* Sophie : Tu souhaitais revenir en arrière ! As-tu beaucoup de souvenirs à aborder ? On commence par quoi ?

* Guy : Enormèment de souvenirs liés au PSU.Et tous importants pour moi ! Pour en sortir je vais essayer de reprendre l’ordre chronologique. Donc commençons par la fusion et mon vécu de celle-ci. Je n’étais pas à Paris et je n’ai pas assisté au congrès de fusion, ni participé aux négociations préliminaires, délicates car sous-tendues par des méfiances et des questions de rapports de forces ! Sur le plan des apports numériques, le PSA était nettement dominant et Tribune du Communisme faible ; Nous, à l’UGS, nous étions méfiants à cause des pratiques peu démocratiques connues chez les socialistes. Dans la première direction nationale du PSU les anciens socialistes auront nettement la plus forte minorité mais pas la majorité absolue …Et une seule femme au bureau national !

  • Dans le neuvième arrondissement de Paris, nous sommes 9 UGS et les PSA sont une centaine; ils se méfient de nous ; ils nous voient comme des extrémistes irresponsables ! Les rencontres préparatoires à la fusion sont difficiles à obtenir. Lors de la première réunion, j’arrive le premier des UGS, et, au fond de la salle prévue, je crois arriver dans une assemblée de joueurs de boule ou de vieux notables. La réunion sera fort décevante !
  • Mais tout va vite changer. Un an après la fusion, un ex-UGS, Robert Leprieur sera devenu le secrétaire du groupe PSU du neuvième ; victoire du militantisme sur le routinier et les batailles d’appareils!

* Sophie : Ce sera donc pour toi la principale difficulté pour amalgamer des composantes fort différentes ?

* Guy : Pas vraiment ! Voici le récit que j’ai fait pour une petite brochure.

  • Cette histoire nous a été racontée un an avant sa mort par Gilles Martinet, cofondateur du PSU et secrétaire national adjoint de 1960 à 1967.
  • Nous sommes en 1960 à Angers. La fusion entre les composantes UGS (Union de la Gauche Socialiste) et PSA (Parti Socialiste Autonome) n’arrive pas à se concrétiser normalement. En effet, le groupe issu de l’UGS comporte une centaine de militants actifs, en quasi-totalité ouvriers et chrétiens (originaires du Mouvement de Libération du Peuple), membres par ailleurs de la CGT. Le groupe issu du PSA ne comporte qu’une vingtaine de membres, presque tous francs-maçons. Le vote démocratique va donc conduire à l’élection du leader « chrétien » Roger Seicher comme secrétaire du groupe unifié PSU. C’est inacceptable pour les camarades du PSA. Toutes les pressions du Bureau National, en recherche d’un consensus, ont échoué ! Alors cette instance décide d’envoyer sur place le secrétaire national Edouard Depreux qui a l’autorité de son statut, une jovialité naturelle et qui, de plus, est issu de la même famille PSA. Voici le dialogue :
  • Depreux : Robert est ouvrier, connu, membre du comité National d’Action Laïque, ce qui constitue une garantie. Que vous faut-il de plus ?
  • Les PSA locaux : « As-tu regardé ses chaussettes ?
  • Depreux : Non ! Qu’ont-elles donc ?
  • Les PSA locaux : Eh bien ! Il n’en a pas !
  • * Depreux : Et alors ?
  • Les PSA locaux : Il a fait un vœu. Il ira à Lourdes. Il ne peut être laïque !
  • Depreux devra renoncer et les PSA n’adhèreront pas au PSU à cause de ce « sans chaussettes » qui avait bien fait le vœu en question! Roger Seicher sera membre du Comité Politique National du PSU de 1963 à 1967.
  • Le même Gilles Martinet nous rappelle, ce même jour, que le Bureau National dut polémiquer pendant deux réunions avant d’accepter l’adhésion d’un militant lillois qui avait la « tare » d’être enseignant dans un établissement privé, catholique.

* Sophie : la lutte pour la paix avec l’Algérie a dû être un ciment qui a fait oublier ces difficultés ? Non ?

* Guy : Oui ; mais le débat sur l’insoumission a provoqué des débats passionnés à Paris et des clivages fort importants pour la suite. Le manifeste des,121 paraît en septembre 1960 et déclare :

  • « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. »
  • En relisant sur Wikipédia les 121 noms, je suis frappé par le nombre de grands écrivains, musiciens, comédiens, historiens, encore très connus actuellement et par la présence de René Dumont, avec plusieurs autres PSU ! . Le manifeste provoque de vives réactions. Fin octobre 1960 le nombre de signataires sera de 246 !
  • J’ai voulu signer le Manifeste des 121 et, je ne sais par quel canal, j’ai été invité à une réunion clandestine des organisateurs de cette « Résistance ». Mon acceptation de la consigne du secret a été si profonde que je ne me souviens plus du lieu ni des personnalités qui présidaient !
  • On nous dit, ce jour-là, que le nombre et la notoriété des signataires étaient tels que mieux valait que nous restions clandestins et que nous nous engagions dans Jeune Résistance. Ce mouvement aide alors les jeunes appelés qui décident de refuser de partir en Algérie à trouver un lieu de résidence et/ou à partir hors de France. J’accepte et, à une seconde réunion, on me confie un stock de documents et de livres interdits à diffuser parmi les sympathisants de la cause. Il s’agit de brochures de Jeune Résistance avec des interviews de jeunes, de livres dont « La question » de Henri Alleg, « Le déserteur » de Maurienne, etc. Je les garderai dans un casier inoccupé de la salle des professeurs de mon lycée Chaptal. Il n’y aura pas de nouvelle réunion de Jeune Résistance car c’est la période du démantèlement du réseau Jeanson .

