Nous sommes en plein travail sur le petit bâtiment carré en briques de la place Martin Nadaud, lorsque s’arrête une superbe voiture américaine avec deux jeunes Turcs qui viennent de se marier. Ils nous demandent où se trouve une rue dont j’ai oublié le nom. Et soudain s’arrête un autre véhicule, …un car de police. Les flics descendent et, agressifs, nous demandent de décoller nos affiches puis nous embarquent dans le car avec tout notre matériel et …les deux Turcs, malgré notre insistance à affirmer qu’ils ne font pas partie de l’équipe. Au commissariat de la place Gambetta, nous sommes séparés des Turcs et alignés sur un banc. Anne est sommée de rester assise lorsqu’elle esquisse un geste pour se lever. Un inspecteur vient relever nos identités et croit que nous nous moquons de lui lorsque, à la question « profession ? » répond une litanie : « Professeur, professeur, professeur, professeur». Il veut nous faire déclarer que les Turcs sont nos « complices » !

Je suis inquiet lorsqu’ils nous font remonter dans un car de police d’autant qu’Agnès et moi devons dîner chez un ami en banlieue. Je pense que nous allons passer la nuit en cellule. En fait nous arrivons simplement dans le commissariat de la rue des Orteaux, le seul commissariat en service pour la nuit du samedi. Nous sommes gardés dans une pièce par un policier en uniforme assez sympathique avec lequel nous discutons des conditions de travail et de formation des policiers, une sorte de discussion entre syndicalistes de la fonction publique. Il est marié à une Antillaise et se dit donc hostile à toute forme de racisme. Un inspecteur appelle dans son bureau Anne et Blandine, l’une après l’autre, pensant que ces « faibles femmes » accepteront facilement d’admettre la participation des Turcs à notre action intolérable et de signer une main courante dans ce sens. Bien entendu, elles refusent, puis il nous fait entrer, Carlos et moi. Il nous invite fermement à signer sa rédaction de main courante ce qui nous permettrait d’être libres ; nous refusons bien évidemment. Mais ce chantage et surtout le contenu des propos me semblent si odieux que je suis sur le point d’exploser et d’insulter l’inspecteur, lorsque je réalise que : « insultes à un fonctionnaire de police dans l’exercice de ses fonctions » pourrait me coûter assez cher !

Attente inquiète et puis, curieusement, on nous libère. En fait, s’ils nous avaient gardés toute la nuit, ils auraient été obligés de rester eux aussi à plusieurs. A la porte, quatre ou cinq amis, alertés je ne sais plus comment, nous attendent …et nous sommes arrivés en retard chez l’ami Alex. Nous ne saurons jamais ce que sont devenus les Turcs, ni la belle voiture.

L’acharnement de l’inspecteur était-elle une expression de racisme, une hostilité à l’obtention de droits pour les immigrés ou de la bêtise ?