* Sophie : Y a t-il une personne qui a représenté la continuité et l’unité du PSU de 1960 à 1990 ?

* Guy : Tout à fait ; c’est une femme, qui n’a jamais été élue à quoi que ce soit, ni en interne, ni en externe. Mais elle a été au siège national et parisien rue Henner au début, puis rue Mademoiselle, rue Borromée et rue de Malte à la fin. Parce qu’elle était secrétaire des bureaux exécutifs. Elle s’appelle Geneviève Leprieur.

  • Geneviève a eu un rôle fédérateur extraordinaire pendant presque toute la vie du PSU. Les militantEs passaient dans son bureau pour prendre des tracts, recevoir ou donner des contacts, mais aussi et beaucoup pour bavarder en petits groupes, voire en tête-à-tête avec Geneviève. Echange d’informations et d’anecdotes qui font la vie réelle d’un groupe. Geneviève, par son sens de l’écoute, par son humour, son calme passionné était un pilier de ces convivialités. Internet a fait disparaître ces lieux de dialogues et c’est une perte importante.
  • Dans les années 1960 Geneviève Leprieur était la secrétaire de la fédération de Paris du PSU ; elle maîtrisait les adhésions, les cotisations, les animations des sections locales. C’était une femme magnifique et elle fut ardemment courtisée par Martinet et Poperen, secrétaires nationaux adjoints du PSU, en compétition pour succéder au vieux Depreux. Poperen voulait des informations sur le groupe parisien lié à Martinet. Martinet, lui, avait pour ses informations bien plus de ressources avec Heurgon ou Rocard, en responsabilité pour Paris !
  • Après 1968 elle ne s’engagea plus dans une tendance et permit donc, dans son bureau, des relations pacifiques entre des camarades engagés dans des confrontations ; pacification non négligeable ! Geneviève était également une secrétaire particulièrement sérieuse et efficace. Je ne sais pas quels furent ses rapports avec les secrétaires nationaux, sauf avec Rocard, cordiaux et avec Huguette Bouchardeau, amicaux. Geneviève et Huguette ont continué à se voir quand Huguette abandonna la vie politique.
  • De même Gilles Martinet invita Geneviève à l’ambassade quand il fut ambassadeur à Rome sous la présidence Mitterrand.. C’est la première militante que j’ai rencontrée à mon arrivée à Paris en 1958 et elle fut mon amie jusqu’à sa mort ! Je dois dire que, lorsque j’ai été trésorier de la fédération de Paris en 1962, Geneviève a fait une part importante de mon boulot. Elle me raconta alors comment elle maternait Charles Hernu le futur ministre de la défense qui avait de gros problèmes psychologiques et venait déjà en battle-dress ! Le PSU te doit beaucoup amie Geneviève.

* Sophie : Dans un parti, comment s’élaborent les idées, les programmes ?

* Guy : J’ai, dans ce domaine, une expérience de plus de 50 années, au PSU puis chez les Verts. J’ai été longtemps secrétaire de section locale et plusieurs fois membre de l’exécutif parisien du PSU.. De plus, j’ai participé, de façon modeste certes mais régulière, aux débats sur les textes d’orientation à soumettre aux adhérents lors des congrès.

  • Je pense que l’élaboration des lignes politiques ne se faisait pas de façon aussi démocratique dans le PC ou le PS et je n’ai pas connu de l’intérieur les mouvements trotskistes. Dans les partis où j’ai milité les dirigeants emblématiques, connus, participaient réellement à ces débats. Mais ils ou elles écrivaient rarement eux-même et se contentaient de valider ce qui peut marquer fortement la différence avec les autres textes soumis. ; ou inversement d’évacuer les parties qui pouvaient trop faire conflit en interne.
  • Les commissions travaillent et rédigent dans leur secteur spécifique : économie, immigration, éducation, féminisme, etc. Mais leurs textes peuvent être trop pointus, trop complexes ou trop en avance sur l’opinion collective du moment. J’ai même vécu des textes de deux commissions différentes en contradiction, sur la laïcité je crois. Donc il faut que les congrès tranchent, nuancent et valident
  • Les documents élaborés par les commissions sont utiles pour la formation des adhérentEs et leurs membres écrivent parfois des livres ou poussent l’instance nationale à produire des affiches. Je pense à la commission Immigration du PSU qui obtint trois célèbres affiches, l’une avec un travailleur immigré, la deuxième sur les femmes immigrées et la troisième sur les enfants
  • Dans la réalité que j’ai vécue, les tendances jouent un rôle déterminant Elles sont les lieux où s’élabore l’orientation, car ce sont elles qui écrivent les textes qui s’opposent dans les congrès ou Assemblées Générales (terme choisi par les Verts pour marquer leur originalité). C’est l’endroit le plus efficace car il y a là une réelle homogénéité sur le fondamental et une confiance réciproque complète. Elles produisent donc les idées votées ensuite ou non.
  • Les tendances contrôlent les directions. Car les partis, entre deux congrès nationaux ont des « Conseils nationaux ». Ces instances peuvent critiquer certaines décisions de l’exécutif, les modifier, voire remplacer certaines personnes
  • Le nombre de tendances est souvent un problème, que la presse souligne avec plaisir, pour le PSU, les Verts et aussi le PS ! ; en 1963 le « Monde » ridiculisait le PSU, parti des 5 tendances (alors qu’il n’y a que 2 blocs, sur la question de l’autonomie par rapport à PS et PC). Ce nombre est lié à une méticulosité dans l’expression des problèmes dans toutes leurs nuances, mais aussi des questions tacticiennes voire liées à des ambitions personnelles.
  • J’ai vu, au PSU, un représentant de commerce qui n’avait trouvé aucun autre signataire pour sa motion, exiger les mêmes droits que les « vraies tendances ». Les partis exigent maintenant un nombre minimal de signatures, dans plusieurs départements!

