Le PSU cherche son identité La grande bataille des années 62-67
:: Par Guy Philippon, lundi 14 février 2011 ::
J’ai vécu une grande partie de cette période avec passion, douloureusement parfois, comme membre de la direction parisienne ou de celle du dix-neuvième arrondissement, face à des procédés inacceptables. Je parlerai de majorité et de minorité puisque ce fut le cas clairement jusqu’en 67. J’ai été fortement engagé dans la réflexion et parfois même dans la gestion de la ligne majoritaire.
Après les accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie, le PSU doit définir clairement son identité, ses buts stratégiques et en particulier ses rapports avec les autres partis de gauche. Le défi à relever est énorme, la cohésion entre des personnes venues d’horizons fort différents n’a pas encore pu se faire et les actions pour la paix avec l’Algérie ne peuvent plus servir de ciment. Le PSU, logiquement, tâtonne. Il n’a eu qu’un seul élu, Tanguy Prigent, aux législatives de 1962. Le congrès d’Alfortville de 1963 permet au journal Le Monde d’ironiser sur le « parti des cinq tendances » et des militants sont découragés par ce qu’ils vivent comme des bagarres de personnes. En fait, il s’agit d’un affrontement politique global entre deux lignes politiques opposées sur des questions essentielles.
La majorité rassemble le secrétaire national Edouard Depreux, son dauphin naturel Gilles Martinet, Marc Heurgon, Georges Servet (alias Michel Rocard), Pierre Mendès-France, les cadres de la CFDT depuis le niveau national autour d’Edmond Maire jusqu’aux cadres intermédiaires, les chrétiens issus du MLP au moment de la naissance du PSU, les dirigeants de l’UNEF, je crois, et des théoriciens marxistes dont je reparlerai.
La minorité, dirigée par Jean Poperen, l’autre successeur possible de Depreux, est bien plus hétéroclite car composée d ‘anciens communistes comme Poperen lui-même, de trotskistes et de sociaux démocrates qui n’acceptent pas d’avoir perdu le pouvoir mais aussi ont le même projet de rassemblement dans de vieux appareils rénovés. Cela se vérifiera peu à peu. L’emblématique Claude Bourdet accepte de figurer comme animateur car cette tendance se prétend la gauche du PSU.
La majorité rêve que le PSU devienne la force principale de la gauche, car la SFIO est déshonorée par Guy Mollet, la guerre d’Algérie et ses tortures (Gaston Defferre lors de la présidentielle de 69 dépassera de justesse les 5% alors que Mendés le soutient) et d’autre part le PC qui n’est pas encore sorti du stalinisme et de la soumission à l'URSS, paie les événements de Hongrie et son vote des pleins pouvoirs à Mollet. Il y a dans cette orientation les prémices de la deuxième gauche mais aussi celles de l’écologie politique et de la radicalité révolutionnaire qui fera que le PSU soit comme un poisson dans l'eau dans le mouvement de Mai 68. Des militants de cette sensibilité, plus tard, se retrouveront à la tendance maoïsante GOP (gauche ouvrière et paysanne).
La minorité rêve de refaire le Front Populaire de 1936 et de servir de courtier, de marieur entre les sociaux démocrates et le PC ; l’unité de la gauche était plus importante que l’affirmation autonome. Quand Mitterrand et Marchais ont voulu faire leur rassemblement autour du programme commun ils n’ont pas eu besoin du PSU et ils ne l’ont même pas écouté, ni la CFDT d’ailleurs (le PC devrait peut-être le regretter !).
La différence est aussi théorique. Des penseurs comme Pierre Belleville, Serge Mallet pratiquent un marxisme vivant, en analysant la nouvelle classe ouvrière (celle de l’électronique, de l’aéronautique, de la pétrochimie, de l’informatique naissante..) qui n’est plus la même que celles des mineurs, des sidérurgistes, des travailleurs à la chaîne, et aussi la paysannerie, comme l’aurait fait Marx 1. Poperen, lui, dénonce un révisionnisme dangereux, une complicité avec la « gauche américaine » ou la technocratie symbolisée par Rocard.
La majorité travaille beaucoup dans des domaines comme le « cadre de vie » qui est en fait le début de l’écologie politique, dans le refus du nucléaire civil et militaire et je ne pense pas honnêtement que la minorité ait voulu se cantonner dans les luttes ouvrières. Par contre il me semble bien qu’elle n’accepte pas le « décoloniser la province » de Mendés et Rocard ; marquée qu’elle est par la tradition jacobine de la Révolution de 1789. Et, en tous cas, elle critique fortement les « colloques de Grenoble » et la notion de « contre-plan », signe d’un réformisme larvé. J’ai souvent entendu Marc Heurgon se dire « girondin » par rapport à 1789 et il était historien !
Les questions internationales me semblent faire un large consensus. Par contre la prise de position favorable au peuple palestinien divise profondément le mouvement et nous fait perdre beaucoup de militants juifs ; mais ces clivages traversent les deux sensibilités et je sais que Rocard avait des liens très amicaux avec le délégué de l’OLP en France qui a été assassiné.
1 1962 : Serge Mallet écrit « Les paysans contre le passé », ouvrage théorique qui contribuera à la création des « Paysans travailleurs » (fondés par Bernard Lambert qui a rejoint le PSU en 1966), ancêtres de la Confédération paysanne actuelle.
1963 : Serge Mallet écrit « La nouvelle classe ouvrière » qui analyse l’apparition d’ouvriers très différents des sidérurgistes, des mineurs, etc.… que sont les ouvriers de l’électronique, de l’aéronautique, de l’informatique, de la chimie, les jeunes OS de l’industrie, etc. et aussi les cols blancs à revenus modestes, automobile. Les 3000 militants ouvriers du PSU appartiennent à plusieurs syndicats ; les militants PSU participent à la déconfessionnalisation de la CFTC et, par ailleurs, à des luttes dures comme celles de la Rhodiaceta qui sont les prémices de la grève générale de mai 68. Cette « Nouvelle classe ouvrière fut le fer de lance du mouvement de mai 68 » écrira Mallet en couverture de la réédition au Seuil de1969. Le débat est vif entre ce jeune marxiste iconoclaste et les marxistes traditionnels, comme Jean Poperen, qui voient là une déviation réformiste fascinée par l’Amérique.