1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


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Quarante troisième texte : La prostitution mobilise les élus

* Sophie : Dans ton rôle de responsable d’un conseil de quartier, à quels problèmes sociétaux as-tu été confronté ?

* Guy : Il y en a un auquel je n’avais pas pensé au moment de ma désignation comme coprésident du conseil de quartier Plaine. C’est celui de la prostitution. Déjà il est apparu au départ, lorsque j’ai dû trouver le tiers des conseillers, désignés comme représentatifs de la vie associative. Le nombre des associations était très faible par rapport aux autres quartiers et j’avais été amené à choisir le « Bus des femmes ». Cette association possédait un bus anglais qui stationnait sur le Cours de Vincennes, offrait des cafés aux prostituées de ce boulevard, discutait avec elles, leur donnait des conseils, créait des liens humains.

  • * La conseillère nommée est peu venue aux réunions mais a quand même animé une réunion de commission sur la prostitution. Nous avons appris beaucoup de choses, dont une histoire fort comique. Les prostituées utilisaient les sanisettes pour leur travail et il y avait parfois des queues humaines devant ces lieux. Pétition d’habitants, fermeture de ces lieux de scandale. Résultat des courses : les prostituées font alors leur petit travail dans des cages d’escalier, des caves et y laissent des préservatifs. Alors une nouvelle pétition demande la réouverture des sanisettes !
  • A cette période, un nouveau lieu de prostitution se développe sur les boulevards des Maréchaux, en l’occurrence le boulevard Davout, situé dans le périmètre de mon conseil de quartier. Ce sont des femmes venues des pays de l’Est ou d’Afrique, encadrées par des mafias qui commencent par les casser physiquement et psychologiquement en Italie avant de les mettre sur le terrain. Des bagarres fort violentes ont lieu, à cause de la concurrence, entre les traditionnelles et les nouvelles.
  • La dame du Bus des femmes nous explique la répartition géographique de la prostitution, à l’époque. La rue Saint Denis accueille des prostituées qui ont toutes un souteneur mais ne consomment jamais de drogues. Dès que l’une d’elles touche à la drogue, elle est expédiée sur le Cours de Vincennes. Enfin le boulevard de La Chapelle est le lieu le plus terrible pour les femmes, celui de « l’abattage ». Elle ne nous parle pas de la prostitution de luxe des beaux quartiers et des « escort-girls ».

* Sophie ; Le maire de l’arrondissement Michel Charzat se préoccupe t-il de ces questions ?

* Guy : Non, jusqu’au moment où il reçoit des pétitions virulentes d’habitants du voisinage du Boulevard Davout. Son initiative va télescoper celle que notre conseil de quartier avait prise. Nous avions décidé de prendre le risque d’une réunion publique sur la prostitution. J’avais invité le Bus des femmes et le Nid qui aide les femmes à sortir de la prostitution.

  • Le maire Michel Charzat m’invite à une réunion avec son adjoint chargé de la sécurité, ancien commissaire de police du vingtième. Il veut faire une réunion avec les habitantEs pétitionnaires et la police pour que celle-ci débarrasse le boulevard des prostituées. L’adjoint lui signale que la police ne peut pas arrêter des prostituées qui ne font pas de racolage actif. Je lui dis que nous ne pouvons pas faire deux réunions concurrentes. Il est donc décidé de n’en faire qu’une. Le maire me dit que cette réunion ne doit pas être un colloque intellectuel, sociologique mais être centrée sur les interventions policières.
  • Voici donc le jour de la réunion. Salle archi pleine. Le maire prend place au centre de la tribune avec les policiers ; il m’expédie à l’aile gauche et expédie le Bus des femmes et le Nid à l’aile droite. Il donne la parole à un représentant des pétitionnaires. Celui-ci est mauvais, caricatural, sans nuances. La police est nuancée, prudente. Il faut bien donner la parole au Bus des femmes. Dans une longue intervention elle explique que les prostituées sont des êtres humains, des exploitées brutalisées, qu’elles ne peuvent avoir de contacts qu’avec leur mafia, qui les loge toutes ensemble dans un même lieu contrôlé étroitement, avec les clients et la police. Ce serait bien de leur parler. Le Nid rajoute une couche et la salle bascule, même si elle reste inquiète pour les enfants du quartier. Je sors heureux de cet échange constructif et de la pris de conscience collective.
  • J’ai eu de bons rapports avec l’adjoint. D’origine algérienne, il avait été harki. On lui avait permis de faire des études et il avait fini par devenir le commissaire de police du vingtième, fort correct avec les immigrés. Par contre notre désaccord était total sur la guerre d’Algérie. Le maire Michel Charzat avait réussi un bon coup dans la composition de sa liste municipale en y incluant cet algérien commissaire, symbole de l’ordre et Assouline devenu célèbre dans l’extrême gauche à l’occasion de la mort de Malek Oussekine, lors des manifestations contre la loi Devaquet.

