* Sophie : Tu as parlé du départ des maoïstes ! Quand Michel Rocard vous quitte t-il, et quelles en sont les conséquences

* Guy ; En 1974, à l’occasion des « Assises du socialisme ». Mais auparavant il y a eu la mort de Pompidou et, donc, l’ éection présidentielle des 5 et 19 mai 1974 avec la candidature de François Mitterrand pour le Programme Commun, pour le PS, le PC et les radicaux de gauche. Dans le PSU, un fort mouvement se dessine alors pour proposer à Charles Piaget, personnage emblématique de la lutte des Lip d’être candidat d’un large rassemblement dont le PSU, la LCR ; etc. rassemblement porteur d’un tout autre projet, de l’autogestion, de l’imagination dans les luttes, d’une utopie réaliste. Je suis un partisan passionné de cette idée ! Je pense que les rapports politiques et organisationnels seront difficiles avec la LCR, mais quelle fantastique aventure !

  • Cet événement imprévu va obliger Rocard à choisir entre deux options :
  • - préserver l’outil PSU actif dans les luttes ouvrières, porteur d’un projet de société autogestionnaire, mais faible électoralement,
  • – ou rejoindre le PS, absent dans les luttes, sans projet de société et misant tout sur les élections et ensuite l’Etat, mais puissant électoralement. Dans son livre dur le PSU, Bernard Ravenel parle de « double langage » pour le Rocard de ces longs mois.
  • Moi, je pense que, comme souvent, Michel Rocard a du mal à trancher, à prendre la grande décision car son analyse des avantages et inconvénients est très pointue, complexe, paralysante ! Et il a deux fers au feu.

* Sophie : Que fit donc le PSU pour cette présidentielle ?

* Guy : Je me souviens d’un fait très étonnant de cette époque. Une nuit, à 1 heure du matin, je reçois un coup de téléphone ? C’est Michel Rocard, à la sortie de sa réunion du bureau national ! Il veut savoir quelle est ma position sur la candidature de Piaget. Je lui dis mon enthousiasme et il fait des réserves. J’avais été très proche de lui entre 1961 et 1968, dans la même tendance ; mais j’avais rompu en1968 et nous n’avions plus d’échanges amicaux. Je pense qu’il faisait un mini sondage auprès d’amis de sensibilités différentes et j’ai eu l’impression qu’il aurait aimé que je le pousse à être lui-même candidat, pour la seconde fois ?

  • Face à cette vague de fans de Piaget, il va mener campagne pour que le PSU soutienne Mitterrand dès le premier tour. Il gagnera de peu Je suis furieux contre celles et ceux, maoïstes en général, qui nous avaient quittés en 72 ; leur présence aurait permis le succès de Piaget qu’ils soutenaient eux aussi. Impossible de savoir ce que cela aurait changé globalement ; on ne refait pas l’histoire ! ; mais on aurait mesuré le rapport de forces entre deux gauches fort différentes.
  • René Dumont pour les écologistes fait une campagne originale (avec son verre d’eau à l’écran et son slogan : « la voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con ») Mais il n’obtiendra que 1,32%. Au premier tour Mitterrand arrive en tête et Valéry Giscard d’Estaing, soutenu par Jacques Chirac écrase le gaulliste Jacques Chaban Delmas.
  • Au second tour, Mitterrand perd de fort peu avec 49,19 % des voix. Des cadres du PC m’ont affirmé que la consigne secrète leur avait été donnée de voter Giscard et pas Mitterrand ! (c’est le vote dit révolutionnaire !). On dit également qu’il y eut le même phénomène à droite. Politique politicienne ! Giscard élu remercie Chirac en le nommant Premier ministre et Mitterrand se trouve fortement renforcé, ce qui pèsera certainement dans la décision de Rocard.

* Sophie : Revenons aux Assises du socialisme, si tu veux bien !

* Guy : Elles eurent lieu les 12 et 13 octobre 1974 à l’hôtel PLM Saint Jacques de Paris. Le but était l’unification de la diversité socialiste. Avec trois composantes : le PS, la « Deuxième gauche », avec les PSU minoritaires autour de Rocard et de cadres de la CFDT dont Jacques Chérèque, Edmond Maire, Pierre Héritier, André Jeanson et la troisième composante avec Vie nouvelle, les Groupes d’Action Municipale, Objectif socialiste de Robert Buron et des militants de la JOC, de la JEC, des APF, donc essentiellement des chrétiens. Cette composante aidera Mitterrand à s’implanter dans ses zones faibles comme la Bretagne ou l’Alsace. Elle avait un peu avant fait alliance avec le PSU dans le Front autogestionnaire !

  • Nos camarades du PSU n’eurent pas droit à une présence à la tribune et Mitterrand se contenta de dire que le parti ne s’appellerait plus PS mais Parti des socialistes. Quelle différence, surtout que tout changement le ligne ou d’organisation était exclu ! Ce fut une belle opération médiatique !
  • C’est juste avant, au Conseil National d’Orléans, que Michel Rocard avait été mis en minorité avec seulement 40 % des voix sur ces Assises, et donc poussé à la démission. J’étais présent et je me souviens d’un débat tendu, agressif et pour moi d’une grande tristesse !

* Sophie : Alors, quel est le bilan de ces Assises ?

* Guy : Bon pour le PS car il affaiblit son concurrent PSU qui perd 2000 adhérents, et récupère des cadres ayant une bonne formation politique. Le nombre de ministres du premier gouvernement de Pierre Mauroy passés par le PSU est considérable ; Rocard, Bérégovoy, Savary, Lang, Hernu, Le Garrec, Debarge, etc. Gille Martinet, le stratège du PSU, nous a raconté que Mitterrand avait refusé à Mauroy sa nomination, à lui, comme ministre, parce que : « Il y a trop de rocardiens dans ce gouvernement ». Gilles sera nommé en 1981 ambassadeur à Rome, excellente idée pour lui et pour la gauche, car il connaît très bien l’Italie. Il y restera jusqu’en 1984.

