Texte n° 4 : 1968 : l’insurrection démocratique Bilan de Mai, son bilan et son héritage
:: Par Guy Philippon, samedi 5 septembre 2015 ::
- Electoralement le bilan sera désastreux pour la gauche
- Juin 1968 cuisante défaite de la gauche aux élections législatives : 33 élus communistes, 57 pour la FGDS de Mitterrand contre 270 pour l’UDR de De Gaulle Ce dernier perdra le référendum de 1969, laissera la place à Georges Pompidou porteur d’une tout autre politique, productiviste, libérale, conservatrice et moderniste à la fois.
- 1er juin1969 : Election présidentielle : Georges Pompidou obtient 44 % de voix au premier tour et Poher, centriste et président du Sénat arrive le second avec 23 %. Le candidat socialiste Gaston Defferre n’obtient que 5,01 % bien qu’il soit soutenu par Pierre Mendés France ; le candidat communiste Jacques Duclos obtient 21,27 % ; le candidat PSU Michel Rocard obtient 3,61 % Cela traduit parfaitement le rapport de forces entre communistes et socialistes à cette époque. Au niveau militant la faiblesse des socialistes est encore plus énorme ; seul le PSU rivalise quelque peu sur ce plan militant avec le PC : Le PSU possède une base ouvrière de 3000 personnes environ et dirige en duo avec le PC plusieurs grandes villes dont Nîmes, Le Havre et Reims
- Le bilan global de Mai 68 est discuté. Mais deux choses sont incontestables : c’est une révolution manquée contre le pouvoir gaulliste (ébranlé néanmoins) mais c’est le détonateur d’une révolution de la société encore rurale et par ailleurs patriarcale, une révolution culturelle dans les codes, les rites, « une insurrection démocratique ». La France va changer dans la décennie 70, très idéologique sous l’influence des « gauchistes », alors que « la décennie 80 sera réaliste jusqu’à l’écœurement ». Les « enragés de Mai » avaient cent fois raison, à tel point que leurs revendications agressives passent aujourd’hui pour des évidences minimales » écrit Laurent Joffrin.
- Les revendications explicites ou sous-jacentes de 1968 vont peu à peu être satisfaites ou vont irriguer des luttes sur:
- fonctionnement des universités (fac de Vincennes ouverte aux non-bacheliers) - changement des rapports entre profs et élèves dans les lycées ( plusieurs luttes lycéennes médiatisées – panneau d’affichage y compris politique ! pour les élèves dans mon lycée !) - droits des femmes (loi Veil de 1975) - droit des travailleurs dans l’entreprise ( Lip 1973, l’autogestion et la vente massive des montres de leur « trésor de guerre ») - Restos du cœur - conditions de vie des immigrés posées dans plusieurs luttes - création de SOS racisme – fin du monopole de l’information (radios libres, etc.) –
- La CFDT se félicite de la création de sections syndicales d’entreprises et de la 4ème semaine de congés payés; la CGT des augmentations de salaires obtenus par les accords de Grenelle (35% pour le SMIG et 10% pour l’ensemble des salaires), mais l’inflation les annulera vite, en partie !
- Mai 68 enfantera un grand nombre de solidarités internationales
- face aux Franco, Colonels grecs, Shah d’Iran, Pinochet du Chili - face à l’Apartheid en Afrique du sud (campagne de boycott des oranges Outspan), …
- soutiens au printemps de Prague de 68 en Tchécoslovaquie, (immolation de Jan Palach en 1969), - au Viet Nam (affiches Nixon go home lors de sa venue ici ) – à la révolution des œillets au Portugal, - à la Yougoslavie de Tito contre les communistes et à l’autogestion - aux Palestiniens – à la création de Médecins Sans Frontières – sans compter les manifs liées à la guerre d’Afghanistan, à l’Irlande du Nord, etc.
- La droite focalise le bilan sur le côté libertaire (slogan « Il est interdit d’interdire ! ». Raymond Aron est virulent mais De Gaulle essaie de tenir compte des revendications de mai dans le referendum qu’il perd et qui provoque sa démission. Pompidou devenu président permet un temps à Chaban Delmas de récupérer certaines revendications dans sa « Nouvelle société » et Giscard d’Estaing fera de même des efforts pour moderniser la société en 1974. Bien plus tard Sarkozy comprendra les dangers pour les conservateurs de l’idéologie de Mai 68 et déclarera « il faut détruire mai 68 ».
- Joffrin fait 30 ans après 68 un bilan positif de Mai 68 mais sévère sur la décennie suivante « On craignait la récupération par la droite ou par les réformistes. Il y eut d’abord récupération par le gauchisme triste et théoriciste. La décennie suivante fut donc ultra-politique, vouée aux querelles et aux éruptions de l’extrême gauche. » Mais elle sera l’animatrice de toutes les luttes de solidarité internationale mentionnées plus haut.
- Le PSU que les médias classent dans l’extrême gauche a joué un rôle important ; il voit logiquement ses effectifs doubler et atteindre les 15 000 ! Mais il ne réussira pas à assimiler cette masse de nouveaux-nouvelles qui pense que Mai 68 est une répétition générale de la vraie révolution qui va arriver (je le penserai moi aussi un certain temps). Ils-elles se répartissent dans les courants maoïstes, trotskistes, luxembourgistes, sociaux démocrates. En 1972 les maoïstes partent, en 1974 une bonne partie des rocardiens et des cédétistes partent à leur tour, plus tard des autogestionnaires et le nombre des adhérents diminuera tragiquement car se rajouteront les illusions véhiculées par le Programme commun opposé au socialisme autogestionnaire, par l’unité de façade socialistes-communistes et par le slogan « changer la vie ». Une ligne juste ne suffit pas pour gagner.
- La France ne basculera pas dans le terrorisme et les violences de groupuscules révolutionnaires comme les Brigades rouges en Italie et la bande à Baader ou Fraction Armée Rouge en Allemagne. Pourquoi ? Parce que Sartre et Foucault trouveront une habile synthèse dialectique entre violences verbales et conseils de modération ?? les leaders d’extrême gauche en 68 tracèrent d’ailleurs une ligne rouge au-delà de laquelle ils ne s’aventurèrent pas, par peur de pertes humaines. La JCR de Krivine empêcha des manifestants d’envahir une armurerie. Barricades, lancements de pavés et charges de CRS auraient pu provoquer des drames qui ont été heureusement limités en Mai 68 (deux morts, un étudiant et un policier, l’un par noyade, Tautin, et l’autre par le dérapage malheureux d’une manifestation ouvrière à Lyon). Sagesse due aux leaders de Mai et aussi au préfet de police Grimaud qui encadra bien ses policiers et ses CRS. Le slogan CRS-SS facile à scander fut d’ailleurs stupide !
- Le slogan célèbre de Mai « Ce n’est qu’un début ! Continuons le combat ! » reste d’actualitéavec ses accentuations originales et résonne encore dans nos têtes
- 1968 est une année phare, y compris sur toute la planète!