* Sophie : Parle-moi des contacts humains que tu as pu nouer à ytavers le conseil de quartier Plaine !

* Guy : Je suis devenu ami avec une conseillère du quartier Isabelle Brochard, alors conseillère d’éducation au lycée Hélène Boucher et maintenant proviseure d’un lycée, et avec son mari, tourneur d’orgues de barbarie, et très libertaire : Riton la manivelle. Il aime beaucoup les grandes chansons révolutionnaires. Le nom de l’association dont il est président « Ritournelles et manivelles » m’avait séduit lorsque je cherchais dans la maigre liste des associations du quartier Plaine. Ce fut le meilleur de mes choix, avec celui de Lisbeth Gouin, directrice d’une école du quartier, fidèle participante à nos travaux et à nos fêtes ; et celui de l’amie Colette Moine.

  • Je dois te parler de la vieille religieuse sœur Isabelle Brault. Sa petite communauté avait choisi de venir dans ce quartier populaire. Elle est venue à presque toutes les réunions de nos commissions et nous avons fini par devenir des amis. Elle m’a parlé de sa vaste famille très droitière et, et un jour, elle m’a dit : « Monsieur Philippon je suis chargée par le cardinal archevêque d’écrire des prières. Je ne peux me servir de la théologie de la libération d’Amérique du sud ; mais je trouve des équivalents chez Saint Jean-Chrisostome ! » Sur Wikipédia j’ai trouvé pourquoi elle se référait à ce « Bouche d’or » né vers l’an 400 et saint dans les trois religions chrétiennes.
  • Elle m’a bien aidé lorsque le racisme a effleuré dans des débats sur la rue d’Avron. Toutes les boucheries devenaient «halal». Les commerces asiatiques envahissaient les trottoirs, donnant à la rue une allure miséreuse. Elle a alors dit qu’elle demanderait à ses amis asiatiques de valoriser dans leurs vitrines leurs cultures d’origine.
  • L’un des tirés au sort a participé à toutes les réunions de commission, visité tous les commerçants de la rue d’Avron pour leur conseiller de créer une association et aussi étudier leur utilisation du trottoir. L’association sera créée, présidée par un juif, composée de bouchers halal et de commerçants asiatiques, mais ne durera pas très longtemps, à cause des illuminations de la rue et de leur prix ! Le même avait étudié tous les numéros d’immatriculation des automobiles stationnées sur le Cours de Vincennes, et montré qu’il y avait peu de 75 ! Nous reparlerons de ce Cours
  • Je t’ai déjà raconté la présence à mes côtés de l’ami Paul Oriol qui, habitant alors Versailles, venait chaque mardi après-midi m’aider à préparer mes travaux, à rédiger des textes, venait à des commissions ou des plénières du quartier Plaine, à des réunions du comité de rédaction de notre journal, aux fêtes, etc.
  • J’ai vécu un moment fort difficile lors de notre première séance du conseil Plaine. La première question de fin de séance concerna les crottes de chien, la saleté de ces déjections et le danger de chutes qu’elles impliquaient. Immédiatement les personnes ayant des chiens montent au créneau en sens inverse pour se plaindre du manque de lieux adaptés. Polémiques passionnées, violentes qui n’en finissaient plus. Il a fallu que, président, je me fâche pour que la fin de soirée ne se réduise pas à ce sujet.
  • L’envie de participer à la vie démocratique locale était énorme dans cette mandature de 1995 où les habitants découvraient la possibilité de parler, de proposer. C’était la première fois à Paris. Les réunions plénières regroupaient dans chaque quartier plus de 100 personnes, attentives. Au début de la mandature, les non-conseillers ne pouvaient parler que lors de la dernière étape et posaient souvent des problèmes fort personnels comme leur logement, ne concernant pas tout le quartier. Peu à peu elles ont changé d’attitude, surtout lorsque j’ai institué un cahier de doléances où les habitantEs pouvaient poser leurs problèmes personnels, pour le cabinet du maire. Et aussi un cahier « Invités permanents » où l’on pouvait indiquer son adresse et être prévenu des réunions. Habitude qui fut généralisée aux autres quartiers. Peu à peu les simples habitantEs ont pu intervenir sur tous les sujets à l’ordre du jour
