1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


divers
Trente et unième texte : La Révolution des Œillets et La Courneuve

* Sophie : La décennie des années 1970 a été riche de multiples événements internationaux. Lesquels ont particulièrement intéressé votre groupe et le PSU dans son ensemble ?

* Guy : Je n’ai pas l’impression que le PSU se soit beaucoup intéressé à la dictature des colonels grecs entre 1967 et 1974, car c’est une période où nous avions d’autres priorités, en interne et même en France plus généralement !

  • Tu te doutes bien que nous avons suivi avec une passion solidaire, en septembre 1970, la tentative de Salvador Allende d’installer démocratiquement au Chili un régime socialiste, puis nous fûmes bien évidemment indignés, en septembre 1973, par le coup d’état du général Augusto Pinochet et par ses tortures, ses massacres. Le PSU a aidé, avec ses faibles moyens, les militantEs du Chili qui arrivaient à venir en France.
  • Nous avons beaucoup collé des affiches contre le général Franco et avons été horrifiés par la strangulation par garrot du militant catalan Puig Antich’. Un débat passionné opposa celles et ceux qui défendaient le boycott du tourisme espagnol et d’autres qui affirmaient qu’au contraire il fallait aller soutenir les antifascistes.
  • Un événement extraordinaire nous a passionnés en avril 1974 : le coup d’état, au Portugal, de militaires radicalisés par les guerres coloniales, dans lesquelles leurs sacrifices ne servent à rien. Notre passion pour le Portugal s’est prolongée pendant les deux années qui ont suivi, et ce qui a été appelé Révolution des Œillets. Claude Picart nous a dessiné une affiche lyrique en couleurs tirée en sérigraphie et nous avons réalisé avec ce dessin une grande fresque de 4 mètres sur 3 environ qui a entouré notre stand de la fête PSU de La Courneuve en juin 1974. A cette occasion nous avons vendu du bon porto, Sandeman, je crois. Le célèbre chanteur Zeca Afonso dont la chanson "Grandola" avait donné le signal de la révolte décisive des militaires est venu chanter et a été hébergé le soir par notre section. Il avait laissé la parole à un capitaine porte-parole du Mouvement des Forces Armées qui avait souhaité l’extension du mouvement à d’autres pays européens. Des adhérentEs sont allés sur place découvrir la révolution portugaise.

* Sophie : Fais-moi un peu l’historique de cette Révolution des Œillets, que je ne connais pas.

  • Guy : J’ai relu sur Wikipédia et dans le livre de Ravenel, pour revitaliser ma mémoire sur le déroulement des faits avant de t’en parler. Le Portugal était depuis 1933 une dictature fasciste fondée par Salazar, particulièrement brutale. Comme d’autres pays européens Salazar devait faire face au grand mouvement de décolonisation : il menait des guerres « impossibles » contre l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Cap Vert en Afrique ; c’était l’impasse malgré le nombre important de morts. Donc un « mouvement des capitaines » aboutit en septembre 1973 à la création du MFA, Mouvement des Forces Armées, plus corporatiste que politique au départ.
  • La compétition du MFA avec le général Spinola conduit le MFA à se politiser. Et le 25 avril1974, la diffusion par la télé de Grândola, chanson interdite de José Alfonso donne aux soldats le signal du coup d’état facilement réussi. Une Junte de Salut National avec Spinola propose la politique des trois D : « démocratiser, décoloniser, développer ». Les militaires veulent un régime démocratique, des élections libres, changer les structures politiquement, économiquement, socialement, culturellement.
  • Au mépris des consignes militaires, le peuple de Lisbonne envahit les rues et en particulier le marché aux fleurs ; les soldats mettent dans le canon de leur fusil des œillets rouges ou blancs. C’est pour cela que cette Révolution est baptisée Révolution des Œillets. La seule résistance vint de la police politique, la Pide, qui provoqua 4 morts, les seules victimes de la Révolution ! * * Les dirigeants des partis socialistes et communistes reviennent au pays et prendront peu à peu une grande importance.
  • Donc le bilan est que la révolution socialiste n’aura pas lieu ; mais le Portugal deviendra un pays démocratique, comme l’Espagne car Franco meurt dans cette période. On peut même dire que le Portugal initie une démarche vers la démocratie qui s’étendra à l’Espagne, à la Grèce, à l’Amérique latine et plus tard aux pays de l’Est.

* Sophie : Et ton PSU par rapport à cette Révolution des Œillets,

* Guy : Le 16 avril 1975, le PSU rassemble 4000 personnes à la Mutualité où prennent la parole des représentants du MFA et du MES, le parti portugais équivalent du PSU. Salle debout, poing levé à plusieurs reprises. Tout un débat aura lieu dans le PSU sur l’attitude par rapport au PC et le risque de bonapartisme par rapport au MFA.

  • Pour proposer une réunion des forces socialistes et anti-impérialistes le PSU débat dans son conseil national de décembre 1975 où il décide « internationalisme, Oui mais création d’une Internationale, Non ! » Il y fixe également une position précise sur le problème palestinien que l’on peut résumer à : recherche de la création de deux Etats, palestinien et israélien unis dans un ensemble démocratique et laïque sous forme fédérale ou confédérale.
  • Le PSU participera, au Portugal, avec toutes les autres forces de gauche au colloque : « Socialisme et Europe du Sud ».
  • Il est confronté à la question corse, avec l’occupation de la cave d’Aléria par le groupe Edmond Siméoni et la répression brutale qui suit. La fédération corse du PSU publie un document à la fois historique, théorique et politique et essaie de fixer une perspective constructive. Il n’empêchera pas la dérive du nationalisme corse.

* Sophie : Tu as parlé des fêtes de la Courneuve. Donne-moi quelques détails sur ces fêtes.

* Guy : Ces fêtes étaient des périodes de militantisme intense. Il fallait organiser au niveau national le plateau des artistes et il fut toujours composé d’artistes fort connus. Au niveau de la base, en particulier pour notre section locale, il fallait mobiliser le plus possible, en distribuant des tracts, en collant les grandes, originales, magnifiques affiches nationales, en invitant les lecteurs-lectrices de notre journal : les Pavés de la Commune, en préparant notre stand 20e.

  • Ensuite, quelques jours avant la fête, il fallait que quelques militantEs disponibles aillent sur place installer les clôtures qui isolaient le lieu de la fête et les stands. Le samedi et le dimanche étaient les jours de mobilisation maximale car il fallait une équipe pour le stand, une rotation de personnes pour la vente des billets à l’entrée, une autre pour garder le lieu où était centralisé le fric et où les artistes venaient se faire payer ; plus une équipe pour surveiller la clôture et empêcher les resquilleurs de passer en dessous. Après la fête, il fallait pendant deux ou trois jours une équipe pour nettoyer les lieux, enlever stands et clôture. Tu vois le boulot.
  • Contrairement aux fêtes de l’Huma, il n’y avait aucune participation commerciale, aucune publicité ; donc l’équilibre financier devait être assuré par le public ! Elles avaient lieu en juin, période où, normalement, il fait beau. Malheureusement, une fois, il a plu tout le samedi et tout le dimanche ; nous avons pataugé dans la boue et… le public est trop peu venu ! Donc catastrophe financière ; une seule artiste a renoncé à être payée. Fin des fêtes du PSU !
  • Ces fêtes représentent un précieux souvenir pour celles et ceux qui les ont vécues et même pour les personnes venues qui n’étaient pas alors adhérentes ! Le PSU a même organisé deux ou trois fois un festival du cinéma à Paris, mais pas avec le même succès.

* Sophie : les années 1973 et 1974 semblent te laisser de bons souvenirs

* Guy : Oui : elles résument bien le foisonnement militant de l’époque et aussi réussites et échecs du PSU. Echecs électoraux (en mars 1973 le PSU perd la moitié de ses électeurs de 1968 à case du vote utile pour le programme commun) et visions anticipatrices, audacieuses, à travers l’autogestion et l’écologie, avec la lutte passionnante des Lip (un rassemblement appelé CLAS, comité de liaison pour l’autogestion socialiste, autour du PSU, de l’AMR des CIC et d’Objectif socialiste de Robert Buron aurait dû se réunir en mai 73 si les élections n’avaient pas cassé cette dynamique). La fête PSU de la Courneuve réunit, fin mai 1973, 40 000 personnes autour de Léo Ferré, Mouloudji, Gilles Vignault, etc. personnes qui ont débattu sur la croissance, l’armée, l’écologie.

