Nous sommes en 1960 et l’opinion publique ne se passionne pas pour les « événements d’Algérie », terme hypocrite pour camoufler le fait qu’il s’agit bien d’une guerre.

Le PSU crie dans le silence général « Et l’Algérie ? », sur de petites affiches. Il va organiser les premières manifestations bien avant celle dramatique du métro Charonne.

Le 30 avril 1960, le MAN (mouvement pour une alternative non-violente) a brisé une première fois le silence de la grande presse en réunissant environ 2000 personnes dans une manifestation originale devant le camp d’internement de Vincennes, vaste centre de triage où le gouvernement parque des centaines de « suspects », nord-africains pour la plupart. Les manifestants restent assis devant le camp, en silence. Les policiers doivent les traîner un par un vers leurs cars. Parmi les manifestants deux membres connus du PSU : l’historien Pierre Vidal-Naquet et le mathématicien Laurent Schwartz, ainsi que la résistante Germaine Tillon. Le CPN (comité politique national du PSU) déclare ces actions comme « positives, dans la mesure où elles affirment publiquement, le plus massivement possible, la résistance à la guerre ».

Je décide de participer à l’action organisée quelques semaines plus tard, en bas des Champs Elysées, à 18 h. Je fais comme les autres et je m’assois par terre en brandissant un carton « non aux tortures » ou « paix avec l’Algérie ». La police a tiré les leçons de Vincennes et voulant éviter la présence d’une foule importante embarque dans ses cars les manifestants au fur et à mesure de leur arrivée. La consigne est de ne pas résister et de se laisser traîner. Le silence, la dignité, la non-résistance mettent les policiers dans une rage froide ; ils cassent les lunettes d’une vielle dame, déchirent la soutane d’un prêtre (les prêtres portaient encore soutane). Sur le bord du trottoir une bande de fachos nous insultent, nous traitent de pédés et menacent de nous casser la gueule. Je me demande jusqu’où nous pourrons pousser la non-violence. Mais ils n’ont pas osé le faire. Quelle belle preuve de la force morale de la non-violence !!! La police les aurait certainement laissé faire.

Comme les autres je suis pris comme un sac de patates par les bras et les jambes puis balancé dans un car. Je me souviens encore que, pendant le vol, je fus inquiet sur les conditions de l’atterrissage qui, en fait, se passa bien. On nous conduit dans le centre de tri et d’identification de Beaujon du huitième arrondissement, réservé aux « terroristes », avec barbelés et projecteurs. Les cars défilent donc dans les beaux quartiers avec derrière les grilles nos pancartes iconoclastes, contre les tortures.

A Beaujon, on sépare les hommes et les femmes et c’est le défilé devant les inspecteurs éberlués de découvrir moult officiers de la légion d’honneur, un professeur au collège de France, des « notables » ! Tous sont-ils donc devenus fous ? Comme les autres, je passe à la séance de photographie d’identité judiciaire, face et profil, comme les criminels, avec un numéro sur le ventre. Le lendemain un ami de mon lycée me dira que, à côté de lui, il avait remarqué un quidam possédant un passeport diplomatique et, curieux, avait découvert qu’il s’agissait de Pierre Joxe futur ministre de l'intérieur mais surtout fils du ministre du général De Gaulle qui plus tard allait négocier les accords d’Evian avec le FLN algérien. Emoi dans les hautes sphères évidemment et on vient proposer à Pierre Joxe de le libérer et il refuse !

Dans ma cellule un rassemblement hétéroclite de professions et d’engagements politiques et une nuit passionnante de discussion qui fascina les flics chargés de surveiller ces dangereux révolutionnaires.

On nous libéra par petits groupes à 5 heures du matin, à 20 km pou certains, et pour mon groupe dans le bois de Boulogne le plus loin possible d’un métro ! Petite punition fort mesquine !

« Il fallait des précurseurs ! » écrit Marc Heurgon dans son Histoire du PSU.