et 1000 rue d’Avron), le centre de documentation du CNRS, rue Boyer, l’hôpital Tenon, l’usine SOPELEM (optique) du Bd Davout, l’entreprise SANCAR qui fabriquait des armoires métalliques, la BNP de la place Gambetta pendant sa longue grève.
  • - Un groupe « sérigraphie » dont je t’ai parlé !
  • - Un groupe « femmes » dont les hommes sont exclus, décision bien utile pour que les femmes osent toutes prendre la parole. En effet les débats des réunions plénières étaient souvent fort théoriques avec, en particulier, de longs discours de plusieurs théoriciens du « luxembourgisme ».

* Sophie : C’est quoi le luxembourgisme ? C’est né au Luxembourg ?

* Guy : Non, pas du tout ! C’est en référence à Rosa Luxembourg, révolutionnaire allemande assassinée en 1919, marxiste hostile à la vision léniniste de la dictature du prolétariat. Notre camarade Alain Guillerm publiera deux livres au moins sur Rosa Luxembourg qu’il voyait en pionnière de l’autogestion.

  • Je continue ma liste des groupes de travail de la section :
  • - Un groupe « école », avec notamment des lycéens, des étudiants, une surveillante générale du lycée de Montreuil. Il se réunissait chez notre grand trésorier Roger Bournazel, dont je te reparlerai.
  • - Un groupe « cadre de vie », dont les quelques membres travaillent avec le CLAD (Comité de Liaison pour L’animation et le Développement du vingtième arrondissement qui a publié une soixantaine de brochures entre 1972 et 1994, sur transports, urbanisme, fêtes, etc. et se méfiait de la récupération éventuelle par le PSU) Michel Riaudel se rappelle le grand jeu de l’oie organisé devant l’église Notre Dame de la Croix, rue de Ménilmontant, pour populariser les réflexions.
  • - Un groupe « santé » qui travaille avec des sympathisants dont un médecin du quartier. Il a contribué à l’édition d’une brochure sur l’IVG à l’hôpital Tenon.
  • - Un groupe de vendeurs du journal TS, Tribune Socialiste, le journal du parti (chaque semaine TS était vendue à 7 ou 8 stations de métro et au porte à porte le dimanche). Les ventes oscillaient entre 50 et 70 car j’ai gardé nos graphiques. Ce groupe ne se réunissait pas en tant que tel, mais exigeait une organisation.

* Sophie : Avec tous ces groupes la coordination doit être importante ?

* Guy Oui ! Notre bureau est très efficace au niveau de l’organisation, des contacts avec les sympathisantEs ou les adhérentEs (en particulier lorsqu’ils ou elles sont un peu démotivés). Autour de Claude Picart, puis de moi ensuite, en collaboration avec le trésorier Roger Bournazel dont il me faudra faire le portrait.

  • Nous avions une réunion plénière tous les 15 jours avec des débats très riches et théoriques, mais aussi des plannings très concrets de ventes du journal, d’affichages, de séances sérigraphie, de manifs très fréquentes à l’époque, etc.. Le bureau se réunissait tous les 15 jours (les semaines sans réunion plénière).
  • Quelle période ! Nous rêvions de changer la vie, mai 68 nous avait donné espoir, énergie, imagination.-
  • La réalisation des fêtes PSU de juin fut chaque année un énorme travail. Elles eurent lieu ; en 1974, à Meudon, dans le jardin de l’Observatoire, pour la première, puis sur le stade de Colombes, en 1975, et enfin plusieurs fois à la Courneuve. Publicité (de magnifiques affiches chaque fois), vente de billets, installation de clôtures autour du lieu de la fête, pour La Courneuve, organisation des tenues des guichets, des tours de garde pour les clôtures et la sécurité centrale des recettes, nettoyage du terrain après les festivités sont pour toutes et tous de bons souvenirs, même si tout cela était épuisant !
  • Nous avons accueilli une énorme quantité de chanteurs mondialement connus que je ne peux te citer toutes et tous. Aucune présence de publicité !! C’est le climat : une pluie énorme sur nos deux jours de fête qui provoqua une catastrophe financière et…la fin des fêtes
  • Notre section du 20e a organisé, lors de ces fêtes, un stand sur la « révolution des oeillets » au Portugal, avec vente de porto, un sur l’histoire de PSU: « le PSU tout nu », un sur les droits des immigrés et un avec un atelier de sérigraphie et vente massive de notre fameuse affiche sur la Commune de Paris.
  • Le bureau, pour faire des économies, mit en place la distribution de courrier dans un certain nombre de boites à lettres, à partir d’une organisation par quartiers.

* Sophie : Y avait-il un journal de section ou un simple bulletin ?

* Guy : De décembre 1969 à février 1978, 42 numéros du « Bulletin intérieur de la 20e section » furent imprimés sur notre ronéo. En ces temps-là Internet n’existait que dans le domaine des recherches. Les techniques de photocopie étaient rudimentaires. Nous avons d’abord utilisé une ronéo qui tournait à « l’huile de coude » ! Puis, gros progrès, nous avons acheté une ronéo avec un moteur électrique. Elle a longtemps été installée dans mon appartement de la rue Haxo et son bruit m’a causé quelques soucis avec les habitants de mon escalier.

  • Notre machine à écrire perforait la fine pelure d’un stencil. Celui-ci était fixé sur la ronéo et l’encre imprimait à travers les trous. Les titres étaient faits avec un stylet à travers les lettres d’un normographe. Parfois le stylet déchirait le stencil et il fallait recommencer toute la page. C’est Madeleine Hennebault qui a frappé la plus grande partie de nos textes du journal ou de nos tracts. Elle a pu perfectionner la mise en pages lorsque j’ai acheté une machine à écrire Bull qui permettait en changeant de boule de changer les caractères d’impression.
  • En 1978,nous avons décidé d’êt* re plus ambitieux et d’avoir un journal diffusé le plus largement possible. Nous avons cherché un titre et c’est Paul Oriol qui a trouvé le titre adopté : « Les Pavés de la Commune ».Il évoque à la fois l’histoire du quartier et de ses barricades, dans la Commune de Paris et aussi la vie quotidienne dans les rues de l’arrondissement.

* Sophie : Réussissez-vous votre pari ?

* Guy : La vie des Pavés commence en mai 1978 et comportera 103 numéros dont 72 numéros pour le PSU (dernier numéro en octobre 1989) et 31 pour l’Alternative Rouge Et Verte qui succédera au PSU (dernier numéro en janvier 1998, moment de notre passage chez les Verts). Nous avons alors obtenu un numéro de dépôt légal et un numéro de la Commission Paritaire de Presse, car notre journal ne comportait pas de publicité. Ainsi la poste nous permettait l’envoi à un tarif réduit à condition que soient envoyés au moins 4 numéros par année, et de faire à chaque fois 10 envois légaux (6 pour la Bibliothèque Nationale, 2 au Premier ministre, 1 au ministre de l’intérieur, 1 au Préfet de police signé par le directeur de publication qui pouvait ainsi être éventuellement poursuivi ! Je fus ce directeur de publication ).

  • Les articles étaient illustrés par des dessins de Plantu (qui avait donné son accord implicite). La première page a longtemps été illustrée par une photographie d’une vieille rue du quartier, prise par Jean-Claude Chastaing. Les numéros contenaient les tracts de la section chaque fois que nous en produisions (et il y en eut beaucoup), souvent des poèmes ou des dessins.
  • Dans chaque numéro l’article que cherchaient en premier lieu les lecteurs était « Les mauvaises lectures de Polo » où Paul réunissait une série de petits billets originaux par leur humour, leur variété, leurs provocations – billets inspirés par ses lectures. J’ai souvent rédigé l’éditorial.
  • Ce fut une riche aventure humaine, politique, collective.

* Sophie : Au niveau technique, avez-vous remplacé l’archaïque ronéo ?

* Guy * : Nous avons fait un bond technique et qualitatif avec l’achat d’une petite off-set d’occasion installée sur la mezzanine de la Teinturerie de la rue de la Chine. Pierre Ragon, Michèle Véchambre et moi, professeurs dans « le civil » sont devenus offsettistes ! Notre amateurisme nous a causé bien des ennuis : impression trop pâle, à droite – trop pâle à gauche – puis sur toute la page, car le réglage de l’eau ou celui de l’encre n’étaient pas bons ! . Le bourrage du papier nous obligeait à démonter le bloc moteur pour tout nettoyer avant de recommencer ; et l’encre envahissait le sol, les mains, le bout de mon nez, les manches du pull si bien qu’Agnès a dû m’acheter une salopette ! . Avec les ratages nous avons souvent passé un samedi entier pour effectuer le tirage du journal.

  • Pour éviter les bourrages et que les ramettes de papier soient bien « déramées » nous avons acheté une vibreuse électrique et pour la collation des pages un appareil spécial. Cette dernière opération, l’agrafage, l’écriture des adresses de 400 ou 500 « abonnés », la mise sous plis se faisait avec une petite équipe dans un climat fort convivial.
  • Nous avons fini par remplacer les tirages off-set par la photocopie, en mai 1993. Plus coûteuse, mais plus belle, et moins aléatoire pour les néophytes de la technique offsettiste !
divers
Vingt deuxième texte : Syndicalisme et politique, mélange décevant

* Sophie : Dans le domaine syndical as-tu d’autres choses à me raconter ?

* Guy : En 1960, Michel Debré, Premier ministre, soulève la colère des défenseurs de la laïcité, avec sa loi sur le financement public de l’école privée. Le CNAL (Comité National d’Action Laïque) rassemble la FEN (Fédération de l’Education Nationale), la Ligue de l’Enseignement, la FCPE, pour les parents d’élèves et tous les partis de Gauche…

  • Une pétition est lancée le 13 février et la quête des signatures s’organise méthodiquement sur des cahiers dont la première page est illustrée par un beau dessin de Jean Effel. Pierre Aron et moi, nommés au lycée Chaptal en octobre 1958, membres du SNES et du PSU, sommes chargés de la collecte de signatures dans les immeubles de la rue de Rome, Paris 8e, le long des voies de la SNCF gare Saint-Lazare.
  • Nous faisons sérieusement du porte à porte dans ces grands et vieux immeubles. Les habitants refusent de nous ouvrir, de sorte que nous faisons nos explications face à une porte close. Presque toujours la réponse est violente, injurieuse ! Certain(e)s ont le « courage » d’ouvrir la porte pour débiter leurs insultes en face de nous et claquer ensuite la porte violemment. !
  • Le dernier étage est celui des chambres de bonnes et là, l’accueil est sympathique ; nous pouvons entrer et discuter mais nous n’avons pas de signatures, car les « bonnes » ont peur que leur patronne sache qu’elles ont signé. Même phénomène pour un certain nombre de concierges. Les classes sociales sont donc bien une réalité incontestable ; et un demi-siècle après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le sujet de la laïcité est un marqueur des classes sociales dont nous ne soupçonnions pas la profondeur et la violence !