  • En même temps que la lutte pour les Lip, nous avons dû militer, avec le MLAC, pour le droit à l’avortement, avec les lycéens contre la loi Debré, avec les OS et les travailleurs immigrés (je t’ai raconté la grève de la faim dans la crypte de l’église de Ménilmontant), avec les paysans du Larzac. 1973, Quelle année !
  • J’ai découvert dans l’excellent livre de Bernard Ravenel sur le PSU que février1974 avait connu un événement extraordinaire : l’occupation de la Banque de France, qui durera neuf semaines, et l’occupation de plusieurs autres banques. Jamais cela ne s’était produit même pendant la Commune de Paris. Je me souviens maintenant que le PSU 20e a occupé pendant un bon moment le siège de la BNP situé place Gambetta, siège central pour l’arrondissement. J’ai couché sur place dans un duvet sur un lit de camp.
  • Je ne me rappelle pas les détails de cette lutte. Au début, j’ai cru que cet effacement psychologique venait d’une sorte de combat de l’époque pour le pouvoir sur la section locale avec une militante de l’AMR. Ce groupe avait une certaine implantation dans les banques. Un de leurs dirigeants Gilbert Marquis siégeait au bureau national et était membre de notre section où il n’était pas omniprésent. Il était assez sympathique mais nous donnait souvent des leçons de radicalité. Quand l’AMR est sortie du PSU ( pratiquant sa théorie de l’entrisme, donc partie avec quelques militants formés par le PSU) Gilbert a commencé par décevoir la LCR 20e puis a eu un parcours plus réaliste que révolutionnaire, plus modéré que le nôtre, en particulier sur le PS. Il a toujours gardé des liens amicaux avec les dirigeants du FLN algérien, en disgrâce et exilés en Europe.
  • L’AMR avait été une composante du mouvement « pieds rouges » venu aider l’Algérie indépendante. L’AMR a voulu aider Ben Bella à installer l’autogestion. Mais ils ont négligé le poids du passé, des traditions historiques, sur la paysannerie algérienne ; d’où leur échec. C’est une leçon intéressante : il ne faut pas oublier les idéologies enracinées dans l’histoire, commencer par du pratique, du simple, du concret amorçant des évoluions, tout en gardant le fil rouge de la vision théorique, philosophique, politique. Les dirigeants de l’AMR : Michel Raptis, grec, dit Pablo, Gilbert Marquis, Michel Fiant qui a suivi un autre parcours que Gilbert (aux Alternatifs) sont morts. Un de leurs militants au moins est maintenant membre des Verts. Je ne connais pas de groupe qui se réclame de cette paternité.
  • Tu vois : je suis sorti du conflit des banques pour te parler de l’Amr et de quelques mauvais souvenirs !
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Trentième texte : Hommage à des amis disparus

* Sophie : Parmi les disparus, il doit y en avoir que tu pleures vraiment ?

* Guy : Pour celle qui croit au ciel et pour celui qui n’y croit pas, la mort totale, absolue, ça n’existe pas ! Tant que vivent parents proches ou lointains, enfants, petits enfants, amiEs – tant que vivent photos, films, vidéos – tant que tournent en boucles dans les mémoires, dans les cœurs, les souvenirs d’une attitude familière, d’une explosion de rires, d’une colère mémorable, d’une fête familiale, d’un voyage ou d’une lutte commune – la vie sera encore là, impalpable, immatérielle, mais bien réelle !

  • Il y a plusieurs personnes décédées que j’ai bien aimées et que je me dois d’évoquer en quelques phrases. Je t’ai déjà parlé de Roger Bournazel et Raymond Georgein au niveau local, de Marc Heurgon au niveau national ! C’est avec émotion que je vais te lire ce texte que j’ai écrit, car Jean-Claude c’est plus de vingt années de ma vie, de moments riches, sur de multiples plans. Nous avons mangé ensemble, discuté ensemble, milité ensemble. Il est venu une semaine dans ma maison creusoise ; c’était un personnage peu classique !
  • Jean-Claude Chastaing est né dans la zone, quartier bidonville, situé là où est maintenant le périphérique. Sa mère était lavandière dans une laverie du quartier Réunion. Son père était ouvrier, mais il était alcoolique et battait sa femme. Période déstabilisante ; mais l’enfant vécut pire : en revenant de l’école, un jour, il trouva son père pendu ! Il refusa l’école primaire et l’apprentissage de l’orthographe, mais dut acquérir une sorte de vernis, d’imagination et d’envie de poésie. Il lui aurait fallu l’école Vitruve dont nous reparlerons peut-être ?
  • Il m’a dit avoir fait les 400 coups avec sa bande de copains et qu’il avait arrêté juste avant de basculer dans la délinquance qui conduit à la prison. Je ne sais pourquoi, vers 1968, il décide de devenir prêtre, prêtre ouvrier sans doute, et entre au séminaire. Il y complète sa formation intellectuelle et enracine l’éthique qui dominera sa vie. Mais il n’a jamais accepté longtemps la soumission à une organisation amie ou à des très proches. Il rompt avec le séminaire.
  • Il travaille ensuite, comme ouvrier, dans la grande entreprise Sopelem du Boulevard Davout, qui fabrique d’énormes lentilles, pour les Russes en particulier.
  • Il s’engage dans la CFDT et continue ainsi sa formation intellectuelle. Puis il adhère au PSU où je fais sa connaissance et deviens son ami. Il est assidu aux réunions de notre commission Entreprises, devient ami d’Agnès, de Laurence et d’André. Je me souviens d’une sortie guitare avec lui, André, Michel, Agnès. C’est l’époque où il compose sur moi un tango, qu’il m’a joué à la guitare, à la sortie du métro Gambetta. Il m’y ridiculisait gentiment sur un thème inattendu ! Tu ne devinerais pas cette négligence de ma part qui ne m’est pas exceptionnelle, mais dont je ne suis pas fier !
  • Il se met à écrire des poèmes vraiment beaux et originaux, bourrés de fautes d’orthographe. J’en corrigerai plusieurs et des fascicules seront même édités. Je les ai et il faudrait que je relise avec le recul ! La couverture de « Cheval d’attaque » figure sur google quand tu cliques Chastaing, avec des reproductions de quelques unes de ses photos ou toiles ! Puis il se met à la peinture. Ses œuvres sont torturées, sombres ! Elles ont été exposées dans un magasin ami. Plus tard il se mettra, avec passion, à la photographie. Dans l’obscurité, pendant le tirage, il se livre à des manipulations, des brûlages pour obtenir des œuvres d’art. Elles figureront, parmi d’autres, dans une exposition de photos d’art au carré de Baudouin !
  • Jean-Claude a été embauché par une amie du PSU, pour l’accueil des enfants dans un centre médico-social. C’est là qu’il commence à improviser des contes. Il approfondira, lira des contes connus de plusieurs pays qu’il adaptera. Il les récitera dans plusieurs écoles ; avec un grand succès.
  • Il ne supportait pas la foule, un vrai agoraphobe. Pour aller à Saint Mandé travailler, il ne pouvait prendre le métro. Il allait à pied. Lors d’une réunion publique du PSU il a fait une crise que nous avons crue épileptique. Il a suivi de multiples séances de psychothérapie ou de psychanalyse et nous avons fini par le trouver apaisé, décontracté, porteur d’un humour décapant.
  • Il a été président d’une association du quartier : l’ASPIC du Ménilmuche, membre à sa fondation du jardin partagé « Leroy sème ». Mais, dans les deux cas, il rompra lorsque quelque chose lui déplaira ;
  • Jean-Claude a fait don de son corps à la science ; donc ses amiEs n’ont pu se retrouver lors d’un enterrement ! Il mérite que nous gardions un souvenir affectueux et une vraie admiration pour son parcours dans plusieurs domaines dont celui de l’art.

* Sophie : D’autres hommages ? D’autres découvertes de personnalités ?

* Guy : Je vais te parler de Laurent Zundel. Laurent, pour nous c’est, ce sera : une présence rassurante, une « force tranquille », une passion des échanges et des partages, un dosage subtil entre la joie et la gravité, la lueur malicieuse et tendre du regard, éclairant une barbe rousse.

  • C’est aussi l’atelier de sérigraphie, pour le démarrage, dans son local de photographe, avec le grand peintre Georgein, puis chez lui, l’organisation du stand de la section vingtième du PSU lors des fêtes de La Courneuve, les manifs joyeuse ou tendues, les débats orageux qui ne compromettent pas les amitiés, les trajets hebdomadaires pour ramener du siège national du PSU, dans le 15e, une petite centaine du journal « Tribune Socialiste » que nous allions vendre au porte à porte ou aux sorties de métros. Ce sont de multiples et riches souvenirs. Il nous a beaucoup manqué quand il est parti à Nîmes, sur le plan de la convivialité comme celui de l’organisation !
  • Il est parti ensuite à Nîmes et nous sommes allés le voir plusieurs fois, de vraies fêtes dans son jardin. Laurence Mousel, Jean Biscarros ont des souvenirs identiques et sans doute plus nombreux et intenses. Laurent, tu vis encore dans nos mémoires ! * * * Merci pour tout ce que tu nous as apporté ! Je viens vraiment de le revoir avec précision en racontant ! J’ai revécu des scènes ou des dialogues. Merci !