  • S’est vite posée une question où le conseil de quartier imposa, à peu près, sa vision à la mairie de l’arrondissement, et même à la mairie de Paris dirigée alors par Jean Tibéri ! Le square Réjane situé au bord du Cours de Vincennes était à l’abandon, utilisé par des jeunes pour jouer au ballon et par des joueurs de boules. Le maire RPR de Paris, Tibéri, soumet un projet ambitieux de rénovation, avec une grande structure d’escalade pour les jeunes. J’ai mis la question à l’ordre du jour d’une réunion publique du Conseil ; le premier adjoint est en retard. Tout de suite, dans le débat, l’opposition des participantEs est nette, virulente, générale, pour des questions de sécurité en particulier.
  • Le premier adjoint de Charzat arrive en retard et prend la parole, tout fier de soumettre à l’assemblée un projet mirifique. Il se rend compte qu’il est à contre courant et propose : « Bon, vous allez jouer votre rôle et en discuter dans une commission ad hoc ». Dans cette commission, Paul et moi insistons pour que le square continue à servir aux jeunes pour jouer au ballon et aux joueurs de boule. Notre conseil propose un petit terrain de foot au lieu de la grande structure. Miracle! Ce sera adopté par la ville de Paris ; le terrain sera en fait un terrain de basket, entouré de grilles, pour la sécurité des autres occupants, et une structure adéquate sur le sol. Paris avait calculé que cela coûtait moins cher ! Cette victoire est mentionnée dans le dernier rapport de l’Observatoire de la démocratie ;
  • Je suis assez fier de mon bilan et de la petite fête du 2 mars 2001 que les conseillerEs ont organisée à la fin de la mandature. Y ont participé des personnes qui représentaient tout l’éventail politique, depuis la droite, avec un ancien RPR, jusqu’aux anars et aux plus radicaux du PC, oppositionnels, en passant par le PS, les PC orthodoxes, les syndicalistes et les associatifs. Dans la petite brochure souvenir qui m’a été remise je compte 39 personnes sur la photo et 35 signatures. Je ne reconnais pas tout grand monde sur la photo et je ne vois pas mes deux camarades délégués officiels du PS qui, pourtant, étaient bien là ! Au premier plan figurent en costume de cirque 4 personnes dont moi. Pourquoi ?
  • L’organisateur en chef n’est pas celui dont je garde un bon souvenir, car il se révélera un assez triste manipulateur. Du coup je viens de penser qu’il a pu truquer la photo avant de me la remettre en ajoutant les costumes du premier plan et les rangs supérieurs où je ne retrouve aucun des signataires ? Par contre je retrouve, avec plaisir, dans le document, deux textes de l’amie Colette Moine, assez pessimistes : « Un moment dans la folie ordinaire » et un poème dont le refrain est « Dans quel monde on vit »
  • Les membres du conseil de quartier n’ont découvert que tardivement le fait que j’étais membre des Verts, à travers les taquineries de mes amis PS. Je ne le regrette pas, car je n’étais pas là pour faire du reculement mais pour faire vivre la démocratie, le pluralisme non sectaire, développer l’envie de faire de la vraie politique quotidienne, concrète.
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Quarante deuxième texte : Je découvre le monde des éluEs

* Sophie : Tu m’as promis de lire ton premier discours d’élu !

* Guy : Je m’exécute volontiers. J’avais travailé avec Paul et répété pour ne pas être obligé de lire, le nez collé à la feuille. « Au moment d’ouvrir cette séance, donc d’ouvrir une nouvelle période de la vie de nos quartiers beaucoup de sentiments se chevauchent dans mon cœur et ma raison. Mais il en est un qui domine tous les autres. Pour la première fois depuis 30 ans que j’habite l’arrondissement, j’ai le sentiment d’être ici chez moi, dans ma maison. Je m’étais toujours senti invité, toléré, dans les rangs du public, là bas, au fond de la salle, voué au silence, à la passivité, avec mes amis du foyer Bisson ou de la ZAC des Amandiers !