* Sophie : Alors, vous arrêtez ou vous continuez quand même ?

* Guy : Désemparés mais pas découragés, Pierre et moi décidons de continuer la recherche, non plus en tandem mais individuellement. Alors me voici donc seul devant une dame qui a ouvert la porte de son appartement. Elle écoute mon exposé et dit « Je pense que mon mari sera intéressé mais il finit une petite conférence ; alors, si vous voulez, vous pouvez l’attendre dans le couloir. » Surprise inespérée ! Je m’assois donc pour attendre dans le couloir et j’entends dans la pièce contiguë : « Mon Dieu, donnez-nous la force de convaincre nos futurs auditeurs… » L’insulte va, cette fois, être structurée !

  • La conférence se termine ; je développe mon argumentation et…le Monsieur dit : « Oui, donnez, je vais signer. » C’était un pasteur et les protestants soutenaient le CNAL (nous aurons, par la suite, la signature d’un autre pasteur).En bas de l’immeuble, Pierre, inquiet, se demandait ce qui m’était arrivé !
  • La pétition recueillera, au plan national, plus de dix millions huit cent mille signatures et l’action se terminera le 19 juin par un immense rassemblement (350 000 personnes) sur la pelouse de Reuilly à Vincennes, et un serment solennel.
  • Un certain nombre d’habitants de mon pays natal, la Creuse, membres du parti radical-socialiste, viendront. Le député de la circonscription creusoise était alors le baron Olivier Harty de Pierrebourg, radical-socialiste. Et devine ! Il votera les lois antilaïques de Debré. Mes compatriotes continueront à le soutenir. Pourquoi dis-tu ? Parce qu’il rend bien des services aux familles de ses soutiens. C’est malheureusement la réalité de la pratique radicale dans ces terres creusoises ou corréziennes et peut-être en d’autres lieux !

* Sophie : as-tu assumé des responsabilités sur le plan syndical ?

* Guy : Oui ! Il faut que je t’explique la complexité du syndicalisme enseignant !

  • En 1948, la guerre froide entre l’URSS et les Etats-Unis provoque dans le mouvement syndical la scission entre CGT et CGT-FO. La FEN (Fédération de l’Education Nationale) est alors créée, devient autonome et assume, grâce à son organisation en tendances, la diversité des sensibilités de gauche. Parmi les nombreux syndicats de cette Fédération, trois sont importants :
  • - le SNI (Syndicat National des Instituteurs) sera pendant des décennies contrôlé par le parti socialiste
  • - le SNESup (Syndicat de l’Enseignement Supérieur) jouera un rôle important en 1968
  • - le SNES (Syndicat National de l’Enseignement Secondaire) sera, lui, dirigé de fait par les communistes à travers la tendance Unité et Action.
  • C’est au SNES que je militerai depuis mes débuts de prof. en 1954 jusqu’en 1980, au niveau local et même au niveau national entre 1968 et 1972. En 1980 je passerai au SGEN-CFDT !

* Sophie : Le PSU a eu quelle position sur les appartenances de ses militants par rapport à ces problèmes ?

* Guy : En 1968 nous avons parlé des liens étroits avec la CFDT, dans les milieux ouvriers ; mais d’autres militantEs ont été membres de la CGT, voire de FO.

  • Dans la FEN, les tendances officiellement organisées sont :
  • - Unité et Action (à hégémonie PC au niveau de la direction),
  • - Indépendance et Démocratie (à dominante socialiste),
  • - FUO (Front Unique Ouvrier, tendance des trotskistes lambertistes, fortement implantés par ailleurs dans FO, et qui font moins de 1% à chaque élection présidentielle, avec des sigles sans cesse renouvelés)
  • - Ecole Emancipée (constituée de militants de la pédagogie Freinet, par ailleurs membres du PSU, de la LCR ou libertaires).
  • Pour sortir de la sclérose liée à ces luttes de clans figés et impulser une réflexion de fond sur l’Ecole, le PSU, en 1968, sous l’impulsion de Robert Chapuis, bras droit de Michel Rocard, impulse une cinquième structure Rénovation Syndicale.
  • J’ai régulièrement participé aux réunions hebdomadaires des animateurs de ce groupe : le philosophe Guy Coq, connu actuellement pour ses travaux sur la laïcité, l’ancien communiste « italien » Jean-Claude Guérin, Patrick Viveret. L’initiative correspondait à une véritable attente ; et je me suis retrouvé élu au parlement national du syndicat du SNES (le S4) où j’ai siégé 3 ou 4 années.

* Sophie : Tout cela est compliqué et un peu politicien ! Quel bilan peux-tu faire ? Et n’y a t-il pas des anecdotes amusantes,

* Guy : Rénovation Syndicale a publié régulièrement des petites brochures, organisé des stages en été ; elle a travaillé en étroite collaboration avec l’Ecole Emancipée et créé le GEDREM (Groupe d’Etude, de Défense et de Rénovation de l’Ecole Maternelle) dont les travaux ont été particulièrement progressistes ; il a sorti 34 numéros de la brochure « Petite enfance » entre septembre 1972 et novembre 1978.