* Sophie : Les tendances sont très mal perçues dans l’opinion ! qu’en penses-tu ? Il doit y avoir de bonnes raisons ?

* Guy : Elles sont souvent fort critiquées et rendues responsables de tous les maux ; donc on les rebaptise « sensibilités ». Pourquoi ces critiques ? D’abord parce que ce sont des lieux un peu clos, mystérieux pour celles et ceux qui n’en font pas partie. Et elles sont un peu un ferment de division. C’est pour cela que le PC les a toujours refusées.

  • En fait, elles y ont été clandestines dans la période stalinienne et sont devenues connues, mais pas reconnues, à partir des années 80. Leur absence a beaucoup empêché le débat démocratique interne ; et le PC a exclu beaucoup de « traîtres » qui avaient été de grands révolutionnaires comme André Marty, le mutin de la mer Noire ou de grands résistants comme Charles Tillon et Georges Guingouin, libérateur de Limoges ; parce qu’ils exprimaient des désaccords avec la direction !
  • Les tendances ont, à côté de leur importance sur l’élaboration des idées, un rôle plus discutable, qui peut donner lieu à de multiples contestations. Dans les faits ce sont essentiellement elles qui sont les « chercheuses de tête », c’est à dire de celles et ceux qui sont susceptibles de devenir éligibles à des directions dans le parti et même à des candidatures aux diverses élections. Donc elles doivent maîtriser les ambitions personnelles
  • Concilier la compétence, les qualités de communication, le sens des responsabilités, la motivation pour une tâche donnée avec la bonne orientation politique est rarement facile. D’ailleurs, comment mesurer ces divers aspects ? Qui peut le faire sans à priori et être ensuite justifié par le bilan de la personne choisie sur la tâche en question ? Cela semble impossible pour un homme, une femme ou un tout petit groupe. Les chances de « bons choix » sont plus importantes pour un groupe nombreux et relativement homogène, dont certainEs côtoient la personne postulante.
  • Le danger est que les tendances peuvent devenir des « fractions », c’est à dire, un deuxième parti à l’intérieur du parti, avec son propre bureau, sorte de contre exécutif, sa presse autonome avec des articles démolissant systématiquement des aspects fondamentaux de la loi votée au co* ngrès. C’est le cas, évidemment, quand une fraction envisage une scission (cas Poperen au PSU, cas Placé, De Rugy à EELV).
  • Elles peuvent alors faire fuir beaucoup d’adhérentEs lorsque leur opposition devient violente, que le sectarisme s’étend à tous les sujets. Les adhérentEs de base croient à des oppositions d’ambitions personnelles, même si le désaccord est sur le fond.
  • En 1962, après la paix avec l’Algérie, le PSU doit chercher son identité. Deux lignes s’affrontent très violemment sur l’autonomie par rapport au PS et au PC et en particulier sur les liens avec Mitterrand. Beaucoup y voient alors seulement une opposition entre des personnes : Poperen pour un PSU médiateur entre le PS et le PC, d’un côté et Martinet, Heurgon, Rocard de l’autre pour un PSU visant à devenir la force dominante à gauche. C’était n vrai débat d’idées stratégiques.
  • Chez les Verts, le débat sur le « ni-ni » (ni droite, ni gauche) était un vrai bat d’orientation et pas seulement une opposition entre Waechter et Voynet. Même chose pour l’opposition entre Dany Cohn Bendit qui voulait remplacer le parti Vert par un mouvement et Cécile Duflot qui défendait le parti quand fut créé EELV
  • Pour revenir au PSU, il y eut un moment où les tendances étaient totalement opposées sur l’orientation politique. C’est dans l’après 1968. Face à Rocard, luttaient une tendance trotskisante mais surtout deux tendances plus ou moins maoÏsantes. La « Gauche Révolutionnaire » voulait calquer sa stratégie sur celle de Mao, avec ses « Assemblées ouvrières et paysannes ». Elle oubliait les différences énormes entre la Chine et la France sur leur histoire, leur composition sociale, leur état économique, leurs dimensions. Ils furent de fait exclus en 1972, avant que Rocard rejoigne le PS en 1974.
  • Un vrai problème de fond, qui est difficilement soluble ! Il est juste que la ou les minorités aient leur place dans les exécutifs, pour exercer la démocratie et les contrôles. Il est logique qu’elles exercent des responsabilités. Mais, souvent, la personne X se voit accorder une responsabilité pour laquelle elle n’est pas compétente du tout. Pire ! Il arrive que l’opposante refuse de participer à la gestion concrète, quotidienne et se consacre totalement à l’opposition. Deux amies, anciennes secrétaires nationales des écologistes m’ont raconté avoir subi ce phénomène, auquel il faut trouver une parade.
  • Se pose un autre problème : celui des personnalités qui arrivent à avoir une forte image dans l’opinion publique, apparaissent dans les médias et symbolisent leur parti. La base des Verts, comme le fut celle du PSU est assez libertaire, refuse la présidentialisation, le sauveur suprême. Cela pose le problème de l’identification d’une organisation. Le PS est encore très fortement identifié à Mitterrand et le PSU à Rocard (ce qui n’est pas vraiment juste !): Lutte Ouvrières l’a été à Arlette Laguiller, la LCR à Krivine puis à Besancenot, le PC à George Marchais.
  • Nuit debout a volontairement refusé d’être identifié à quelqu’un ! Une organisation peut –elle continuer à exister, à durer sans identification ?? Délicate question ! Les Verts sont identifiés comme écologistes ; mais cela suffit-il ?