Guy Mollet : la trahison
:: Par Guy Philippon, vendredi 18 mars 2011 ::
Guy Mollet est secrétaire national de la SFIO (le parti socialiste de l’époque) depuis le congrès de 1946. Il a gagné ce congrès en se situant sur des positions très radicales, très « gauche » face à Daniel Mayer ; il gardera ce poste jusqu’en 1969. Pour les élections législatives de janvier 1956, la SFIO, les radicaux-socialistes dirigés par Pierre Mendés France (PMF), l’UDSR dirigée par François Mitterrand et quelques gaullistes sociaux comme Jacques Chaban-Delmas ont formé le Front Républicain. Cette alliance de centre gauche a gagné de peu les élections législatives du 2 janvier. Le mandat donné par les électeurs est clairement de faire la paix avec l’Algérie.
Guy Mollet : la déception ! Le premier février 1956, le président de la République René Coty nomme Guy Mollet président du Conseil, alors que beaucoup d’électeurs du Front Républicain souhaitaient voir à ce poste PMF qui avait su finir la guerre d’Indochine. Ils avaient voté socialiste car c’était la composante la plus à gauche de cette coalition, en principe au moins. Personnellement je l’avais fait également, après bien des hésitations, tellement j’avais été enthousiasmé par le souffle novateur et démocratique du gouvernement Mendés ; et aussi parce que je détestais le clientélisme radical-socialiste observé en Creuse. Pourquoi, diable, ai-je voté socialiste !
Guy Mollet cède sous les tomates Il a nommé le général Georges Catroux Ministre Résident en Algérie à la place de Jacques Soustelle. Les « Français d’Algérie, dits pieds-noirs » sont furieux. Lorsque le 6 février 1956 Guy Mollet vient à Alger, il est accueilli par des insultes et on lui jette des tomates. Il cède et remplace Catroux le libéral par Robert Lacoste. La ligne politique change ainsi totalement. Je suis scandalisé. La guerre va continuer de façon horrible, politique si inadmissible que Mendés France démissionnera du gouvernement le 23 mai 1956. Pourquoi, diable, ai-je voté pour lui !
Guy Mollet s’enfonce Le 12 mars 1956, il obtient de l’assemblée nationale, avec les voix du parti communiste, les pouvoirs spéciaux, ce qui, de fait, supprime les garanties sur les libertés démocratiques en Algérie. Les tortures vont se développer, comme les assassinats de prisonniers du FLN algérien dans ces fameuses « corvées de bois » (on envoie les prisonniers chercher du bois et, dehors, on les tue en déclarant qu’ils ont voulu s’enfuir). Le 11 avril 1956 il porte le service militaire des appelés à 27 mois, rappelle le contingent de jeunes qui avaient fini leur temps de service et vont faire plusieurs mois supplémentaires. Si je n’avais pas été réformé à cause de ma mauvaise vue, j’aurais dû faire 27 mois d’armée et aller en Algérie, comme ceux qui avaient mon âge ! Pourquoi, diable, ai-je voté pour lui !
Guy Mollet pirate Le 22 octobre 1956, son gouvernement organise le détournement sur Alger de l’avion DC-3 marocain de Air Atlas qui transporte cinq chefs historiques du FLN algérien dont Ben Bella (futur président de la république indépendante). Ils seront bien entendu emprisonnés (avec quel argument juridiquement indiscutable?) Cette opération ne sera guère appréciée par le gouvernement marocain. C’est avec ces cinq dirigeants que le général De Gaulle, en 1962, négociera les accords d’Evian mettant fin à la guerre. Pourquoi, diable, ai-je voté pour lui !
Guy Mollet fait la guerre à l’Egypte L’Egypte est, pour le gouvernement français, coupable d’aider les rebelles algériens, de leur fournir des armes. Nasser vient de nationaliser le canal de Suez, propriété franco-britannique. Magnifique prétexte pour une opération militaire organisée avec le Royaume Uni et Israël. Le 2 novembre 1956, les parachutes français occupent facilement la zone du canal. Mais, malgré la guerre froide entre l’URSS et les Etats Unis, ces deux pays s’allient pour mettre fin à cette aventure qui menace la paix mondiale. Et dès le 6 novembre les troupes reviennent au bercail. Pourquoi, diable, ai-je voté pour lui !
Guy Mollet complice Le FLN continue à résister à la puissante armée française (600 000 soldats en septembre 1956 dit Wikipédia) et à faire des attentats. Le 7 janvier 1957 le gouvernement donne les pleins pouvoirs au général Massu pour mener la terrible « bataille d’Alger ». Les tortures à l’électricité, avec la fameuse « gégène », les pendaisons par les pieds deviennent systématiques. De nombreux amis, en particulier des camarades du PSU, ont été soldats en Algérie ; ils ont vu des choses horribles sans pouvoir les empêcher. Ils ont mis des années avant de pouvoir en parler ! Merci, Monsieur Mollet, d’avoir traumatisé pour si longtemps presque toute une génération de Français ! Et que dire des souffrances de toutes natures (destructions, tortures, viols, assassinats) infligées au peuple algérien ! Elles continueront d’ailleurs après la démission de Mollet et l’arrivée du général De Gaulle. Pourquoi, diable, ai-je voté pour lui !
Guy Mollet jette l’éponge Il a démissionné le 13 juin 1957 et les gouvernements suivants, soutenus par lui, n’ont pas mieux réussi. Le 13 mai 1958 un putsch se produit à Alger conduit par Lagaillarde qui occupe le Gouvernement Général de Robert Lacoste. Un Comité de Salut Public est constitué avec les chefs de l’armée, présidé par le général Massu qui exige un gouvernement de Salut Public à Paris. Nos responsables politiques, paniqués, ne voient qu’une solution : le recours au Sauveur suprême, le général De Gaulle. Ils vont le supplier à Colombey. Guy Mollet sera même ministre d’état du général entre le 14 juin 1958 et le 8 janvier 1959. L’humiliation de voir leur secrétaire national obligé de recourir à l’adversaire pour sortir de l’impasse algérienne est la goutte de trop qui fait déborder le vase et conduit plusieurs milliers de socialistes à faire scission et à créer le PSA, parti socialiste autonome. On peut citer Daniel Mayer, Edouard Depreux, Alain Savary et le jeune Michel Rocard. Le déshonneur de cette politique pèsera plus de dix années sur l’image du parti socialiste et ouvre au PSU sa première fenêtre historique. Ma révolte de l’époque persiste tellement aujourd’hui que j’ai failli oublier que Guy Mollet avait quand même fait voter la troisième semaine de congés payés et aussi les deux traités de Rome qui symboliseront, lors de leur ratification le premier janvier1958, l’ébauche de L’Union européenne, l’Europe des Six.. Les traités du 25 mars 1957 fondent la Communauté économique européenne (CEE) et la communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom).