Nous sommes en 1972. Au 15 de la rue, 400 travailleurs africains sont entassés dans une cartonnerie désaffectée et exploités par un marchand de sommeil qui gagne 3 millions d’AF par mois et ne paye ni électricité ni eau d’où des coupures. Ce foyer est un vrai taudis. Un comité de soutien très large regroupant une douzaine d’organisations locales dont la CFDT, la LDH, le PSU, le Secours Rouge s’est constitué pour soutenir leur demande de relogement et leur grève des loyers. Un système d’alerte est en place. Et un beau matin, nous voilà mobilisés d’urgence ; la police se prépare à expulser. Nos ne sommes qu’une vingtaine environ attendant l’arrivée de renforts. La police nous laisse gentiment venir jusqu’au foyer, et puis soudain elle barre la rue et nous embarque dans un de ses cars. Nous serons retenus toute la journée dans le commissariat de la Place Gambette, situé alors juste à gauche de la mairie. Laurence et le philosophe Patrick Viveret feront partie d'une seconde fournée. Il ne fallait pas que nous puissions revenir et troubler les forces de l’ordre dans leur travail sympathique ! Journée un peu folle pour la vingtaine d’embastilléEs !

Car la police n’a pas fait dans la dentelle et a ratissé large : la « fournée » comporte des militantEs dont Annick Der.. de la CFDT mais aussi un simple habitant de la rue qui a commis la maladresse de descendre chercher des croissants pour son petit déjeuner et a de l’eau sur le feu. Le comique de l’histoire est que la police a aussi enlevé un coiffeur et un clown fort triste de se trouver là alors qu’il ne connaît aucunement ses voisins du foyer. Ces quelques « innocents » pensent que la police découvrant qu’ils habitent la rue Bisson va les libérer parce que leur présence sur les lieux est naturelle et non contestataire. Nenni : pour la police c’est une raison supplémentaire de solidarité et de connivence ! Leur indignation ne servira à rien C’est comme cela que se fabriquent en quelques heures des révoltés à partir de citoyens relativement apolitiques !

Une journée entière, c’est long et il nous faut inventer des distractions. Nous n’avons rien que notre voix. Après les échanges, l'idée d’une chorale s’impose. Le Temps des cerises, l’Internationale, la Jeune Garde, etc. retentissent. C’est l’été. Les fenêtres sont ouvertes. Qu’ont pu penser les nombreux passants ? Laurence proposera même de jouer à saute-mouton car nous ne sommes que « retenus » dans la grande pièce et pas accusés de quoi que ce soit. Elle se souvient de quelques sauts devant des flics partagés entre l'agacement et l'amusement.
Le deuxième stade pour les petits délinquants, c’est l’enfermement dans une cellule grillagée à l’angle de la pièce qui contiendrait difficilement 3 personnes. Les policiers nous montreront aussi à côté des WC le réduit infâme et minuscule où sont mis provisoirement les délinquants plus dangereux. Les flics accepteront d’aller nous acheter des sandwiches au café d’en face et seront stupéfaits de nous voir partager avec le jeune délinquant de la cellule.

Les flics ont été assez sympas et nous les avons distraits. J’ai ainsi eu l’occasion de voir à plusieurs reprises combien les policiers s’ennuyaient ferme par désœuvrement dans leurs commissariats. On s’explique l’alcoolisme dont on parle souvent et je vous raconterai un autre séjour très drôle à la suite d’un collage d’affiches.