  • Quelques anecdotes amusantes. J’ai entendu Jean-Jacques Marie, leader du FUO, défendre avec flamme la dissertation littéraire et aussi l’agrégation comme des conquêtes de la classe ouvrière ! Bizarre pour un « révolutionnaire ! » J’ai vu l’Ecole Emancipée prouver que la direction syndicale avait utilisé les étiquettes de son fichier pour envoyer des documents de propagande de Jacques Duclos, candidat PC à l’élection présidentielle de 1969.
  • Mais mon souvenir le plus marquant est lié à un débat que j’ai soulevé au S4 (l’instance nationale) à propos de la division en catégories. L’enseignement second* aire est fortement hiérarchisé, tant au niveau des salaires que pour le nombre d’heures de service hebdomadaire dues dans l’établissement : professeurs certifiés (18 h de service), agrégés (15 h), professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles (entre 9 et 12 h). Ces divisions se prolongent parfois dans la vie quotidienne des salles des professeurs ou à la cantine, comme je te l’ai dit déjà.

* Sophie : Quel est ce nouveau débat ?

* Guy : Dans cette période, le gouvernement décide de créer une nouvelle catégorie, celle des professeurs de chaire supérieure pour les profs de classes préparatoires. Elle leur permettra d’accéder aux échelles lettres de la fonction publique comme les grands commis de l’état. Ils bénéficieront donc de salaires très importants. Cette création d’une nouvelle division me semble fort dangereuse pour l’unité du corps enseignant et je suis persuadé que la proposition de lutte contre ce projet que je fais lors d’une réunion de l’instance nationale du SNES fera l’unanimité.

  • Et … stupéfaction ! Cette idée est rejetée par mes camarades communistes qui osent dire : « C’est très bien cette augmentation de salaires ; peu à peu nous obtiendrons l’alignement pour tous les agrégés ! » Vous devinez que cela ne s’est pas produit et que le fossé avec les autres catégories ne s’est pas réduit. Le SNES voulait conserver cette « clientèle » bien qu’elle soit peu nombreuse en réalité à l’époque. Dans la réalité, ces enseignants sont très efficacement défendus par leurs associations catégorielles dont les divisions sont caricaturales.
  • La plus « noble » association est l’UPS (Union des Professeurs de Spéciales) réservée aux professeurs de mathématiques ou de physique. Comme elle n’a pas voulu accueillir les professeurs agrégés de mécanique-technologie, ceux-ci ont créé l’UPSTI (Union des Professeurs de Spéciales des Techniques de l’Ingénieur). Les professeurs de lettres en khâgne ont leur propre association ainsi que les professeurs de langues ! Restent syndiqués les enseignants de cette catégorie qui ont une forte conscience politique et un réel souci de solidarité.

* Sophie : Et, dans ton propre lycée ? Quel lien entre ton activité politique et ton activité syndicale ?

* Guy : Au lycée Chaptal, catalogué comme « lycée rouge » après 1968, j’ai été secrétaire de la section syndicale du SNES. Les réunions qui rassemblaient une bonne quarantaine de syndiquéEs étaient en général tendues entre militants du mouvement de mai 68 et les militants communistes. Ces derniers, minoritaires, demandaient souvent des votes dans une urne à bulletins secrets pour obtenir le soutien du « marais » et des syndiqués de droite. Cela n’a pas fonctionné jusqu’à l’épisode du conseil de discipline dans lequel j’ai été avocat des élèves maoïstes Le PC a pu alors persuader quelques collègues que mon action était plus politique que syndicale et nous avons perdu la majorité !

  • La lutte féroce entre communistes et socialistes pour la conquête de la direction de la FEN, ajoutée au corporatisme du SNES m’a conduit en 1980 à passer au SGEN-CFDT, plus faible mais plus progressiste sur les problèmes de fond et par ailleurs lié à une confédération ouvrière, autogestionnaire et, qui plus est, antinucléaire. La lutte entre socialistes et communistes pour le contrôle de la FEN conduira finalement à une scission en 1982.
divers
Vingt et unième texte : Chaptal lycée rouge

* Sophie : Et dans ton lycée ? Quelles sont les retombées de mai 68 ? __

  • Guy__ : Nous sommes donc au lycée Chaptal, pendant l’année scolaire 1969-1970. Le nouveau est Monsieur Giraudon, intelligent, humaniste, compétent, syndicaliste de la Fédération de l’Education Nationale. Il est chargé de remettre de l’ordre dans ce lycée un peu trop dominé par les « enragés » de mai 68. Le lycée comporte trois secteurs de 700 élèves chacun, environ, autour de trois cours carrées : le « petit lycée », futur collège, le « moyen lycée », pour les élèves de la seconde à la terminale, et le « grand lycée », pour la vingtaine de classes préparatoires aux Grandes Ecoles.
  • Le mouvement de mai 68 a donné le droit aux élèves à l’expression politique sur des panneaux muraux de la cour du « moyen lycée ». Le noyau politique dominant est constitué par des élèves de cette partie du lycée et des classes littéraires du « grand lycée », membres de VLR (Vive La Révolution, organisation maoïsante) et liés à la fac de Nanterre. Il existe un noyau d’élèves membres de la LCR de Krivine et de communistes organisés dans l’Union Nationale de Comités d’Action Lycéenne (UNCAL), opposés aux CAL de mai
  • Le corps professoral est assez politisé. Nous sommes 5 membres du PSU. La cellule communiste comporte une petite vingtaine de membres (profs, agents, surveillants) ; mais ils sont divisés entre orthodoxes purs et durs et « rénovateurs » avant l’heure. Un seul collègue affirme son appartenance au parti socialiste. Un prof. d’espagnol fait ouvertement l’apologie de Franco dans ses classes. Je suis secrétaire de la section syndicale SNES-FEN qui rassemble une écrasante majorité des enseignants et des surveillants d’internat ou d’externat ; le SGEN-CFDT ne comporte que 4 ou 5 adhérents.