  • Or la Mairie est la cellule de base de notre République. C’est la maison du peuple, construite par lui et pour lui. Il faut que, désormais, chacun et chacune se trouve ici chez lui, qu’il soit riche ou pauvre, travailleur ou chômeur, jeune ou moins jeune, parisien ou breton, arménien ou malien, chinois ou portugais, ashkénaze ou Sépharade, maghrébin ou polonais, de gauche, de droite, du centre, d’ailleurs ou de nulle part, athée ou croyant, et de n’importe quelle confession. Il le faut, je le souhaite, nous le souhaitons, nous le voulons ! Je sens qu’il en sera ainsi, n’est ce pas, amis ?
  • Un deuxième sentiment est un mélange subtil d’allégresse lucide, de curiosité quasi scientifique, de dynamisme tranquille, devant la naissance d’un souffle démocratique, d’un nouvel élan collectif. La liste « Paris s’éveille » parlait d’oxygéner le 20e ; ce thème ne pouvait que réjouir les narines des membres de la liste « Paris Ecologie Solidarité Citoyenneté » dont j’ai fait partie. Les propositions portées dans le contrat commun des deux listes qui ont fusionné au second tour concernent bien évidemment l’environnement : l’arrêt des ZAC, la lutte contre les pollutions, la mise en place d’un réseau vert réservé aux piétons et aux cyclistes, bien d’autres projets encore !
  • Donc il s’agit bien de travailler pour que, demain, toutes et tous, nous respirions mieux dans le quartier, au sens physiologique du terme ; mais aussi, au sens figuré du terme, au sens général du terme, par une respiration démocratique, par la participation de toutes et tous dans les conseils de quartier par exemple
  • L’air pur, au sens symbolique du terme, c’est aussi la transparence dans les prises de décision, dans la gestion ; c’est le contrôle régulier, le pluralisme de l’expression des idées, la convivialité. Sans vouloir provoquer une polémique inutile, il semble bien que la défaite des éluEs d’hier soit due pour une bonne part à l’opacité dans la gestion, dans l’attribution des HLM, mais aussi dans le centralisme forcené qui donne au Maire de Paris et à quelques adjoints la totalité des pouvoirs fondamentaux, en particulier celui que donne la maîtrise de l’argent !
  • Le troisième sentiment qui flotte en moi est celui d’une petite appréhension devant l’ampleur et la difficulté des tâches qui nous attendent, nous les élus ! Difficulté accrue par le fait que le nouveau Maire de Paris, ce bon Monsieur Tibéri, ne va pas se priver de tendre tous les pièges, chausse-trappes, traquenards possibles et imaginables aux élus des 6 arrondissements qui lui ont infligé un camouflet !
  • Le budget d’un arrondissement est faible, quasi-ridicule !
  • Or l’attente des habitants et habitantes est immense, multiforme. Elle couvre tous les domaines, de la propreté des trottoirs aux questions du chômage, du plus politique au plus personnel.
  • Amis de la nouvelle majorité, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas décevoir. Nous aurons à écouter, à écouter encore et toujours, à comprendre ce qui est dit et ce qui est derrière les mots, au plus profond.. Nous aurons à proposer, à être présents dans les luttes quotidiennes, à tenir nos engagements.
  • Nous devons nous fixer comme règle de dire partout et toujours la vérité, même lorsqu’elle est difficile à faire accepter. En particulier, nous devons dire aujourd’hui que les élus, même animés de la plus grande énergie, ne pourront pas réaliser toutes leurs promesses s’ils ne sont pas liés étroitement à la population et à ses luttes
  • Pour terminer, je voudrais souligner que nous avons sans doute gagné par la richesse et la clarté de nos propositions, mais aussi parce que nous avons su porter l’espoir et le rêve. Nous aurons à réussir une difficile et constante synthèse entre le rêve et le réel, entre l’utopie et le concret, entre la gestion quotidienne et la vision à long terme, entre les problèmes sociaux, écologiques, humains, culturels, de l’arrondissement, de la France voire de la planète !
  • C’est le souhait que je forme pour l’arrondissement. Le soleil se lève à l’Est ! Que Paris s’éveille donc en commençant par l’Est !

* Sophie : Quels sont les premiers débats importants que, vous, éluEs écolos, affrontez-vous assez vite ?