* Sophie : Tu peux continuer. Les gens modestes font partie de l’histoire.

* Guy : Encore un de mes écrits. Suzanne Dupré est morte le 11 mai 2005 à l’âge de 84 ans. Nous n’étions que 3 ou 4 à la connaître, car, depuis 20 ans elle était bloquée dans des hôpitaux par un accident vasculaire cérébral et une rechute, chez elle, puis dans des maisons de retraite médicalisées. A chaque fois, grâce à une énergie extraordinaire, elle retrouva peu à peu l’usage de la parole et une certaine mobilité.

  • Elle lisait attentivement tous les documents envoyés par les Verts, posait des questions sur la vie politique et avait toute sa lucidité souriante, généreuse. Noël Mamère avait visité sa maison de retraite et parlé avec elle.
  • - Ouvrière dès 17 ans, elle sera militante de la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne), puis de l’Action Catholique Ouvrière
  • - Résistante dès ses 20 ans, en Corrèze. Cette période sera pour elle celle de multiples rencontres avec des militants de tous horizons, passion dominante de toute sa vie.
  • - Après la reprise d’une formation sociale, elle travaillera dans ce secteur (travailleuse familiale, puis à ANPE handicapés). * * Elle participera, dans le cadre de la Mission de France, à la création d’équipes de femmes proches des moins favorisés de la vie. Elle y aura des responsabilités, tout en s’engageant activement à la CFDT et, politiquement, au PSU puis chez les Verts. C’est la grande période des prêtres ouvriers qui seront souvent au PSU, à la CGT puis au PC.
  • Elle a offert son corps à la science. Nous étions trois à la cérémonie d’hommage, dans l’église de Saint Germain de Charonne. Bien tristes. Elle représente parfaitement ce que fut toute une génération de chrétiens de gauche.

* Sophie : Quel était le paysage politique de l’époque, décennie 1970-1980, dans le 20e arrondissement de Pari ?

* Guy : le PCF est la force politique dominante à tous égards : environ 2000 adhérentEs, des militantEs encore imprégnés de stalinisme. Ils considèrent que beaucoup de murs sont leur propriété pour l’affichage et vendent l’Huma presque partout. Ils sont même dominants sur le plan électoral et arracheront, entre 1973 et 1978, les deux députés du 20e (Daniel Dalbéra et Lucien Villa). Le second sera encore député de l’arrondissement entre avril 1978 et mai 1981. En 1971, Henri Meillat du PC qui conduisait la liste commune avec le PS serait devenu maire de l’arrondissement si la loi avait été celle d’aujourd’hui. A cette époque, avant 1977, les maires d’arrondissement n’étaient pas élus mais nommés. Il n’y avait pas de maire de Paris ! Vieille méfiance vis à vis du peuple de Paris et ses poussées révolutionnaires !

  • Le PS est quasi inexistant, refuge de vieux notables dépassés. C’est Michel Charzat qui, envoyé en mission par le CERES de Chevènement, depuis son 16e arrondissement, développe peu à peu la section PS, avec une poigne de fer, en particulier contre les rocardiens (Alain Riou nous racontera cela). Il est élu député en 1981,réélu en 1986 et en 1988 ; puis devient maire de l’arrondissement en 1995 (pour deux mandatures).
  • La droite n’existe pas sur le plan militant. Mais Didier Bariani pour l’UDF sera maire de l’arrondissement entre 1983 et 1995. Elle contrôlait alors tous les arrondissements de Paris ! Jacques Chirac, puis Tibéri étaient maires de Paris.
  • La LCR n’a que des cellules d’entreprises, mais pas de structures locales. Pourtant leur journal Rouge est vendu chaque dimanche Boulevard Mortier, comme le journal de Lutte Ouvrière.

* Sophie : As-tu été candidat à des élections ? Et avec quels résultats ?__

* Guy : Oui, à deux ou trois reprises, car il n’y avait pas foule__ pour assumer ces tâches difficiles ! Je n’en garde pas de nombreux souvenirs et je ne trouve pas d’anecdotes intéressantes. Je conserve une magnifique affiche dessinée par Claude Picart, en couleurs.

  • Nous n’avons jamais pensé que je serais député et le rêve était de dépasser les 5 % pour être bien remboursé !
  • Aux législatives de mars 1973 le PSU connut une régression par rapport à 1968, à cause du Programme commun, avec 1,95 % de voix et des scores honorables pour Rocard, Yves Le Foll à Saint Brieuc et Roger Prat à Morlaix dans le Finistère. Je pense que j’ai été candidat dans mon quartier. Le socialiste Michel Charzat me reprocha plusieurs fois de l’avoir empêché d’être élu cette fois-là, car ma présence l’aurait fait passer derrière le communiste et l’obliger à se désister. Vingt après il ruminait encore cela !
  • En mars 1978, j’ai été candidat sur une liste « Ecologie et autogestion » pour le Front autogestionnaire et le MAN (mouvement pour une alternative non violente), avec Janine Duyts comme suppléante (institutrice laïque qui vécut difficilement sa fonction dans une commune fort cléricale et sectaire de Bretagne). Puis, en juin 1981 je fus candidat pour « Alternative 81-PSU » ; Arlette Zilberg étant ma suppléante. François Mitterrand venait d’être élu président de la République. Notre tract de campagne écrivait :
  • « Pour obtenir le possible, tout le possible, à l’intérieur de la nouvelle majorité populaire, il faut que : S’AFFIRME UNE FORCE AUTOGESTIONNAIRE ».
  • Je ne trouve plus le score atteint ; mais le pari est raté !
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Vingt neuvième texte : Hommage à des amis

* Sophie : Tu m’as parlé du trésorier de ta section PSU ! Il devait y avoir d’autres personnes importantes ? Des amis proches?

* Guy : Oui. C’est le cas d’un couple dont j’ai envie de te parler. Paul Oriol et Anne Couteau arrivent en 1972 d’Algérie où ils ont été coopérants depuis 1964 et ils resteront dans le 20e jusqu’en 1988. Dès leur arrivée, ils trouvent dans leur boîte à lettres une convocation de la section PSU pour l’action de résistance à l’expulsion des travailleurs africains du foyer de la rue Bisson. Paul ratera de peu l’aventure du « Commissariat qui chante l’Internationale » que je t’ai racontée.

  • Très vite, Paul crée le GAI (Groupe Action Immigrés) de la section qui, chaque semaine, réunit chez lui 5 à 10 militantEs du PSU dont Antoine Glaser, actuellement rédacteur en chef de « Africa intelligence » et de « La lettre du continent », auteur de plusieurs livres sur l’Afrique.
  • C’est Anne qui a trouvé la teinturerie de la rue de la Chine que nous avons achetée pour y faire le local du PSU et d’associations du quartier. Il a effectivement servi à de très nombreuses associations que je ne peux pas toutes énumérer : groupe femmes, le groupe transports 20e , la campagne anti Outspan contre l’ Afrique du sud de 1975, « Terminal », la revue critique sur l’informatique, la revue « Tribune Anarchiste Communiste », maintenant Résistance à l’Agression Publicitaire, etc.
  • C’est Paul qui a proposé le nom « Eglantine » pour nommer la structure qui gère ce local. Car l’églantine est une rose certes, mais une rose sauvage, indocile aux cultures. De même, c’est lui qui a proposé le titre : « Les Pavés de la Commune » pour notre journal local, référence à la Commune de Paris et au travail sur les pavés locaux. Chaque semaine il y écrivait « les mauvaises lectures de Polo », billets courts tirés de journaux racontant des faits drôles ou symboliques. Ces textes étaient la première chose que lisaient les « abonnés.
  • C’est Anne qui, chaque dimanche, allait apporter TS, le journal du PSU, aux personnes que Paul et moi avions contactées au porte à porte.
  • Paul n’aimait pas dire qu’il était médecin. Mais il a réussi l’exploit de casser l’habitude de fumer pendant les réunions, car il était spécialiste des poumons. Il est maintenant en retraite, mais il a toujours une capacité subtile et rapide à détecter les pièges politiques ou politiciens, les manœuvres et les perspectives vision naires ou détestables. Il écrit régulièrement des textes intéressants sur son blog « pauloriol.over.blog.fr » et participe souvent à des manifestations.

* Sophie : Paul semble avoir été vraiment passionné par les questions touchant à l’immigration ? A quel niveau milite-t-il ? * Guy : La section PSU soutient, en mai 1973, la grève de la faim de 56 travailleurs tunisiens. Il s’agit déjà de l’obtention de papiers pour le séjour en France. Leurs lits de camp sont installés dans la crypte de l’église de Ménilmontant grâce à l’accord du curé Pierre Loubier dont l’engagement et le rayonnement sont exceptionnels. Paul et moi, nous faisons même un jeûne de soutien pendant les 3 jours d’un week-end prolongé et participons à la joyeuse provocation qui consiste à distribuer un tract expliquant les motifs de la grève de la faim aux personnes faisant la queue place Gambetta pour voir le film « La grande bouffe »

  • A la fin de cette action est créé un Comité français-immigrés qui regroupe en plus des militants du PSU quelques militants sur l’immigration du quartier en particulier de la CFDT.
  • Paul a été un animateur tenace de la commission nationale Immigration du PSU et un partisan précoce du droit de vote des résidents étrangers non-membres de l’Union européenne à une époque où les organisations des immigrés le refusaient catégoriquement, y voyant un début d’intégration à la société française, alors qu’ils organisaient des luttes et rêvaient du retour au pays.
  • Il a participé activement à la campagne « pour une citoyenneté européenne de résidence » puis à la « votation citoyenne » lancée par Saïd Bouziri de la Ligue des Droits de l’Homme et dont il sera l’un des piliers. Il a été l’un des créateurs de « La Lettre de la Citoyenneté » et longtemps l’un des rédacteurs. Il a de même été un pilier du sondage annuel organisé par cette Lettre.
  • Il a écrit trois livres : « Les immigrés, métèques ou citoyens » publié par Syros, éditeur créé par le PSU en 1985, puis « Les immigrés devant les urnes » publié par L’Harmattan en1992 et « Immigrés, citoyens ! Plaidoyer pour une citoyenneté européenne de résidence » publié par Presses pluriel en 2003, disponible sur le site.
  • C’est dans le 20e que Paul provoque la réalisation de la grande fresque carrée, de 4 ou 5 mètres de haut, qui représente un CRS et un policier en train de frapper un jeune immigré bâillonné. Le dessin est de Claude Picart, longtemps secrétaire de notre section, qui a réalisé également, sur la demande de Paul et pour impression par la direction nationale du PSU, les trois belles affiches sur les immigrés avec un travailleur, une femme et un jeune (Faire leur place aux enfants d’immigrés). La fresque figure sur la grande affiche qui en rassemble une douzaine symbolisant les divers aspects de la vie du PSU (fêtes, luttes internationales, luttes du cadre de vie, etc.) pour le 50e anniversaire de sa naissance.

* Sophie : Pour faire quoi, cette fresque ? Décoration d’une salle ? Vente ?

* Guy : C’est un grand moment de la vie de notre section que le défilé avec cette fresque dans une manifestation. La hauteur était telle que, pour les montants, j’ai dû boulonner bout à bout deux fois 2 tiges métalliques. L’habitude était de faire des trous dans les banderoles pour atténuer la pression exercée par le vent au cours du défilé : cette fois, pas question de faire le moindre trou. Mais, le jour de la manif, la force du vent était telle que, en plus des 2 porteurs de l’œuvre (assez lourde), il a fallu 2 rangées successives de militants à l’avant et même chose à l’arrière pour tirer sur les cordes, garder la verticalité et avancer…. et il a fallu se relayer ! Notre cortège occupait entre 20 et 30 m du défilé et les virages aux carrefours étaient laborieux !

  • Ce dessin orne aussi la couverture cartonnée d’un fascicule de 20 pages de la 20e section du PSU intitulé : « Travailleurs immigrés : Renseignements pratiques sur la législation » C’est l’œuvre du Groupe Action Immigrés de la 20ème section, imprimée sur notre Gestetner qui était encore installée dans mon appartement.
  • Nous réaliserons avec Claude Picart une autre fresque qui sera exposée devant la gare Montparnasse au moment de l’arrivée à Paris de la Marche pour l’égalité en 1983. Enchaînement parfait pour parler du travail du groupe immigration au niveau national, avec Paul et entre autres, Pierrot Régnier ou Gérard Desbois. Ce dernier, ancien président de la Fasti, est, avec Paul, à l’origine de la campagne pour la « carte unique » valable 10 ans et renouvelable automatiquement pour les travailleurs immigrés.
  • Il faut « vendre » cette idée aux diverses organisations qui soutiennent les immigrés car c’est par leur poids seulement qu’elle pourra aboutir. Et ça marche si bien, notamment grâce à la Fasti très active dans la marche et à Suzanne Chevalier de la Commission Immigrés du PSU que, lorsque les animateurs de la « Marche contre le racisme et pour l’égalité » sont reçus avec Georgina Dufoix à l’Elysée par François Mitterrand, celui-ci leur demande ce qu’ils veulent et qu’ils répondent « la carte unique de 10 ans », Mitterrand leur répond « va pour la carte de 10 ans ! » Il se fera expliquer ensuite, par le père Delorme, ce que cela signifiait et la mettra en œuvre. Hélas la droite, lors de son arrivée au pouvoir, a réussi à réduire beaucoup cette avancée ; et ce n’est pas une priorité pour la gauche.
  • Je t’ai raconté, à propos de cette carte de 10 ans, l’aventure que nous avons vécue Anne Couteau et moi, avec nos mariés turcs !

* Sophie : Tu as l’air d’avoir une affection particulière pour ce couple ?

* Guy : Oui, je crois, et les liens sont plus amicaux que politiques, même si je suis venu assister Paul à de nombreuses réunions hebdomadaires de la commission nationale Immigration. Paul a rarement voté les mêmes textes d’orientation que moi. Après la mort du PSU, en 1990, nous nous sommes retrouvés tous les deux membres de l’Alternative Rouge et Verte ; lui n’est pas venu aux Verts, comme moi début 1998.

  • Conscient du danger que représentait le travail idéologique du Club de l’Horloge, il a essayé de créer le Club du Réveil avec quelques intellectuels dont des jésuites très engagés en faveur des immigrés. Malgré sa ténacité il n’a pas vraiment réussi dans la durée !
  • Quand j’ai, pour la seule fois de ma vie, en 1995, été élu conseiller d’arrondissement dans le 20e, sur une liste de rassemblement, Paul m’a proposé un marché. Il viendrait de son domicile de Versailles, chaque mardi, pour m’aider dans mes dossiers de coprésident du conseil de quartier Plaine ; à condition, qu’en contrepartie, je vienne faire une marche avec eux d’une heure le mercredi. Ce sera excellent pour ta santé ajoutait-il. Marché accepté et tenu des deux côtés, y compris lorsque nous n’étions plus dans la même organisation.

* Sophie : Je crois qu’il y a une autre personne avec la quelle tu as des liens sentimentaux et qui a joué un rôle politique dans ces périodes ?

* Guy : Oui, c’est Agnès Bellart ; mais elle n’a pas été importante dans les mêmes domaines. Je pense à l’animation de l’Union locale CFDT par un groupe presque exclusivement féminin, formé de membres du PSU ou de sympathisantes proches, autogestionnaires. Et le rôle d’Agnès Bellart a été fondamental, comme organisatrice, coordinatrice, fédératrice. C’est nettement grâce à elle que l’Union locale de l’arrondissement a résisté un bon moment à la normalisation par la Cfdt, seule dans Paris.

  • Agnès a été l’une des animatrices d’un comité de chômeurs de quartier, pour lequel la section a produit une affiche en sérigraphie. De même pour les Comités de soldats. Le compagnon d’une camarade CFDT et PSU, Geneviève, avait été arrêté. Il était donc logique que les deux organisations se mobilisent sur ce thème. PSU et CFDT furent en étroite coopération sur l’immigration, la grève de la faim des Tunisiens, les foyers de travailleurs migrants: Bisson, Mûriers,, la vente des montres Lip, l’entreprise Honeywell Bull, les PME du 20e en difficulté, etc.
  • Les liens amicaux forgés dans ces. luttes survivent des décennies après et 5 militantes se retrouvent une ou deux fois par an à l’occasion d’une bouffe. J’ai mis au féminin car dans les 5 il y a un seul homme Claude, mari d’Elise (plus moi).
  • Agnès est la trésorière de l’Eglantine et gère le local de la rue de la Chine où les Verts ont succédé au PSU : récupération des loyers, paiement de l’assurance, du téléphone, des petits travaux, distribution des clefs, rangements et propreté, etc. Pas mal de soucis.
  • Nous avions craint que la grande devanture en verre soit cassée. Nous n’avons eu aucun incident jusqu’à la candidature à la présidentielle d’Eva Joly. Un cinglé ou un ennemi a rendu la serrure inutilisable à plusieurs reprises et nous a obligés à mettre un cache sur le trou de la serrure ! D’où soucis et boulots supplémentaires pour Agnès. Elle est régulièrement présente aux vendredis de la Teinturerie.
  • Agnès assume actuellement des activités dans plusieurs associations : le conseil de quartier Belleville, avec ses nombreux problèmes, l’association « les coteaux de Belleville », la permanence d’aide aux immigrés sans papiers chaque mercredi, avec le suivi des dossiers, le jardin partagé Leroy Sème. Cela l’amène à écrire parfois des articles pour le journal local « L’ami du 20e. ».
  • Et je ne parle pas de tout le travail qu’elle fait pour moi, comme à l’occasion des fuites d’eau dans ma maison creusoise.
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Vingt huitième texte : 1974 Rocard part, les pablistes entrent

* Sophie : Tu as parlé du départ des maoïstes ! Quand Michel Rocard vous quitte t-il, et quelles en sont les conséquences

* Guy ; En 1974, à l’occasion des « Assises du socialisme ». Mais auparavant il y a eu la mort de Pompidou et, donc, l’ éection présidentielle des 5 et 19 mai 1974 avec la candidature de François Mitterrand pour le Programme Commun, pour le PS, le PC et les radicaux de gauche. Dans le PSU, un fort mouvement se dessine alors pour proposer à Charles Piaget, personnage emblématique de la lutte des Lip d’être candidat d’un large rassemblement dont le PSU, la LCR ; etc. rassemblement porteur d’un tout autre projet, de l’autogestion, de l’imagination dans les luttes, d’une utopie réaliste. Je suis un partisan passionné de cette idée ! Je pense que les rapports politiques et organisationnels seront difficiles avec la LCR, mais quelle fantastique aventure !

  • Cet événement imprévu va obliger Rocard à choisir entre deux options :
  • - préserver l’outil PSU actif dans les luttes ouvrières, porteur d’un projet de société autogestionnaire, mais faible électoralement,
  • – ou rejoindre le PS, absent dans les luttes, sans projet de société et misant tout sur les élections et ensuite l’Etat, mais puissant électoralement. Dans son livre dur le PSU, Bernard Ravenel parle de « double langage » pour le Rocard de ces longs mois.
  • Moi, je pense que, comme souvent, Michel Rocard a du mal à trancher, à prendre la grande décision car son analyse des avantages et inconvénients est très pointue, complexe, paralysante ! Et il a deux fers au feu.

* Sophie : Que fit donc le PSU pour cette présidentielle ?

* Guy : Je me souviens d’un fait très étonnant de cette époque. Une nuit, à 1 heure du matin, je reçois un coup de téléphone ? C’est Michel Rocard, à la sortie de sa réunion du bureau national ! Il veut savoir quelle est ma position sur la candidature de Piaget. Je lui dis mon enthousiasme et il fait des réserves. J’avais été très proche de lui entre 1961 et 1968, dans la même tendance ; mais j’avais rompu en1968 et nous n’avions plus d’échanges amicaux. Je pense qu’il faisait un mini sondage auprès d’amis de sensibilités différentes et j’ai eu l’impression qu’il aurait aimé que je le pousse à être lui-même candidat, pour la seconde fois ?

  • Face à cette vague de fans de Piaget, il va mener campagne pour que le PSU soutienne Mitterrand dès le premier tour. Il gagnera de peu Je suis furieux contre celles et ceux, maoïstes en général, qui nous avaient quittés en 72 ; leur présence aurait permis le succès de Piaget qu’ils soutenaient eux aussi. Impossible de savoir ce que cela aurait changé globalement ; on ne refait pas l’histoire ! ; mais on aurait mesuré le rapport de forces entre deux gauches fort différentes.
  • René Dumont pour les écologistes fait une campagne originale (avec son verre d’eau à l’écran et son slogan : « la voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con ») Mais il n’obtiendra que 1,32%. Au premier tour Mitterrand arrive en tête et Valéry Giscard d’Estaing, soutenu par Jacques Chirac écrase le gaulliste Jacques Chaban Delmas.
  • Au second tour, Mitterrand perd de fort peu avec 49,19 % des voix. Des cadres du PC m’ont affirmé que la consigne secrète leur avait été donnée de voter Giscard et pas Mitterrand ! (c’est le vote dit révolutionnaire !). On dit également qu’il y eut le même phénomène à droite. Politique politicienne ! Giscard élu remercie Chirac en le nommant Premier ministre et Mitterrand se trouve fortement renforcé, ce qui pèsera certainement dans la décision de Rocard.

* Sophie : Revenons aux Assises du socialisme, si tu veux bien !

* Guy : Elles eurent lieu les 12 et 13 octobre 1974 à l’hôtel PLM Saint Jacques de Paris. Le but était l’unification de la diversité socialiste. Avec trois composantes : le PS, la « Deuxième gauche », avec les PSU minoritaires autour de Rocard et de cadres de la CFDT dont Jacques Chérèque, Edmond Maire, Pierre Héritier, André Jeanson et la troisième composante avec Vie nouvelle, les Groupes d’Action Municipale, Objectif socialiste de Robert Buron et des militants de la JOC, de la JEC, des APF, donc essentiellement des chrétiens. Cette composante aidera Mitterrand à s’implanter dans ses zones faibles comme la Bretagne ou l’Alsace. Elle avait un peu avant fait alliance avec le PSU dans le Front autogestionnaire !

  • Nos camarades du PSU n’eurent pas droit à une présence à la tribune et Mitterrand se contenta de dire que le parti ne s’appellerait plus PS mais Parti des socialistes. Quelle différence, surtout que tout changement le ligne ou d’organisation était exclu ! Ce fut une belle opération médiatique !
  • C’est juste avant, au Conseil National d’Orléans, que Michel Rocard avait été mis en minorité avec seulement 40 % des voix sur ces Assises, et donc poussé à la démission. J’étais présent et je me souviens d’un débat tendu, agressif et pour moi d’une grande tristesse !

* Sophie : Alors, quel est le bilan de ces Assises ?

* Guy : Bon pour le PS car il affaiblit son concurrent PSU qui perd 2000 adhérents, et récupère des cadres ayant une bonne formation politique. Le nombre de ministres du premier gouvernement de Pierre Mauroy passés par le PSU est considérable ; Rocard, Bérégovoy, Savary, Lang, Hernu, Le Garrec, Debarge, etc. Gille Martinet, le stratège du PSU, nous a raconté que Mitterrand avait refusé à Mauroy sa nomination, à lui, comme ministre, parce que : « Il y a trop de rocardiens dans ce gouvernement ». Gilles sera nommé en 1981 ambassadeur à Rome, excellente idée pour lui et pour la gauche, car il connaît très bien l’Italie. Il y restera jusqu’en 1984.

  • Par contre l’intégration des militants et cadres de la CFDT sera vite ratée, par méfiance à leur égard, en souvenir de mai 68, par différence profonde de culture et à cause des habitudes bureaucratiques des anciens PS. J’ai eu des témoignages éloquents et une phrase d’un humour noir d’Edmond Maire est terrible !
  • Le PS renforce son image de grande force capable de rassembler, de prendre le pouvoir et, quelque part, les Assises assoient son hégémonie qui va poser problème au PC. Mitterrand devient le chef incontesté, ce qui agace le grand Alain Savary, absent des Assises. Je t’ai déjà parlé de l’implantation en terre chrétienne.
  • Pour le PSU, c’est évidemment fort grave par la perte d’un leader favorablement connu dans l’opinion ; la perte de cadres et de militants. C’est un défi important à relever. Dans notre section du XXe arrondissement, nous perdons moins de 10 adhérentEs dans le court terme, surtout des syndicalistes. Et nous allons rester fort actifs.

* Sophie : Que devient le PSU ? Comment réagit-il ?

* Guy : Il réagit au congrès d’Amiens en décembre. Il faut démontrer qu’un espace existe, en plus du PS et du PC. Cet espace sera celui de l’autogestion, de l’anticapitalisme et, vite, celui de l’écologie. Le congrès d’Amiens sera marqué par une bonne présence de syndicalistes CFDT ou CGT, de responsables PS ou PC et e dirigeants de forces internationales dont le délégué de l’OLP et un dirigeant du MAPU chilien où Pinochet vient de prendre le pouvoir. Ce sera le lancement des Comités de soldats pour revendiquer le droit syndical dans les armées.