* Sophie : Merci pour cet état des lieux ! Mais que se passe t’il ?

* Guy : Les élèves se sont fabriqué des matraques en cassant les pieds de chaises métalliques, pour parer à une attaque éventuelle des « fachos ». Le proviseur fait circuler dans les classes une note affirmant que, dorénavant, tout élève porteur d’un barreau de chaise sera immédiatement traduit devant le conseil de discipline. Les barreaux sont planqués sous les estrades des profs.

  • Le temps passe et puis, un beau jour, le bruit circule qu’un commando fasciste marche sur le lycée. Il faut organiser la résistance ! Les barreaux de chaise sortant de leurs planques, des équipes se constituent. Et notre bon collègue franquiste s’empresse de donner au proviseur la liste des élèves qu’il a vus « armés ». Comme par hasard, ce sont les leaders de VLR qu’il avait bien repérés depuis un moment. Le conseil de discipline va donc avoir lieu pour 6 lycéens.
  • Notre réunion du SNES est houleuse ; les « staliniens » se réjouissent du nettoyage qui va exclure ces dangereux irresponsables ; nous sommes évidemment plus mesurés : nous allons faire une enquête auprès des habitants du quartier et découvrir que la rumeur était bien fondée. Nous décidons de servir d’avocats aux élèves incriminés et je serai l’avocat du leader VLR de Chaptal !
  • Nous voilà donc dans le somptueux bureau du proviseur, 50 mètres carrés au moins. Le tribunal est disposé en U : au centre le proviseur et les représentants de l’administration, sur les ailes du U : les représentants des profs, des surveillants, des parents d’élèves et des élèves. En face, sans table, les élèves accusés et nous, leurs avocats. Nous connaissons d’avance une bonne partie des votes tellement les clivages sont nets (nos collègues communistes vont voter l’exclusion, les surveillants et les élèves l’amnistie). Nous ne sommes pas optimistes

* Sophie : Alors ? J’ai hâte de savoir !

* Guy : A notre grande surprise, notre dossier est si solide que l’amnistie avec avertissement est votée pour tous les élèves sauf un ! Une seule explication est possible : le proviseur, Monsieur Giraudon, entraînant avec lui les membres de l’administration, a voté l’amnistie. Nous saurons assez vite que l’élève exclu (pour une semaine, je crois) l’a été parce que, lors de la délibération, en l’absence des élèves accusés et de leurs avocats, le proviseur a expliqué que l’élève en question avait déjà été exclu du lycée Honoré de Balzac, pour trafic de drogue, je crois. Une seconde chance lui avait été donnée par Chaptal.

  • Le lendemain, le proviseur me prend à part dans la cour, parce que j’ai été avocat et que je suis secrétaire du SNES : « Vous savez, Monsieur Philippon, j’ai eu des remontrances à propos de notre mansuétude, venant de la direction des lycées. Si cela devait se reproduire, cette fois, ce serait l’exclusion définitive ! ». Je sens que ce n’est pas un chantage mais un avertissement honnête.

* Sophie : Ce compromis satisfait-il tout le monde ?

* Guy : Les responsables de VLR, au lieu de célébrer la victoire, relative, décident de poursuivre l’agitation, à partir du cas de l’élève sanctionné qui a été traité à huis-clos, sans avoir eu la possibilité de se défendre. Le camarade lycéen que j’ai défendu, que nous appellerons Bernard, est un remarquable agitateur. Il arrive à remplir l’amphi du « moyen lycée » pour organiser la riposte. Il chauffe la salle et propose d’envahir le bureau du proviseur.

  • Je décide d’intervenir pour souligner les risques de cette provocation. Bernard feint d’abord de ne pas me voir au fond de la salle, mais il est difficile de ne pas me donner la parole après mon rôle dans le conseil de discipline. Je casse un peu la mobilisation mais un noyau dur décide de passer à l’acte quand même. Avec quelques collègues, nous formons un barrage pour les empêcher de franchir la porte qui mène au premier étage, d’où une sorte de mêlée de rugby. Je suis sommé de m’expliquer dans leur mégaphone. Un répit est gagné !
  • Mais quelques jours plus tard, sur les conseils des amis VLR de Nanterre, la décision est prise d’envahir le bureau du proviseur sans prendre le risque d’une mobilisation massive préalable. Une douzaine de lycéens envahit le grand escalier solennel qui aboutit à l’étage de l’administration, arrive sur le palier, ne rentre pas dans le bureau (pourquoi cette hésitation?), chante l’Internationale et d’autres chants révolutionnaires.

* Sophie : Donc second conseil de discipline ?

* Guy : Oui, pour les 5 « amnistiés ». Bernard sait très bien que les 5 vont être exclus ! Il accepte que je l’assiste, à condition que lui seul prenne la parole. Cette séance d’une extrême tension, la longue analyse (virulente mais intelligente), par Bernard de l’institution universitaire, les réactions psychologiques des participants restent gravées dans ma mémoire. Certaines phrases de Bernard frappent si fort et si juste que je vois le proviseur pâlir à plusieurs reprises ; il va montrer ses qualités humaines et son courage dans l’affaire Guiot qui suit un peu plus tard.