Guy : Vraiment c’est la question des conseils de quartier qui figuraient dans les programmes de nos deux listes et dont le maire veut faire son emblème, sa marque de fabrique ! Le débat va être passionnant et symbolique des différences de fond. Une discussion s’engage sur les modalités de cette mise en place. Elle sera longue, car elle touche vraiment à diverses conceptions de la démocratie

  • David Assouline, adjoint en charge de la question, plaida pour un collège de tirés au sort, sur les listes électorales : « citoyens lambdas qui porteraient une vision plus proche des habitants »; nous soutenions cette idée ; le PC demande que plus de la moitié des conseillers soit désignée par les partis politiques représentés au conseil d’arrondissement qui seuls ont la légitimité du suffrage universel ; nous tenions beaucoup à la présence des associatifs. Finalement notre proposition de 3 collèges de 13 membres chacun dans chacun des 7 quartiers est validée par le maire Michel Charzat qui trouve l’idée simple, bien compréhensible
  • Nous ne sommes pas suivis sur l’idée de désigner dans les tirés au sort une part de résidents non communautaires (les résidents de l’union européenne peuvent voter aux élections municipales et européennes, mais pas les étrangers non communautaires, même s’ils résident en France depuis 30 ans) Nos propositions des listes sur lesquelles serait effectué le tirage au sort n'ont pu être acceptées.
  • Donc dès octobre 1995, pour la première fois à Paris seront institués peu à peu dans l’arrondissement 7 conseils de quartier avec 3 collèges
  • 13 tirés au sort sur les listes électorales, publiquement.
  • 13 désignés par les partis politiques présents au conseil d’arrondissement, proportionnellement à leur nombre d’élus, donc aussi par la droite.
  • 13 membres d’associations ou personnalités du quartier, nommés par le maire après consultation de sa majorité
  • Pour l’organisation, le découpage en 7 quartiers est celui que le PS a utilisé pour quadriller le terrain dans sa campagne municipale, avec de grandes inégalités numériques d’habitants allant de 15 000 environ pour Amandiers à 40 000 ou 50 000 pour le quartier Gambetta. Certains ont une véritable identité, comme Belleville, d’autres non, comme le quartier baptisé « périphérique » qui s’étend de la porte des Lilas à la porte de Vincennes, entre le périphérique et les boulevards des Maréchaux. Il sera ensuite supprimé et coupé en plusieurs parties rattachées aux quartiers voisins. Le quartier Gambetta sera également scindé en 2 : Gambetta et Pelleport-Télégraphe-Saint Fargeau.
  • Le maire est président officiel de chaque conseil et la coprésidence assumée par un élu de la majorité (soit 5 PS, 1 PC et 1 Vert) C’est ainsi que je serai coprésident pendant 5 ans du quartier Plaine situé entre la rue d’Avron et le Cours de Vincennes. Le PS a choisi les quartiers où l’implantation associative est la plus importante et laisse au PC et aux verts le choix entre Plaine et Périphérique ; le PC avait une petite implantation dans le périphérique et nous aucune dans les deux quartiers. De toutes façons c’était une exploration de terres inconnues !

* Sophie : Continuons peut-être sur ces conseils de quartier et le fonctionnement tel que tu l’as vécu en responsabilité.

* Guy : C’est une période heureuse de ma vie politique, car je découvre, de plus près, la vie réelle des gens qui ne sont pas des militants encartés, mais s’intéressent à de vrais débats politiques sur leur quotidien. Par contre, ils-elles refusent catégoriquement tout débat sur les questions politiques nationales, comme la durée du temps de travail.

  • Mon premier travail est de contacter au téléphone les tirés au sort pour savoir si, ils ou elles acceptent de devenir conseillers de quartier. C’était étonnant de voir que la quasi-totalité trouvait l’idée excellente. Les refus étaient motivés par le trop grand âge, le manque de mobilité ou le fait que ces personnes passaient plusieurs mois hors de Paris. J’aurai du mal à trouver les 13 associations susceptibles de siéger, car elles étaient très peu nombreuses dans ce quartier là. Il y eut : le Bus des femmes sur la prostitution, Riton la Manivelle, une responsable RATP et une précieuse directrice d’école.
  • Les participations aux Conseils, ouverts à tout le monde, oscilleront dans chaque quartier, autour de la centaine d’habitants. . Donc elle furent bien plus massives que lors des conseils d’arrondissement. Et, différence énorme, ils réussiront à imposer peu à peu leur droit à la parole dans les débats, ce qui est strictement et légalement interdit dans les conseils d’arrondissement : parents d’élèves,
  • Les réussites seront inégales suivant les quartiers et le rôle des animateurs, avec une faible participation des jeunes ou des étrangers. Cette démocratie reste consultative et non délibérative. En étant très optimiste, elle ne concerna que 7 fois 1000 personnes soit 7000 sur les 182 000 habitants de l’arrondissement. Mais elle a mis, dans la réflexion collective, un nombre nettement accru de citoyen-nes, donc dans le débat politique sur la vie quotidienne, voire la contestation et l’affirmation de contre pouvoirs. Elle a également mené à bien quelques projets concrets.