  • La crise pétrolière conduit le PSU à poser des problèmes nouveaux et fondamentaux : la raréfaction des matières premières, la mise en cause du dogme de la croissance, la nécessité d’une transition écologique, et la lutte antinucléaire, des solutions antagonistes à l’austérité proposée par Giscard. Donc tu vois que le PSU est bien un père de l’écologie politique.

* Sophie : Le PSU ne cherche t-il pas à retrouver des adhérents quelque part, dans un autre secteur ?

* Guy : Le PSU arrive à compenser partiellement ses pertes par l’adhésion de deux groupes : le petit CIMR (Comité d’Initiatives pour un Mouvement Révolutionnaire) et l’AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire, 250 membres) dont les personnalités que je connaîtrai le mieux sont Michel Fiant et Gilbert Marquis qui sera membre de notre section.

  • Le regroupement avec l’AMR est assez logique puisque cette mouvance d’origine trotskiste s’est rapprochée des idées libertaires, revendique des convictions autogestionnaires, est active dans le mouvement féministe (MLAC, etc.), dans Secours Rouge, dans les entreprises et les banques.
  • Le passé de ces militants témoigne de la proximité de leurs luttes avec celles des militants PSU :
  • - aide au FLN algérien dans la lutte pour son indépendance,
  • - aide à l’Algérie indépendante ; des cadres de l’AMR dont leur leader Pablo seront conseillers techniques auprès de Ben Bella pour organiser la mise en place d’un socialisme autogestionnaire ( ils ont fait partie de ceux qui ont été appelés pieds-rouges)
  • - intérêt pour l’autogestion yougoslave de Tito
  • - soutien à la Tricontinentale de Ben Barka
  • - création des CAL (Comité d’Actions Lycéens) en 1968

* Sophie : N’y a-t-il pas eu des problèmes d’intégration ?_

* Guy Si ! On appelait les militants AMR « pablistes » puisque Pablo était le pseudonyme de leur leader grec Michel Raptis. En 1965 ils avaient rompu avec la IVe internationale trotskiste et fondé la TMRI (Tendance Marxiste Révolutionnaire Internationaliste). Pablo avait théorisé « l’entrisme sui generis » qui consiste à entrer dans les grandes organisations politiques de gauche, à y mener un militantisme déterminé pour fédérer les éléments les plus radicaux, les grouper autour d’eux et organiser une sortie collective à une occasion propre à exacerber les divergences.

  • Lorsque les militants AMR sont venus dans notre section PSU, notre camarade Marcel Jouaneau, très intéressé par les aspects théoriques, a demandé à Gilbert Marquis s’ils avaient renoncé à cette pratique ; car la TMRI avait un local dans le quartier Réunion (celui de Marcel) et allait le garder. Gilbert Marquis a juré que c’était bien le cas. Marcel était sceptique et il avait raison.
  • L’intégration des « pablistes » n’a pas été facile car ils/elles voulaient un rôle dominant dans notre bureau.. Ils ont joué un rôle actif dans le soutien politique et matériel aux employés de la BNP lorsque ceux-ci ont occupé le siège le la place Gambetta et dans l’action des Comités de soldats.
  • Ils ont réussi au plan national et local l’opération « sortie », scission en 1977, à l’occasion d’un débat sur les questions internationales. Parmi les militants PSU partis avec eux deux militants recrutés par notre section, syndicalistes de la banque…Six mois après ces deux camarades cessaient de faire de la politique !
  • Donc en 1977 les « pablistes » créent les CCA (Cercles Communistes pour l’Autogestion) et en 1981 une nouvelle scission amène la recréation d’une seconde AMR, à côté des CCA. Je t’ennuie avec ces débats politiciens qui sont caractéristiques de la mouvance trotskiste ! Il faudra que nous revenions sur les Comités de soldats
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Vingt septième texte : Notre îlot de paix dans la tempête

* Sophie : Que se passe t-il dans le PSU en ce début de la décennie 1970 ?

* Guy:C’est en fait le début de la décroissance après le doublement des effectifs post 68. Et une première scission partielle. Le courant maoïste Gauche Révolutionnaire devient un parti autonome à l’intérieur du PSU, avec local, journal, direction propre et fusionne les 4 fédérations de la région parisienne pour disposer d’un pôle plus puissant que le bureau national de Rocard. Des départs s’organisent d’autre part vers la Ligue Communiste de Krivine.

  • Notre ami Michel Mousel, devenu secrétaire de la fédération de Paris décide de réagir. Il dissout la fédération et organise une réadhésion, avec engagement de respecter les décisions du congrès national ! Je n’ai pas assisté aux incidents violents de cette période. Mais le PSU a perdu alors nombre de militants ouvriers ou paysans, par solidarité avec les maoïstes.
  • Notre section n’a pas souffert de cet épisode car nous n’avions que 2 maoïstes, étudiants et peu actifs ! Et la lutte des Lip nous a redonné de l’enthousiasme et du dynamisme. Je te l’ai raconté la dernière fois. Nous retrouverons les scissionnistes organisés dans la GOP, Gauche Ouvrière et Paysanne dans la lutte des Lip et dans celle du Larzac. J’irai avec Agnès sur le plateau du Larzac lors du grand rassemblement de l’été

* Sophie : Tu as fait allusion à la solidité de ta section locale. Elle tenait à quoi ?

* Guy : Au climat et donc au rôle de quelques personnes clés dont Roger Bournazel. Il a été un rouage essentiel pour la vie de notre section. Comme trésorier, il savait remarquablement relancer les « négligents », convaincre celles et ceux qui hésitaient à adhérer ou à réadhérer. Il savait maintenir des liens humains conviviaux avec chacunE.

  • Roger était né en 1927 sur la « zone », « cet univers de bicoques, de guinguettes, de chiffonniers », où se réfugiaient les couches populaires exclues du Paris intra-muros. Cette zone située derrière les anciennes « Fortifs » est maintenant l’autoroute urbaine appelée « le Périphérique ».
  • De racines paysannes (plateau de Millevaches dans le Limousin), de famille modeste (son père travaillait dans le bâtiment), enfant avide de s’instruire, il le fit en lisant tout le dictionnaire Larousse. La fréquentation des Auberges de Jeunesse sera un élément important de sa formation. L’ascenseur social fonctionnait à cette époque et il deviendra inspecteur central aux PTT.
  • Il tenait de façon rigoureuse son fichier. J’ai conservé son classeur où sont encastrées de petites fiches en forme de T qui détaillent : nom, prénom, adresse, téléphone, profession, appartenance syndicale, date de naissance, date d’adhésion. Il était tellement méthodique et rigoureux que certains se sont demandé s’il ne faisait pas partie des Renseignements Généraux ! Dans cette période, nous avions tendance à voir partout des infiltrations ! Mais, avec Raymond Marcellin, ministre de l’intérieur de mai 1968 à février 1974, obsédé par le danger des groupes révolutionnaires, nous avions quelques raisons de redouter cela

* Sophie : Peux-tu me donner des exemples pour étayer cette info ?

* Guy : C’est Michel Rocard lui-même, secrétaire national à l’époque, qui m’a raconté les faits suivants. Le siège national de la rue Borromée était gardé la nuit par un camarade qui entretenait le chauffage. Une nuit, celui-ci entend du bruit au premier étage. Il monte. Et, très vite, il est ceinturé par plusieurs gaillards et enchaîné dans les toilettes. Le lendemain ce camarade est libéré par la femme de ménage. Il n’y avait pas eu effraction.

  • Rocard, qui avait conservé des relations dans l’appareil d’Etat, se renseigne et apprend que les individus étaient des inspecteurs des Renseignements Généraux (RG), qu’ils étaient venus par le toit pour étudier les fichiers. Il apprend que Marcellin s’était fixé l’objectif de pouvoir arrêter dans les vingt- quatre heures tous les cadres du PSU, depuis l’échelon national jusqu’à celui des grosses sections. Cela supposait que l’on connaisse, pour plus d’un millier de personnes, toutes leurs habitudes, leurs fréquentations, les détails de leur vie privée !
  • Le PSU était classé parmi les groupes révolutionnaires dangereux et l’histoire du responsable du service d’ordre national de l’après mai 68 qui fut un temps un inspecteur des RG infiltré est bien connue ! Cet inspecteur avait alors une double vie et avait noué de vrais et sincères liens d’amitié avec des membres du PSU ; si bien que, lorsqu’il fut démasqué, il connut paraît-il une période dépressive. Il fut ensuite nommé, par le gouvernement PS, commissaire dans des communes de banlieue.

* Sophie : Revenons à Roger si tu as encore des choses à raconter.

* Guy : Le rationalisme a été une de ses qualités dominantes et explique sa passion pour l’espéranto. Il voyageait beaucoup et l’espéranto lui permettait, disait-il, des échanges avec les ouvriers russes, chinois, japonais, etc.