* Sophie : Quel sera l’influence de cet appel concrètement ?

* Guy : Par rapport à la guerre, à l’armée, au rappel du contingent, on peut distinguer plusieurs attitudes :

  • Beaucoup « acceptent » leur présence en Algérie et seront marqués à vie par ce qu’ils auront vécu (tortures, assassinats dans les fameuses « corvées de bois », morts de camarades, etc.) qu’ils n’auront pas pu empêcher. Le PC et les trotskistes défendaient l’idée d’un travail à l’intérieur de l’armée. Ils n’empêcheront pas les tortures mais auront raison lors du putsch des 4 généraux !
  • Les objecteurs de conscience refusent tout service armé, ce qui n’est pas accepté à l’époque et conduit à la prison !
  • Certains insoumis sont mis en prison. D’autres insoumis « désertent » et passent souvent à l’étranger, comme Maurienne.
  • D’autres vont plus loin et entrent dans des réseaux d’aide au FLN algérien, comme les membres du réseau Jeanson. Ils collectent des fonds et des faux papiers et les transportent. On les appellera les « porteurs de valises ». Le procès Jeanson aboutira le premier octobre 1960 à 15 condamnations à 10 ans de prison et 3 à 8 ans et 3 mois !

* Sophie : Quelles conséquences à l’intérieur du PSU ?

* Guy : Cette question provoque une cassure dans l’unité toute récente. C’est la première fois que je signe une motion d’orientation et que je la défends dans ma section du XIXe de Paris.

  • La motion que je signe propose que le PSU soutienne clairement les insoumis et même les réseaux. Ses signataires viennent tous de la composante UGS, en particulier du MLP et du trotskisme. Son principal animateur Jean Verlhac sera gravement blessé lors de la manifestation du métro Charonne, puis adjoint à l’urbanisme du maire de Grenoble Hubert Dubedout, entre 1965 et 1983.
  • A l’opposé une motion inspirée par Alain Savary considère que le PSU ne peut pas cautionner l’aide au FLN, qu’il ne peut absolument pas pousser les jeunes à prendre la décision de déserter, risquant ainsi de compromettre tout leur avenir, … que le PSU prendrait le risque d’être dissous. Cette position est, en fait, celle des camarades venus du PSA, donc de la SFIO. Michel Rocard est sur cette ligne.
  • Une motion « centriste » est défendue par Gilles Martinet, Marc Heurgon, etc., soutenue par le secrétaire national Edouard Depreux (qui rompt ainsi avec ses camarades du PSA). Elle considère que le PSU a « une solidarité de fait avec le peuple algérien », mais que « les méthodes de lutte clandestine, la fuite devant l’action de masse partent d’une appréciation défaitiste de la réalité… que c’est parmi le peuple français, au sein de l’armée et non ailleurs que se mène le combat ».C’est cette position qui s’impose en définitive.
  • Mais je pense que la pression des partisans du premier texte contribua fortement à l’organisation par la majorité des ébauches d’actions de masse que furent les manifestations interdites par le pouvoir gaulliste.

* Sophie : Plus concrétement ? Y a t-il une synthèse ? un compromis ? ou plan d’action ?

* Guy : Je peux affirmer que ce débat est fondateur du rassemblement qui dirigera la fédération de Paris pendant plusieurs années, avec Marc Heurgon comme secrétaire et Michel Rocard comme responsable de la formation. Ce tandem étonnant « roulera » efficacement jusqu’à mai 1968, y compris à l’échelon national.

  • Marc Heurgon dira qu’il avait « coupé l’omelette par les deux bouts », laissé de côté les conservateurs timorés, à droite, et les excités sectaires et irresponsables, à gauche. Les 3 « transfuges » de la motion Verlhac étaient : Robert Leprieur, le mari de Geneviève, Jacques Reynaud de sensibilité trotskiste et moi, nommé trésorier. Les anciens socialistes étaient Claude Dubois et Michel Rocard, sous le pseudonyme de Georges Servet. Ce dernier avait trouvé Marc « responsable et dynamique ».Viendra vite se rajouter Agustin Guerche, journaliste.
  • Après les réunions du bureau parisien, nous allions dîner à la Coupole de Montparnasse et Marc me ramenait rue des Alouettes dans sa vieille DS, sauf lorsque j’avais été en désaccord avec lui pendant la réunion ! Rocard et Heurgon ont été vraiment des amis ! Je me souviens de Marc faisant sur la nappe en papier la liste du futur gouvernement, de son humour décapant. * * * * Personnage étonnant qu’il me faudra décrire. Nous avons eu dans cette période plus de 2000 adhérents dans la seule ville de Paris, avec quelques sections d’entreprises et plusieurs sections étudiantes ou lycéennes. Le petit local de la rue Henner était une ruche !