* Fut créé un " Observatoire de la démocratie locale" composée d'universitaires et d'associatifs (ADELS) indépendants qui rédigèrent 3 gros rapports très objectifs.

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Quarante et unième texte : Transitions

* Sophie : Que se passe-t-il dans ton arrondissement au début de la décennie 1990 ? En particulier pour ta nouvelle organisation ?

* Guy : Tous les arrondissements de Paris sont encore dirigés par des maires de droite : RPR ou UDF. Jean Tibéri a succédé à Jacques Chirac comme maire de Paris et Didier Bariani UDF est maire de notre vingtième arrondissement. Il a un projet politique clair : continuer à vider le plus possible l’arrondissement de ses populations les plus modestes pour avoir une assise forte à droite. En particulier, il veut raser le vieux Belleville, qui, certes, comporte des taudis. Et construire une ville moderne, avec de grands ensembles, y compris des immeubles luxueux pour les classes dirigeantes. Ce sera en fait la bataille politique fondamentale de l’époque. Elle aboutira à l’échec de Bariani comme maire et nous y participerons vraiment. Ce sera d’ailleurs la seule fois de ma vie où je serai élu !

  • En réfléchissant pour toi, je constate que c’est la période où j’ai le plus milité dans des rassemblements de partis, d‘associations, de simples citoyen-nes. Au nom de l’AREV, bien entendu. Ce sont : le comité contre les expulsions de la rue de la Mare, celui contre le marchand de sommeil du West-hôtel, contre les incendies criminels, celui de soutien aux deux médecins traduits en justice par leur conseil de l’ordre, la lutte des ouvriers de Sancar, « Ensemble » et la « Coordination logement »
  • « Ensemble », il me semble, a été créé par la LCR. Il rassemblait des communistes, des libertaires, des AREV, des syndicalistes, des membres du Mrap. Mais il était hors de question d’accepter le PS ; et, même, l’adhésion de la LDH fut refusée après débat car il y avait trop de membres du PS dans sa direction locale ! Tu vois, quelque peu sectaire. Nous militions beaucoup sur le soutien aux immigrés, avons publié plusieurs numéros d’un petit journal et organisé une ou deux manifestations locales.
  • La « coordination logement » a regroupé plus largement et mobilisé entre vingt et trente personnes venues des mêmes organisations que Ensemble, mais avec plus d’associatifs, deux Verts et surtout un membre du PS qui s’intégrera facilement : Jean André Lasserre. La LCR avait voulu refuser sa présence, mais avait été mise en minorité. Je me souviens de débats fort riches, sur des aspects fondamentaux, avec des oppositions réelles.
  • Une association a joué un rôle encore plus décisif ; mais je n’en ai pas fait partie. C’est « la Bellevilleuse ». On peut dire que c’est elle qui a sauvé le vieux patrimoine de Belleville, permis que certains immeubles soient réhabilités et que soit abandonné la «ZAC (zone d’aménagement concerté) »de Bariani. Elle a réussi car elle a fédéré des architectes, des urbanistes, des photographes, des organisateurs, formé un collectif militant bien soudé et accueillant. Elle a établi un dossier remarquable, sérieux, précis. Il me faut citer un ami membre des Verts qui joua un rôle important, Jean-Pierre Samama, maintenant parti dans les Cévennes.
  • Dans Belleville, i y a la rue Bisson. Je t’ai raconté, il y a quelques temps l’expulsion des résidents noirs de cette vieille usine qui a abouti à « un commissariat qui chante l’internationale » Le foyer devait être démoli et reconstruit sur place. Le maire l’avait promis, mais ne bougeait pas malgré les pressions. Nous décidons une action originale. Tout au long des rues qui mènent de la mairie à la rue Bisson, nous peignons sur la chaussée des pas se dirigeant vers Bisson pour permettre au maire de découvrir enfin le « bon chemin » !