  • Je me souviens avec peine de la douleur des parents d’origine modeste qui attendaient, dans l’antichambre, l’issue du conseil quand ils ont appris l’exclusion ; plusieurs élèves allaient rater leur baccalauréat ! J’ai revu ensuite Bernard, à plusieurs reprises. En bon maoïste, il est d’abord devenu camionneur comme les « établis en usine» de l’époque, puis a trouvé sa place dans le monde du spectacle. Je pense qu’il a réussi sa vie.

* Sophie : Parle-moi donc de cette affaire Guiot à laquelle tu as fait allusion !

* Guy : Nous sommes en février 1971. Les profs sont majoritairement excédés par les « dazibaos » (calqués sur ceux de la révolution culturelle chinoise), Les élèves y expriment librement leurs opinions politiques Nos maoïstes y dénoncent les profs comme « valets de l’exploitation capitaliste ». Un relent d’antisémitisme vise même un collègue unanimement respecté et provoque la colère des profs ! .

  • Gilles Guiot est élève en classe de mathématiques supérieures. Bon élève, il n’a aucun engagement politique; mais il a envie de découvrir ces manifs joyeuses, dynamiques. Il accompagne donc un ami, membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire, à la manif. Secours Rouge qui a lieu le 9 février, Place Clichy, tout près du lycée. La police charge brutalement, les manifestants s’enfuient, sauf Guiot qui n’a rien à se reprocher. Il est embarqué par la police. Au commissariat, on lui demande s’il veut être jugé en flagrant délit. Certain de son bon droit, il dit « oui ». Il est accusé de violences par deux policiers, condamné à six mois de prison, dont trois avec sursis, et embastillé sur-le-champ.
  • Le lendemain j’arrive à 10 heures au lycée et trouve la salle des profs en ébullition. La collectivité qui, la veille, « bouffait du gauchiste » joyeusement, s’est totalement retournée contre la police et la justice. Une grève de la journée est votée à l’unanimité. Je n’en crois pas mes yeux ! La révolte contre l’injustice flagrante est profonde, car l’innocence de Guiot ne fait aucun doute.

* Sophie : Que proposez-vous de faire ??

* Guy : A midi, nous prenons le café avec un surveillant « gauchiste » et l’aumônier du lycée. C’est dans son local que les militants d’extrême gauche tirent leurs tracts. Devons-nous organiser une manif ? Il y en a trop ! L’aumônier suggère un mode original, non-violent, un sit-in sur le Boulevard des Batignolles. Pourquoi pas ? A notre grande surprise, le leader lycéen de la LCR accepte de soutenir cette action pourtant « peu radicale ».

  • Alors, Assemblée Générale des lycéens, des surveillants, des profs dans le grand réfectoire. L’idée est acceptée, mais les PC « orthodoxes » ne veulent pas prendre le risque de bloquer la circulation sur le boulevard. Un compromis est proposé et accepté: le sit-in aura lieu, mais sur le terre-plein du Boulevard des Batignolles et les automobilistes seront tranquilles !
  • Une solidarité tout à fait inhabituelle va faire de ce sit-in un événement d’ampleur nationale. Monsieur Giraudon, le proviseur, vient participer au sit-in. Cette présence fait la une des journaux du lendemain. Ce grand proviseur me dira un peu plus tard que le directeur des lycées au ministère aurait voulu le sanctionner mais il avait le soutien de son syndicat.
  • La plupart des lycées parisiens se mettent en grève. Sous l’impulsion de la LCR, et sans accord du comité de soutien de Chaptal, une manifestation est décidée pour le mercredi 18 février, avec départ devant le lycée Chaptal. Elle est interdite par la préfecture de police. Le collectif chaptalien des profs accepte mal de ne pas avoir été consulté. Les quelques PC « staliniens » pour lesquels le « gauchisme » est l’horreur absolue vont demander au proviseur de fermer les portes du lycée. Je leur rappelle que, faute d’issue de repli devant une charge policière, il peut y avoir des blessés graves parmi les jeunes (comme au métro Charonne pendant la guerre d’Algérie). Un ami PC, « refondateur » avant l’heure, ira dire au proviseur, à titre personnel, son hostilité à cette stupidité. Le proviseur ne fermera pas les portes.
  • La manif qui se constitue le mercredi est essentiellement formée de très jeunes lycéens, de collégiens même, venus souvent de banlieues. Je pense que la présence d’adultes est une précaution nécessaire et je les accompagne donc dans leur longue course joyeuse à travers Paris, place de la Concorde, traversée de la Seine, Boulevard Saint-Germain. Aucun policier ne sera visible !
  • La révolte contre l’injustice sera si puissante que la justice décidera de rejuger l’affaire. Gilles Guiot sera acquitté. Les lycéens auront fait reculer le pouvoir grâce à un proviseur et aussi à une forme d’action originale.
divers
Vingtième texte : La société digère mai 68 !

* Sophie : Que se passe t-il, dans la société ébranlée par les événements de mai 68 ?

* Guy : Commence une nouvelle décennie, qui peut être résumée ainsi : fin des trente glorieuses (1945-1975), de la forte croissance, du plein emploi, productivisme sur le plan économique, modernisations sur le plan sociétal. En France, à gauche, lent remplacement de la domination communiste par la domination socialiste, avec la montée vers le pouvoir de François Mitterrand !