  • Il aimait les plaisanteries, les jeux de mots, les calembours et c’est lui qui nous a proposé le slogan d’une de nos premières affiches en sérigraphie : « La finance est adroite – les travailleurs Paient et Suent » PSU 20e section. Il aimait, donner l’impression de savoir tout sur tous et toutes. C’était un peu vrai !
  • Débonnaire, bon vivant, jovial, peu d’adhérent(e)s l’auraient classé dans la catégorie « intellectuels ». Pourtant il était fort cultivé, grand lecteur de Castoriadis dont la pensée est complexe ! .De même son attitude consensuelle ne laissait pas soupçonner ses opinions radicales en politique étrangère par exemple, ni son courage dans les manifestations et dans la mise en pratique personnelle de ses idées.
  • Un exemple : Roger, inspecteur d’un bureau de poste proche de l’Opéra, trouvait stupide, irrationnel d’obliger les employés à rester dans le bureau lorsque, en fin de journée, il n’y avait plus rien à faire. Il les autorisait donc à rentrer chez eux. C’est à cause de cela qu’il fut soumis, toute une journée, à une pénible enquête de l’inspection générale de la Poste. Il en fut profondément blessé !
  • Nous l’avons vu, Paul Oriol et moi, juste avant sa mort, dans le service des réanimations de l’hôpital Tenon. Il luttait avec ou contre les machines ? Terrible souvenir !

* Sophie : Tu as eu beaucoup de relations avec les militants du PCF. Tu es allé en Israël voir les structures communisantes des kibboutz ! N’as-tu jamais été tenté par une adhésion au PC ?

* Guy ; Non jamais ! A cause du stalinisme, même quand le PC français y a renoncé ; mais il reste des traces. Par contre j’ai fait un voyage en URSS, un peu après la mort de Staline en 1953, mais avant 1961, puisqu’il était encore dans le mausolée à côté de Lénine. Je l’ai vu et il avait le look d’un pépère bien gentil, bienveillant ! C’est France URSS qui organisait le voyage, donc avec des militants communistes ou des sympathisants. Je voulais voir sur place le « modèle » !

  • C’était pendant les vacances scolaires de Pâques. Nous fûmes victimes d’un froid sibérien. La Néva, à Leningrad (Saint Pétersburg maintenant), charriait d’énormes glaçons et le Kremlin était couvert de neige, aspergée par un produit jaune qui donnait un charme supplémentaire. Pour tenir le coup, achat obligatoire d’une belle chapka !
  • Le voyage en train a été fort long et également l’attente à la frontière. Je crois que cela était dû au changement de l’écartement des rails ? Spectacle ahurissant : des soldats postés tous les 2 mètres face à nos wagons, encadrés par des officiers. Photos interdites. Mais nous sommes aux fenêtres. Beaucoup de soldats titubent, saouls, sans que les officiers bronchent le moins du monde ! Images peu positives, confirmées par la fin du trajet : car nos « amis » russes insistaient pour nous emmener boire un verre de vodka au wagon-restaurant.
  • Une autre occasion nous montra l’importance de l’alcoolisme. Pour nous prouver que l’URSS est un grand pays, égal des pays occidentaux, on nous fait visiter une centrale électrique ultramoderne. Malheureusement, dans le hall d’entrée, figurent deux grands panneaux. L’un glorifie les stakhanovistes : parfait, classique ! Mais le second critique et ridiculise les alcooliques de l’usine ! Même dans cette usine de pointe l’alcoolisme est donc un drame ?

* Sophie : Avec quel jugement global es-tu revenu ? Sur ce que le régime a pu apporter par rapport aux tsars d’avant la révolution ?

* Guy : Les personnes rencontrées nous ont dit beaucoup de bien du secteur santé. Sur le plan de l’enseignement, de la culture pour l’ensemble du peuple, le bilan me semble fort positif. Les disques de musique sont peu chers et les livres également, je crois. Je me souviens encore de ce monsieur qui lisait un livre sur un banc d’un parc malgré le froid polaire.

  • Par contre, la lutte contre la religion, opium du peuple, semble un échec total. A Leningrad, il y avait un musée de l’athéisme, que je n’ai pas visité; mais mes camarades qui l’ont visité ont surtout vu une critique sévère de la papauté. Les églises étaient toutes fermées et nous avons vu des femmes se signer furtivement devant les portes. Nos accompagnateurs-trices nous ont dit que les jeunes étaient intoxiqués, sur le plan religieux, par leurs babouchkas (les grands-mères).
  • Avec ces mêmes personnes le débat sur la sexualité fut invraisemblable. Pour elles, les Soviétiques arrivaient au mariage sans expériences sexuelles préalables, ne se masturbaient pas, et il n’existait pas de prostitution !!
  • Le plus décevant fut l’impossibilité d’avoir la moindre ébauche de débat un peu théorique sur le communisme, la nouvelle société à construire. Les personnes qui nous encadraient devaient pourtant être membres du parti ?Le débat glissait toujours, immédiatement, sur le moment où l’économie soviétique arriverait à égalité avec les Etats-Unis !
  • La fascination pour notre mode de vie, pour les crayons Bic, les vêtements en nylon, etc. était incroyable ! Plusieurs voyageurs se sont sentis obligés de donner leurs chaussettes, leurs slips en nylon, parfois même un peu sales ; donnés ou échangés contre des insignes, des badges ! L’Europe intéressait fort peu et De Gaulle était un grand homme, car il prenait des distances avec le pacte atlantique ; alors que nous étions toutes et tous contre lui ! nous ne voulions pas polémiquer.
  • Le Kremlin, la Place Rouge, les églises à bulbe sont magnifiques. Leningrad est par contre moins originale, avec une architecture italienne ou française. Le musée de l’Ermitage est passionnant. Je voulais photographier une pittoresque isba et je fus stoppé par un Russe qui me conseilla de photographier plutôt un grand immeuble moderne dont l’architecture était « stalinienne », comme la gigantesque université de Moscou. Le métro est également impressionnant.
  • En résumé, ce voyage ne m’a pas donné envie de devenir communiste comme le « modèle » soviétique !
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Vingt sixième texte : Autogestion ou programme commun ?

* Sophie : Comment juges-tu le film de Rouaud sur « Les Lip, l’imagination au pouvoir » ?

* Guy : Après l’avoir vu, j’écrivais un bilan que je te résume : « Ce film est un roman policier, historique, philosophique, sociologique, politique ».

  • - Roman policier avec l’enchaînement de coups bas policiers et de ripostes audacieuses inventées dans la fièvre collective des Assemblées Générales. Roman policier avec le déménagement fébrile en pleine nuit du « trésor de guerre » et les courses poursuites entre la police et les militants LIP.
  • - Roman sociologique avec une trame de récits d’acteurs actrices de cette lutte d’une densité humaine exceptionnelle, d’un humour décapant qui déclenche régulièrement les rires de la salle, avec l’alternance des temps d’angoisse et des explosions de bonheur comme lors de la remise de la première paie après la décision « On produit, on vend, on se paie », en autogestion!
  • - Roman psychologique avec des personnalités fortes : Jean le passionné radical, « Jeannine avec sa gouaille, Roland, tout en saccades et en émotion, Raymond, synthétique et précis, Michel avec son humour, Fatima avec la justesse de ses synthèses, Charles avec son accent du Jura et sa voix posée », Claude Neuschwander le patron de gauche « avec une solennité toujours prête à se briser », qui se triture sans cesse les mains. Charles Piaget, leader incontesté, raconte qu’une fois il s’était mis en colère et avait boudé pendant 48 heures ; au retour il découvre que les commissions tournaient sans lui et qu’il n’était pas indispensable ; petit coup à son ego vite digéré ! Jeannine ou Fatima qui racontent avoir remplacé leur minijupe par un jean avant de subir l’envahissement de l’usine par les CRS !
  • - Roman historique avec l’irruption dans la gauche de couches chrétiennes, ici des ouvriers dont le dominicain Raguenès, l’un des plus radicaux ; avec même l’évêque de Besançon qui apporte son soutien aux LIP en chaire. Cette irruption jouera un rôle non négligeable dans la victoire de Mitterrand en 1981. Roman politique.
  • - Roman « philosophique, éthique » autour de la notion de « vol » à propos de la mise à l’abri du stock de montres, propriétés du patron ou des ouvriers qui les ont fabriquées ? Comme je te l’ai déjà dit !

* Sophie : Et sur le plan politique ? Que dit le film ?