* Sophie : je vois bien que localement il se passe pas mal de choses. Mais au niveau parisien et national, que fait ton nouveau parti ?

* Guy : Pour représenter notre section locale, je vais régulièrement aux réunions des directions parisiennes ou nationales. J’y retrouve essentiellement de vieux camarades du PSU, dont quelques-uns sont issus de l’AMR, et avec lesquels j’ai des désaccords. Nous suivons attentivement les évolutions de rénovateurs communistes

  • Se constitue une nouvelle organisation, qui admet la double appartenance : la CAP, convention pour une alternative progressiste, où se retrouvent des communistes, des membres de la ligue communiste, de la LCR et des AREV. Je participe donc à des réunions locales et à des réunions nationales. Je n’y trouve pas grand plaisir ; en effet l’unité fragile est soumise aux méfiances de camarades au passé truffé de divergences ; mais je découvre mieux d’autres types de militants (qui ne m’enthousiasment pas). L’alliance avec les Verts est globalement rejetée car leur inscription dans la gauche semble douteuse.
  • Pourtant, pour la présidentielle de 1995, le soutien à Dominique Voynet est finalement adopté, non seulement par nous, mais aussi par la CAP. Donc nous participons à la campagne commune. Au niveau national, la coordination n’est pas facile, étant donné les préventions de part et d’autre. La campagne dans notre arrondissement sera sans histoire et je découvrirai les militants Verts, dont leurs deux leaders : Martine Billard et Denis Baupin ;
  • Une anecdote amusante : Rue de la Chine, à la Teinturerie, nous attendons Dominique Voynet qui doit faire une conférence. Je suis anxieux, me demandant si la presse viendra bien. J’agite nerveusement mes clefs dans ma poche. Dominique arrive et en guise d’accueil me dit : « réflexe masturbatoire ». Je suis étonné !
  • Dominique Voynet obtiendra 3,32 % des voix. Jacques Chirac battra finalement son rival de droite Balladur, longtemps donné favori. Va se poser très vite le problème des élections municipales et des alliances. Les Verts ont besoin à Paris d’alliances pour obtenir les 5 % qui permettent d’avoir des remboursements et aussi de fusionner avec la liste PS-PC, donc d’avoir des élus. L’AREV et la CAP acceptent ; mais les discussions vont être dures sur les places éligibles dans les arrondissements gagnables.
  • Dans notre arrondissement, les Verts souhaitent que notre groupe AREV les rejoignent ; donc Martine et Denis se battront pour que je conserve la deuxième place sur la liste commune ; notre arrondissement est susceptible de passer à gauche, comme le treizième et le dix-huitième. Je participe au nom de l’AREV aux marchandages parisiens, dans lesquels la CAP est représentée par des trotskistes qui seront particulièrement habiles et perspicaces. En effet, ils obtiendront la tête de liste dans les dixième et onzième arrondissement qui ne paraissaient pas gagnables, mais le seront. Donc ils auront deux conseillères de Paris, membres de la LCR, et de la CAP, ce qui est intéressant politiquement et aussi financièrement !
  • Ici, les deux personnages connus du PC qui y ont eu des responsabilités avant de rejoindre les Rénovateurs ont trop « bouffé de vert » pendant la campagne Voynet et ne veulent plus de cette alliance ; donc, localement, les militants CAP seront uniquement des trotskistes qui, en pratique, feront uniquement la campagne des 10e et 11e arrondissements; tout en refusant la couleur verte pour certains tracts et nous, AREV, devront arbitrer les conflits permanents entre Verts et CAP. Pénible ! Les camarades trotskistes ne règleront même pas leur part de financement à laquelle ils s’étaient engagés. Tu peux imaginer la colère des militants Verts !

* Sophie : Alors, quel est le résultat, le bilan ?

* Guy : Il faut que je te raconte les négociations avec le PS et Michel Charzat et ,en particulier, celles de la fusion pour le second tour, intéressantes !