  • « La décennie fut ultra-politique, vouée aux querelles et aux éruptions de l’extrême gauche… théoriciste ! » écrit Laurent Joffrin dans son livre fort intéressant « Mai 68 » Cette vision ne correspond pas au vécu de ma section PSU, ni aux luttes des Lip ou des paysans du Larzac, mais comprend une certaine réalité que j’ai également vécue.
  • La droite va monopoliser le pouvoir jusqu’en 1981, avec Georges Pompidou de 1969 à 1974 puis Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1981. Elle fut perturbée par des conflits personnels graves entre présidentiables! Cette domination commence avec la chambre « bleu horizon » élue en juin 1968 (72,7% des députés !). Le PSU perd alors ses 4 députés dont PMF mais progresse en nombre de voix, de 495 412, (2,21%) en 1967 à 874 212 (3,94%) en 1968. Mendés rend publique sa démission.
  • En 1968, je ne t’ai pas parlé du « Printemps de Prague » et de l’intervention soviétique, qui embarrasse fort les communistes français. Ni de 1968 dans le monde entier (il y eut des événements importants presque partout !)

* Sophie : Et en 1969, que se passe t-il ? Et aussi dans le PSU ?__

* Guy : Il me faut distinguer trois étages dans ma maison 1969. Au rez de haussée : le lycée, au premier étage, ma section PSU et, au grenier, le national. Pour l’échelon national, c’est l’année de la démission du général De Gaulle suite au referendum qu’il perd. !

  • De Gaulle a fait son analyse des événements, avec une réelle lucidité. Il veut, le 27 avril 1969, tenir sa promesse de 1968 et proposer ses remèdes à la crise. Je viens de relire les détails de ses propositions, en 2 questions comme à son habitude. L’une concerne la « participation », idée chère à De Gaulle ; le texte donne des pouvoirs accrus aux régions, en particulier sur les équipements et le logement.
  • La seconde réforme proposée réduit considérablement les pouvoirs du Sénat au profit de l’Assemblée Nationale : il est fusionné avec le conseil économique et social et leur rôle est purement consultatif !
  • Giscard d’Estaong et Pompidou sont contre (ce dernier parle de « régime d’Assemblées » et même, ai-je lu, de « soviets » !). * La gauche est unanimement contre. Mais au congrès de Dijon en mars 1969, le PSU se divise. Rocard et Heurgon, qui préconisent le boycott sont mis en minorité et le PSU appelle, lui aussi, à voter NON !
  • Marc Heurgon démissionne de son poste de responsable à l’organisation du Bureau National. Etant donné ses qualités, je pense que ce départ va peser lourd ! N’aurait-on pas dû choisir de se débarrasser d’un Sénat conservateur, plutôt que se débarrasse du général, vieillissant, affaibli ? Plus de 52% des citoyens votent NON
  • Donc une élection présidentielle intéressante va avoir lieu !

* Sophie : Alors, dans cette élection présidentielle, quels rapports de forces ?

* Guy : Voilà les résultats du premier tour : Georges Pompidou : 44,47% - Gaston Poher : 23,31% - Jacques Duclos pour le PCF : 21,27% - Gaston Defferre, soutenu par Pierre Mendès France : 5,01% seulement ! - Michel Rocard pour le PSU : 3,61% - Alain Krivine, soldat, pour la LCR : 2,06%

  • Tu vois le fossé entre les socialistes et les communistes, et la proximité entre le PSU et le PS ! Je ne me souviens pas bien de la campagne et de nos collages d’affiches. Le choix pour le second tour entre Pompidou et Poher a fait l’objet d’un grand débat à gauche ; « Bonnet blanc et blanc bonnet » a décrété Jacques Duclos ! Je crois que nous avons suivi et qu’il y a eu plus de 30% d’abstentions !
  • Cette campagne est le début de la notoriété de Rocard et, en juin 1969, dans une élection législative partielle pour les Yvelines, il bat le Premier ministre sortant Couve de Murville. Cette campagne fut émaillée de violences et je me souviens d’une nuit où pour coller les affiches nous avons erré dans une campagne inconnue !
  • Le PSU a doublé ses effectifs. Pour ces nouveaux-nouvelles, en particulier, mais aussi pour tout le monde, il est important de définir théoriquement et pratiquement un nouveau PSU répondant aux aspirations de mai 68. Et de « penser la révolution socialiste dans un pays capitaliste avancé » Le débat sur la violence défensive ou offensive dans la transition au socialisme oppose Michel Rocard au maoïste Alain Badiou. Je ne me souviens pas des débats sur les 17 thèses proposées au congrès de mars 1969 à Dijon. Le débat fut escamoté par la réponse à donner au référendum gaulliste d’avril !

* Sophie : Si tu revenais à ton PSU du XXe arrondissement ?

* Guy : Volontiers ! Et je pense que c’est le bon moment pour parler de notre atelier de sérigraphie. Je vais te faire découvrir un long texte qu j’ai écrit il y a assez longtemps. Long, mais important, je pense. Tu jugeras ! Les affiches de l’Atelier des Beaux-Arts de mai 68 sont encore célèbres 50 ans après : impertinence sans aucun tabou dans le choix des thèmes les plus explosifs, virulence joyeuse des slogans, révolution dans le graphisme et dans la technique d’impression. Elles ont inspiré toute une série de groupes militants pendant une dizaine d’années.

* Sophie : Pourquoi ?