  • Par contre l’intégration des militants et cadres de la CFDT sera vite ratée, par méfiance à leur égard, en souvenir de mai 68, par différence profonde de culture et à cause des habitudes bureaucratiques des anciens PS. J’ai eu des témoignages éloquents et une phrase d’un humour noir d’Edmond Maire est terrible !
  • Le PS renforce son image de grande force capable de rassembler, de prendre le pouvoir et, quelque part, les Assises assoient son hégémonie qui va poser problème au PC. Mitterrand devient le chef incontesté, ce qui agace le grand Alain Savary, absent des Assises. Je t’ai déjà parlé de l’implantation en terre chrétienne.
  • Pour le PSU, c’est évidemment fort grave par la perte d’un leader favorablement connu dans l’opinion ; la perte de cadres et de militants. C’est un défi important à relever. Dans notre section du XXe arrondissement, nous perdons moins de 10 adhérentEs dans le court terme, surtout des syndicalistes. Et nous allons rester fort actifs.

* Sophie : Que devient le PSU ? Comment réagit-il ?

* Guy : Il réagit au congrès d’Amiens en décembre. Il faut démontrer qu’un espace existe, en plus du PS et du PC. Cet espace sera celui de l’autogestion, de l’anticapitalisme et, vite, celui de l’écologie. Le congrès d’Amiens sera marqué par une bonne présence de syndicalistes CFDT ou CGT, de responsables PS ou PC et e dirigeants de forces internationales dont le délégué de l’OLP et un dirigeant du MAPU chilien où Pinochet vient de prendre le pouvoir. Ce sera le lancement des Comités de soldats pour revendiquer le droit syndical dans les armées.

  • La crise pétrolière conduit le PSU à poser des problèmes nouveaux et fondamentaux : la raréfaction des matières premières, la mise en cause du dogme de la croissance, la nécessité d’une transition écologique, et la lutte antinucléaire, des solutions antagonistes à l’austérité proposée par Giscard. Donc tu vois que le PSU est bien un père de l’écologie politique.

* Sophie : Le PSU ne cherche t-il pas à retrouver des adhérents quelque part, dans un autre secteur ?

* Guy : Le PSU arrive à compenser partiellement ses pertes par l’adhésion de deux groupes : le petit CIMR (Comité d’Initiatives pour un Mouvement Révolutionnaire) et l’AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire, 250 membres) dont les personnalités que je connaîtrai le mieux sont Michel Fiant et Gilbert Marquis qui sera membre de notre section.

  • Le regroupement avec l’AMR est assez logique puisque cette mouvance d’origine trotskiste s’est rapprochée des idées libertaires, revendique des convictions autogestionnaires, est active dans le mouvement féministe (MLAC, etc.), dans Secours Rouge, dans les entreprises et les banques.
  • Le passé de ces militants témoigne de la proximité de leurs luttes avec celles des militants PSU :
  • - aide au FLN algérien dans la lutte pour son indépendance,
  • - aide à l’Algérie indépendante ; des cadres de l’AMR dont leur leader Pablo seront conseillers techniques auprès de Ben Bella pour organiser la mise en place d’un socialisme autogestionnaire ( ils ont fait partie de ceux qui ont été appelés pieds-rouges)
  • - intérêt pour l’autogestion yougoslave de Tito
  • - soutien à la Tricontinentale de Ben Barka
  • - création des CAL (Comité d’Actions Lycéens) en 1968

* Sophie : N’y a-t-il pas eu des problèmes d’intégration ?_

* Guy Si ! On appelait les militants AMR « pablistes » puisque Pablo était le pseudonyme de leur leader grec Michel Raptis. En 1965 ils avaient rompu avec la IVe internationale trotskiste et fondé la TMRI (Tendance Marxiste Révolutionnaire Internationaliste). Pablo avait théorisé « l’entrisme sui generis » qui consiste à entrer dans les grandes organisations politiques de gauche, à y mener un militantisme déterminé pour fédérer les éléments les plus radicaux, les grouper autour d’eux et organiser une sortie collective à une occasion propre à exacerber les divergences.

  • Lorsque les militants AMR sont venus dans notre section PSU, notre camarade Marcel Jouaneau, très intéressé par les aspects théoriques, a demandé à Gilbert Marquis s’ils avaient renoncé à cette pratique ; car la TMRI avait un local dans le quartier Réunion (celui de Marcel) et allait le garder. Gilbert Marquis a juré que c’était bien le cas. Marcel était sceptique et il avait raison.
  • L’intégration des « pablistes » n’a pas été facile car ils/elles voulaient un rôle dominant dans notre bureau.. Ils ont joué un rôle actif dans le soutien politique et matériel aux employés de la BNP lorsque ceux-ci ont occupé le siège le la place Gambetta et dans l’action des Comités de soldats.
  • Ils ont réussi au plan national et local l’opération « sortie », scission en 1977, à l’occasion d’un débat sur les questions internationales. Parmi les militants PSU partis avec eux deux militants recrutés par notre section, syndicalistes de la banque…Six mois après ces deux camarades cessaient de faire de la politique !
  • Donc en 1977 les « pablistes » créent les CCA (Cercles Communistes pour l’Autogestion) et en 1981 une nouvelle scission amène la recréation d’une seconde AMR, à côté des CCA. Je t’ennuie avec ces débats politiciens qui sont caractéristiques de la mouvance trotskiste ! Il faudra que nous revenions sur les Comités de soldats