L'écologie expliquée par un chef Indien en 1854
:: Par Guy Philippon, jeudi 3 janvier 2008 ::
Texte très célèbre, d'une modernité et d'une limpidité étonnantes : le discours attribué au Chef Indien Seattle, en 1854, suite à l'offre du président des Etats-Unis d'acheter une large zone du territoire indien!
Le Grand Chef Blanc, à Washington, nous salue avec de l'amitié et de la bonne volonté. Ceci est gentil de sa part, car nous savons qu'il n'a pas beaucoup besoin de la nôtre, d'amitié. Il nous fait savoir qu'il veut acheter notre terre et nous laisser une réserve pour y vivre sans encombre. Cette offre parait juste et même généreuse, car l'Homme Rouge n'a plus de droit à faire valoir face à l'Homme Blanc qui peut venir avec ses fusils.
Mais, comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ?
L'idée nous parait étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l'air et le miroitement de l'eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple.
Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d'insecte sont sacrés dans le souvenir et l'expérience de mon peuple.
La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l'Homme Rouge.
Les morts des Hommes Blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu'ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n'oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l'Homme Rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l'homme : tous appartiennent la même famille.
Aussi, lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu'il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand Chef envoie dire qu'il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons, donc, votre offre d'acheter notre terre, mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée.
L'eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n'est pas seulement de l'eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler qu'elle est sacrée, et vous devez apprendre à vos enfants qu'elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l'eau claire des lacs parle d'événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l'eau est la voix du père de mon père.
Les rivières sont nos sœurs : elles étanchent notre soif, portent nos canoês et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler, et l'enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos sœurs, et les vôtres, et vous devrez alors montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour une sœur. Nous savons que l'Homme Blanc ne comprend pas nos mœurs. Pour lui, une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c'est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n'est pas sa sœur, mais son ennemie, et lorsqu'il l'a conquise, épuisée, il va plus loin. Il abandonne même la tombe de ses aieux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aîeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l'oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu'un désert. Nos mœurs sont différentes des vôtres.
La vue de vos villes fait mal aux yeux de l'Homme Rouge. Mais peut-être est-ce parce que l'Homme Rouge est un sauvage et ne comprend pas. Il n'y a pas d'endroit paisible dans les villes de l'Homme Blanc. Nul endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps ou le froissement des ailes d'un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas ? Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l'homme ne peut entendre le cri solitaire de l'engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d'un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L'Indien préfère le son doux du vent s'élançant au-dessus de la face d'un étang, et l'odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi ou parfumé par le pin pignon.
L'air est précieux à l'Homme Rouge, car toutes choses partagent le même souffle : la bête, l'arbre, l'homme, tous partagent le même souffle.
L'Homme Blanc ne semble pas remarquer l'air qu'il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais, si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l'air nous est précieux, qu'il partage son esprit avec tout ce qu'il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devrez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l'Homme Blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés. Nous considérerons donc votre offre d'acheter notre terre. Mais si nous décidions de l'accepter, j'y mettrais une condition : l'Homme Blanc devra traiter les animaux de cette terre comme ses frères.
Je suis un sauvage et je ne connais pas d'autre façon de vivre.
J'ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l'Homme Blanc qui les avait abattus d'un train qui passait. Je suis un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous tuons, nous, uniquement pour subsister.
Qu'est-ce que l'homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l'homme mourrait d'une grande solitude de l'esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l'homme. Toutes choses se tiennent.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu'ils foulent est fait des cendres de nos aîeux. Pour qu'ils respectent la terre, dites à vos enfants qu'elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mére. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci : la terre n'appartient pas à l'homme ; l'homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent.
Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre.
Ce n'est pas l'homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu'il fait à la trame, il le fait lui-même.
Même l'Homme Blanc, dont le dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons, et que l'Homme Blanc découvrira peut-être un jour, c'est que notre dieu est le même dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le dieu de l'homme, et sa pitié est égale pour l'Homme Rouge et le Blanc. Cette terre lui est précieuse, et nuire à la terre, c'est accabler de mépris son créateur. Les Blancs aussi disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus.
Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du dieu qui vous a amenés jusqu’à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et l'homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas. Quand les bisons seront tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d'hommes, et la vue des collines en pleines fleurs ternie par des fils qui parlent...
Alors, où seront les fourrés ?
Disparus.
Où sera l'Aigle ?
Disparu.
Et cette disparition marquera la fin de la vie et le début de la survivance.
Chef Seattle, 1854