  • Guy : - Fascination du modèle Beaux-Arts qui génère une véritable école.
  • - Rejet de styles éculés dans la propagande et dans la publicité.- Technique simple qui permet à des amateurs militants de produire vite et à faible coût des affiches collant à l’actualité.
  • - Effervescence militante de l’époque chez les héritiers de Mai surtout joies individuelles et collectives de ces groupes sérigraphie. La richesse humaine et politique est dans le mariage entre « intellectuel collectif » et travail manuel fastidieux voire pénible mais joyeux, sans division du travail, mariage entre originalité politique et imagination esthétique, entre débat de fond sur le thème et peaufinage d’un slogan court, percutant et « juste ».
  • C’est sans doute la seule activité militante dans laquelle le même groupe crée et exploite de A jusqu’à Z un instrument de communication, depuis le choix de l’affiche jusqu’à son collage et au dialogue avec les passants (que ce type d’affiches suscitait); on nous demandait souvent une affiche (parfois on le payait). Il a fallu que nous recommencions le tirage de notre affiche PSU sur le centième anniversaire de la Commune de Paris ; elle a figuré dans des expositions. et dans des livres.

* Sophie: Tu m’as dit que c’était de l’écologie et de l’autogestion ? Détaille

* Guy : L’activité était autogestionnaire comme je viens de l’expliquer. Notre groupe local du PSU a produit des milliers d’affiches entre 1969 et 1978 environ, avec plus d’une centaine de modèles (De Gaulle et le référendum de 69, le logement, les promoteurs et l’expulsion des classes populaires, les transports et la voiture, le nucléaire, LIP et l’autogestion, les luttes des immigrés, les problèmes internationaux, les luttes des femmes, le contrôle ouvrier, etc.).

  • Nous avions la chance d’avoir comme animateur Raymond Georgein, peintre de renommée internationale qui avait fait partie de l’atelier des Beaux-Arts avant leur expulsion par les forces de l’ordre et même après car il avait entraîné une partie de ses amis dans un nouvel atelier situé au-dessus du bureau de Michel Rocard, alors secrétaire national du PSU, rue Borromée. Leurs affiches sérigraphie se faisaient au dos de la célèbre affiche PSU aux foules stylisées : « Pouvoir ouvrier, Pouvoir étudiant, Pouvoir paysan. »
  • C’est grâce à Raymond que j’ai un certain nombre des affiches avec le tampon Beaux-Arts (elles auraient dû être collées et pas collectionnées ! Mais c’est important pour la mémoire collective) et aussi toutes celles de notre groupe local du PSU. A Raymond Georgein succéda comme dessinateur un autre peintre de la section, Claude Picart.
  • Autogestionnaire également car elle cassait la division entre travail intellectuel et travail manuel. Nous passions tous des heures à tirer des centaines d’affiches et à les faire sécher. C’est moi qui avais fabriqué des cadres rectangulaires en bois avec des pinces à linge pour la suspension des affiches, un système de petites poulies pour faire monter et descendre les cadres. J’allais également chercher les instruments, les cadres en nylon, la raclette, les pots de peinture chez Tripette et Renaud, dans le centre de Paris. Nous avons tiré ces affiches dans le pavillon de la rue Géo Chavez, rue Piat, rue de la Chine et même une fois dans mon appartement !
  • L’activité était écologique en ce qu’elle évitait les gaspillages ; le tirage se faisait au dos d’affiches imprimées restées inutilisées (habitude courante et inévitable) ; l’énergie utilisée était celle des bras militants et les cadres en nylon étaient soigneusement nettoyés pour resservir. Ce nettoyage pénible et long nous a conduit à utiliser parfois un produit fort peu écologique dont nous ignorions la dangerosité, le trichloréthylène qui nous faisait tourner la tête !

* Sophie: Ce Raymond Georgein devait être un personnage ! Dis-moi !__

* Guy : Son humour délicat, son intelligence subtile, sa créativité, sa passion du travail collectif ont été fondamentaux pour la vie de l’atelier qu’il avait proposé et créé. Il savait rendre le travail participatif, joyeux et efficace.

  • Parlons de lui comme peintre, car j’ai vu ses productions.
  • Les premières toiles de Raymond stigmatisaient le sinistre enfermement concentrationnaire des immeubles pompidoliens de très grande hauteur. Il connaissait bien puisqu’il habitait rue de la Py, rue pas très éloignée du quartier Saint Blaise, qui est devenu le quartier le plus dense d’Europe.
  • Sa seconde période fascinée par mai 68 fut celle des collages « surréalistes » avec des peintures mixant foules de manifestants, sexes, visages, journaux. J’ai longtemps reçu des cartes de vœux de ce type fort original.
  • Dans une troisième période, il associa peinture et sculpture, à partir de morceaux de mannequins féminins de grands magasins, peints d’une blancheur éclatante.
  • Sa dernière période a été marquée par l’influence de son amie chinoise, avec de délicates couleurs pastel derrière de fins réseaux de toiles. J’ai une belle affiche de son exposition « Retour de Chine » en mai 1994. Sur wikipedia vous verrez que quelques-unes de ses oeuvres sont encore dans les salles de ventes.
  • Les hauts murs de son atelier-domicile de la rue de la Py étaient encerclés par une sarabande de mannequins féminins vêtus de leurs érotiques chemises nocturnes qui donnaient vie à un stock de toiles. Un repas chez lui était un voyage étonnant, avec des dialogues passionnants !
  • Sa peinture et sa vie sont une synthèse harmonieuse de l’art, de la politique et de l’érotisme. Ce personnage hors norme a marqué profondément toute une période de la vie de notre section PSU. Il est mort en 2002.