  • Charzat avait méthodiquement préparé cette élection. Il avait découpé le 20e en 7 quartiers, qui seront ceux des conseils de quartier quand il deviendra maire. Dans chacun, une équipe de militantEs labourait le terrain, contactait les associations et les sympathisantEs. Charzat espérait bien que nous n’atteindrions pas les 5 %. Mais, prudent, il envisagea cette hypothèse et nous rencontra, Martine, Denis et moi, dans un café, pour vérifier que nos programmes n’étaient pas incompatibles. Il nous déclara que, si fusion il y avait, elle se ferait à la calculette, pour une stricte proportionnelle, en fonction des résultats obtenus par chaque liste.
  • Nous faisons une bonne campagne, sous le titre : « Paris Ecologie, Solidarité, Citoyenneté ». La liste PS, PC conduite par Michel Charzat est baptisée « Paris s’éveille »
  • Et nous obtenons 5,73 % et Charzat 40,31% Donc la fusion aura lieu. Martine Billard, tête de liste, devrait devenir conseillère de Paris. Je suis deuxième et devrais devenir adjoint au maire de l’arrondissement. Une femme de la Cap est troisième et Denis Baupin est quatrième. Nous devrions, à la proportionnelle avoir 4 éluEs.
  • Le dimanche soir, après le premier tour, les militants des trois organisations de la liste attendent les négociations à la Teinturerie. Martine, Denis et moi avons rendez-vous avec Charzat. Nous attendons longtemps, car il négocie avec le PC. Enfin le voilà avec son futur premier adjoint et il ne tergiverse pas ; il nous déclare, en substance : «Vous auriez droit à 4 éluEs ; mais vous n’en aurez que 3 ; Martine conseillère de Paris et Guy adjoint dans l’arrondissement. Si vous refusez la fusion, vous aurez du mal à expliquer votre exigence sur un seul poste, puisqu’il n’y a pas de désaccord sur la ligne politique ! » Nous sommes abasourdis et réalisons que Denis Baupin ne serait pas élu. Nous demandons une suspension de séance, accordée.
  • Je réalise que, rue de la Chine, ce sera tout de suite la bagarre, si nous téléphonons aux camarades. Les Verts n’accepteront jamais que Denis soit sacrifié au profit de quelqu’un qui n‘a rien fait dans la campagne. Ils voudront remettre en cause l’ordre établi ou refuser la fusion. Il y aura peut-être une bagarre. De plus je n’ai guère envie de me retrouver seul au milieu de faux alliés. Je propose donc que nous soumettions à Charzat le compromis suivant : nous renonçons au poste de Guy et nous avons 4 éluEs. Denis et Martine acceptent l’idée et nous la soumettons. Charzat demande une suspension à son tour et finit par accepter. Mes camarades de l’AREV seront furieux contre moi, car ce sont eux les perdants !

* Sophie ; Comment se passe le démarrage de la nouvelle équipe municipale ?

* Guy : D’abord le PC nous fait la gueule quelques temps car notre nombre d’élus est devenu trop proche du leur. Mais la première séance du conseil d’arrondissement va être l’occasion d’un petit désaccord. Et je serai le responsable de cette petite tension. La première séance est légalement présidée par le doyen d’âge. A quelques semaines près, c’est moi et pas l’élue du FN. * Charzat dit « Ouf » ; mais il trouvera une autre raison de regretter. Le jour venu, la salle des fêtes est complètement pleine, car c’est un événement historique pour la gauche. Le discours que j’ai préparé n’est pas de pure forme, gentil avec tout le monde, solennel ; il est volontairement très politique et provoque la colère du maire battu. La salle m’applaudit fortement ; mais Charzat en prenant ma place pour la suite ne me félicite pas et je sens qu’il fait la gueule. Il me dira lors du pot final qu’il aurait souhaité une transition sereine, entre gens bien élevés, du même monde, donc un discours plus traditionnel. Je te le lirai, la prochaine fois où nous nous verrons.

  • Martine Billard devient conseillère de Paris, avec les deux femmes de la CAP-LCR et un associatif du 19e qui l’empêcheront de créer un groupe écolo, alors que c’était un terme central de la campagne municipale. Elle embauche, en tant que collaborateur, notre camarade AREV Serge Rivret, comme elle en avait fait la promesse (nos camarades parisiens avaient douté qu’elle tiendrait sa promesse). Denis Baupin et moi sommes de simples conseillers d’arrondissement, sans aucun émolument. Je deviendrai coprésident du conseil de quartier Plaine et j’aurai des tas de choses à te raconter à ce propos. Denis Baupin sera délégué au transport, au plan vélo, etc.