Le film est remarquable dans l’enchaînement politique et esthétique des images d’archives, par la qualité des commentaires et des formules, par la vie donnée au climat de libération fiévreuse et joyeuse de la parole, par les images du grand amphithéâtre de la Sorbonne, par les séquences concernant Dany Cohn Bendit ou de Gaulle, par les récits des multiples luttes de 68 ailleurs dans le monde




Mais politiquement, il est assez discutable, par ses « escamotages »

Le plus grave : il réduit le mouvement à la « commune étudiante » et à une lutte entre le pouvoir gaulliste et le couple PC-CGT (un peu Mitterrand) en escamotant totalement le bloc CFDT-UNEF-PSU qui fut déterminant avec les libertaires dont Dany, les trotskistes de Krivine, etc.



Edmond Maire de la CFDT, Michel Rocard, secrétaire national du PSU, Pierre Mendès France, Jacques Sauvageot, président de l’UNEF et membre du PSU, Alain Krivine ne sont pas cités une seule fois ! Pourtant le trio médiatique de la contestation étudiante comportait Cohn Bendit, Sauvageot et Geismar, associés dans le dialogue avec les pouvoirs !

  • Escamoté dans le passage de la révolte étudiante à la gigantesque grève générale le rôle joué par le PSU qui avait une réelle implantation ouvrière (3000 personnes environ). Bien des militants CFDT et certains cégétistes avaient en même temps une carte du PSU, ceux de l’UNEF égalemen, cela à tous les échelons depuis la base jusqu’au sommet. Dans le film la grève générale arrive pourtant spontanément, sans explications, par une sorte d’opération du Saint Esprit !
  • Escamoté le fait que le PC encore très stalinien et très lié à l’URSS préférait en réalité garder De Gaulle -qui avait pris ses distances avec le pacte atlantique- plutôt que de voir arriver une équipe qu’il ne pourrait pas dominer, autour de « gauchistes irresponsables » comme Rocard et ses amis CFDT !
  • Escamotées les tentatives de la CGT pour arrêter les grèves et les réduire à des revendications de salaires, en évacuant les aspects plus structurels et qualitatifs. L’hégémonie de la CGT sur la classe ouvrière était fortement mise en cause par cette mosaïque de « gauchistes » de multiples obédiences et par une masse « d’enragés » pour lesquels « la grève générale était un rêve qu’ils ne voulaient pas interrompre !
  • Escamoté le meeting du stade de Charléty et sa brochette de leaders syndicaux (excepté les orthodoxes de la CGT), en présence de Mendés France, Rocard, etc. Séguy, pour la CGT négociait au même moment la première mouture des accords de Grenelle. Les manifs organisées fin mai par PC-CGT seuls sont, elles, longuement filmées ; la peur du communisme sera l’un des ressorts du retour en force de la droite
  • Escamotée l’origine du slogan scandé dans le film: « Nous sommes tous des juifs allemands » (comme Dany) ! Réponse à un article du journal communiste l’Humanité qui scandalisait les manifestants.

Mais ce film est à voir pour celles et ceux qui n’ont pas vécu cette période



et pour tout le monde d'ailleurs !