* Guy * : Il est politique - avec les luttes autogestionnaires et le projet de société-autogestionnaire. – avec l’irruption des femmes et la rotation des tâches. C’est aussi à la suite d’un été entier passé à LIP que Benny Lévy, fondateur de la Gauche Prolétarienne GP avec Sartre, a décidé de la dissoudre, considérant que les vrais révolutionnaires étaient ces non-violents de LIP.Le film explique cela !

  • Cette organisation GP aurait fort bien pu glisser vers le terrorisme comme la bande à Baader en Allemagne ou les Brigades Rouges en Italie. Merci les Lip !
  • Mais j’ai une critique politique contre le film qui ne dit jamais que la grande majorité des leaders appartient au PSU et ne mentionne ce parti qu’à propos du patron Neuschwander!
  • J’ai oublié de te dire que j’ai participé à l’énorme manifestation de soutien aux Lip du 29 septembre 2013. 100 000 personnes ont défilé ce jour là entre Palente et Besançon sous une pluie torrentielle, mais avec un dynamisme réchauffant ! Ayant cours ce samedi-là, j’avais vu le proviseur en lui disant que j’irais à Besançon et qu’il pouvait signaler mon absence ! Il ne le fit pas ; il prenait un risque ; le car aurait pu avoir un accident ! Je me souviens des rues de Besançon, avec toutes les maisons fermées, quasiment barricadées, sans passants. Effets de la pluie ou plutôt peur de cette marée de gauchistes, héritiers de mai 68, avec leurs banderoles et leurs chants révolutionnarisme ! !

* Sophie : Que pensent le PC et le PS de Lip, de l’autogestion ?

* Guy : L’autogestion n’est pas du tout leur projet. Ils ont signé le programme commun de gouvernement le 23 juin 1972. Signatures de George Marchais pour le PCF, de François Mitterrand pour le PS et de Robert Fabre pour les radicaux de gauche. C’est un moment historique pour la gauche et même pour la France car, grâce à cette coalition, Mitterrand deviendra président de la République en 1981.

  • Mitterrand commence à peine son ascension ; il n’est premier secrétaire que depuis un an et le PS est encore très affaibli. Le PC est incontestablement la force dominante de la gauche par ses puissants réseaux militants, ses liens étroits avec la grande centrale ouvrière qu’est la CGT mais même électoralement ( Jacques Duclos a obtenu 21,27 % des voix, 4 ans plus tôt, à l’élection présidentielle, contre 5,01 % au PS Gaston Defferre).
  • Il pourrait préférer l’alliance avec le PSU à l’alliance avec le PS et d’ailleurs 3 grandes villes au moins : Le Havre, Nîmes et Reims sont gérées par cette alliance avec 3 maires communistes. Les historiens diront peut-être un jour les motivations de la direction du PC ? En effet le PSU est une organisation plus forte que le PS sur le plan militant ; il a des liens très étroits avec la CFDT et une base ouvrière dont Lip révélera l’imagination et l’efficacité. Mais le PC garde un très mauvais souvenir de mai 68, se méfie du PSU qu’il classe dans le camp des gauchistes irresponsables. L’autogestion n’est pas dans sa culture. Le PC pense que sa force lui permettra de « plumer la volaille socialiste » : sans doute la pense-t-elle moins dangereuse pour lui que le PSU, la CFDT et leur autogestion !

* Sophie : Que pense le PSU du programme commun ?

* Guy : Le PSU n’a pas été associé aux négociations. Il fait une critique rigoureuse, sérieuse et sans sectarisme du programme commun dans le « PSU-documentation » d’octobre 1972. Ce texte mériterait de longues citations. Le programme commun ne contient pas « une thèse positive sur la société à construire » car PC et PS n’ont pas « une visée commune ». « L’Etat occupe à l’évidence une place centrale dans le programme commun. Il est l’instrument décisif, voire exclusif de la transition…Les travailleurs ne sont jamais considérés collectivement comme les acteurs décisifs de la transition.. Il appelle les citoyens les gouvernés, les administrés ! » (La CFDT fera d’ailleurs une critique du programme commun proche de celle du PSU).

* Sophie : Alors, c’est la confrontation politique entre autogestion et programme commun ?

* Guy : Oui, tu devines bien ! Le manifeste du congrès PSU de Toulouse de décembre 1972 : « Contrôler aujourd'hui pour décider demain » sera un vrai succès et sera très diffusé (en 50 000 exemplaires). La lutte emblématique des Lip sera éminemment populaire et inquiétera le pouvoir giscardien. Et pourtant la bataille politique du programme commun qui marginalise le PSU est sans doute une raison importante de sa lente décroissance ultérieure.

  • Lors de discussions pendant des diffusions combien de fois ne nous a t-on pas dit : « Lip c’est extraordinaire, je suis d’accord avec vos propositions, mais je voterai pour le candidat susceptible d’être élu, PC ou PS ! » Dans les manifestations communes le slogan « Union, action, programme commun » écrasait tous les autres. . L’exigence d’union et l’espoir de victoire sont souvent plus forts que tout et même que les programmes développés, que les perspectives à court ou long terme. L’union avant les idées ! Le PSU devenait un laboratoire d’idées fort sympathique mais marginal et ce fut longtemps le cas des écologistes.
  • L’histoire a donné raison aux Cassandres PSU ! Le PSU devra renoncer à devenir un élément essentiel de la gauche et s’inscrire dans de nouveaux rapports de forces : alliances diverses : Front autogestionnaire, Arc-en-ciel, Comités Juquin, etc. sans parler de la participation à un gouvernement (Huguette Bouchardeau ministre de l’environnement dans le gouvernement Laurent Fabius, avec un directeur de cabinet longtemps membre de notre section du 20e arrondissement Michel Mousel et un autre membre de celle-ci, Xavier Bolze, chargé des relations du cabinet avec le parlement). Nous en reparlerons.

* Sophie : Et l’extrême- gauche dans cette période ? Indifférente à ce débat ? Absente ? Méprisante ?

* Guy : Non. C’est la grande période de la GP, Gauche Prolétarienne, mouvement maoïste, mais spontanéiste (spontex, disait-on à l’époque) par opposition aux partis maoïstes « marxistes-léninistes » purs et durs. Fondée en 1968 par Benny Lévy elle se dit continuatrice du Mouvement du 22 mars, donc à la fois libertaire et léniniste, ouvriériste. Elle a un journal fort diffusé « La Cause du peuple » qui donnera naissance au journal Libération, avec Serge July. Elle fascine un bon nombre de grands intellectuels dont Jean-Paul Sartre et Foucault qui empêcheront, je pense, le basculement vers l’assassinat de grands capitalistes.

  • Le 25 février 1972, le militant de la GP, Pierre Overney, est assassiné par un vigile devant les grilles de l’usine Renault. Assassinat qui soulève une large indignation, sauf pour le PCF. J’ai vécu l’incroyable enterrement : 300 000 personnes qui défilent avec le cercueil sur 7 km, dans les rues de Paris vers le Père Lachaise, chantent l’Internationale, la Jeune garde et autres classiques révolutionnaires, courent souvent, scandent des slogans passionnés. Nous passons devant le siège du journal l’Huma, en provocation !
  • C’est aussi la grande période du Secours Rouge, fondé par Sartre qui vise à concurrencer le Secours Populaire du PCF. Notre amie Sophie Bickel demandait, à chaque réunion plénière du PSU 20e, de faire « un point sur le Secours rouge »

* Sophie : Reparlons du Manifeste du congrès de Toulouse : « Contrôler aujourd’hui pour décider demain », manifeste de l’autogestion ?

* Guy : En relisant, je découvre qu’il contient les bases théoriques de l’écologie politique, 12 ans avant la création des Verts, dans le chapitre intitulé : « Produire, pourquoi ? » Je te cite : « L’orientation systématique de la production vers les objets les plus porteurs de profit plutôt que vers les besoins réels de la collectivité, le gaspillage, le prélèvement sans mesure des ressources naturelles limitées, la destruction de l’environnement, la pollution, la laideur du cadre de vie, tout cela témoigne d’une économie folle ».

  • « La croissance capitaliste repose sur la non-concordance entre production et consommation…entre loisir et travail, vie sociale et logement »… « Il faut s’attaquer en même temps aux habitudes, aux comportements, qui manifestent la primauté de l’argent et des valeurs marchandes sur l’intégralité de la vie sociale ».
  • Tu vois la qualité de ces textes qui, évidemment, portent beaucoup sur l’autogestion. « Elle exprime à la fois un refus et un projet : le refus de la toute puissance d’un Etat. Mais aussi un projet, celui d’une société où les hommes sont capables de prendre en mains leurs propres affaires, de prendre eux-mêmes les décisions qui concernent leur travail, leur cadre de vie, leur formation,, leurs relations et toute leur vie quotidienne » conclura Rocard !