• Mon intervention se trouve bien dans la continuité des deux intervenants précédents et se situera sur un autre plan car je ne suis pas historien comme Michèle Perrod et Gilles Morin. J’interviens comme militant qui a vécu intensément cette période
  • J’ai été militant pendant 60 années dont les 30 années de la vie du PSU et 40 années si l’on compte mes années dans les groupes ancêtres et celle de son héritier, l’Arev. J’ai été secrétaire de la section du dix-neuvième arrondissement et surtout longtemps secrétaire de celle du vingtième ; 5 fois membre du bureau de la fédération de Paris
  • Vous savez toutes et tous que la naissance du PSU en 1960 est « incroyable », tant étaient violentes les oppositions entre socialistes et communistes ; mais aussi entre chrétiens et francs-maçons. Rassembler des nombres importants de ces forces était un exploit permis par l’hostilité commune aux tortures et autres « bavures » de la guerre d’Algérie et le soutien à l’indépendance de l’Algérie.
  • Mais dès 1961 l’unité est menacée par le débat passionné sur l’insoumission. Un premier texte signé globalement par les anciens trotskistes et les chrétiens venus de l’UGS propose que le PSU demande aux jeunes appelés de refuser de partir faire la guerre en Algérie, de s’insoumettre. Un deuxième texte signé par les camarades venus de la SFIO socialiste, dont Rocard est totalement hostile à cette idée, parce qu’elle risquerait de compromettre toute la vie de ces insoumis, alors que le PSU ne risquerait rien, en dehors d’une possible dissolution ! Une troisième motion avait une position centriste ou centrale et proposait que le PSU décide qu’il soutiendrait concrètement, solidairement les insoumis, mais n’appellerait pas à cette insoumission. C’est elle qui fut adoptée.
  • Elle poussa les vainqueurs à proposer aux jeunes des formes d’action massives et radicales : des manifestations de rues, interdites donc réprimées.
  • L’un des signataires de la motion centrale, Marc Heurgon, avait apprécié Michel Rocard lors de ce débat et la réciproque était vraie. Donc pour conquérir la direction de la fédération de Paris, contre Mireille Osmin dont on vient de parler, Marc Heurgon put « couper l’omelette par les deux bouts ». Je le cite et cela veut dire qu’il composa un bureau avec des membres de sa motion, mais aussi, aux bords, quelques membres des deux autres textes, dont Rocard et pour les « insoumis » le mari de Geneviève Leprieur et moi. Heurgon sera secrétaire, Rocard sera responsable de la formation et moi de la trésorerie.
  • Commencent alors en i961 des années folles de militantisme échevelé ; nombreuses manifs interdites et violemment réprimées. Le PSU organisa avec les méthodes de la Résistance une manifestation clandestine place Clichy où Depreux prit la parole, juché sur la statue ; elle se disloqua avant l’arrivée de la police. Une deuxième partit de la Mutualité et fut violemment réprimée ; d’autres manifestations eurent lieu avant celle du métro Charonne. Période de collages d’affiches, de multiples réunions. Je verrai Rocard et Heurgon presque chaque jour. Et cela continuera quelque peu après 1962 et la fin de la guerre d’Algérie, car commença alors une lutte féroce entre deux blocs à propos de ce que devrait être l’identité du PSU ! Vous ne soupçonnez pas la violence des oppositions.
  • Une tendance dirigée par Jean Poperen voulait refaire l’unité du Front Populaire de 1936 et souhaitait que le PSU devienne médiateur entre socialistes et communistes, courtier de l’unité ; elle souhaitait un rapprochement avec la FGDS de Mitterrand qui apparaissait régulièrement à la une de son journal de fraction « l’Action ». La seconde avec Heurgon et Rocard rêvait que le PSU devienne une force dominante de la gauche, en profitant du fait que la SFIO était déshonorée par Guy Mollet et que le PC était encore stalinien ; donc il fallait affirmer son originalité et son autonomie. Gilles Martinet était le théoricien, l’orateur, exceptionnel et Edouard Depreux le patriarche fédérateur.
  • Rocard était heureux dans cette sensibilité, en accord total avec l’orientation et n’était pas là à cause des chrétiens comme l’a envisagé Gilles Morin : il avait trouvé les chrétiens trop « éthiques » et pas assez politiques à propos de l’insoumission
  • Celles et ceux qui n‘ont connu que le Rocard post 1968 auront du mal à croire que Rocard et Heurgon formaient un tandem soudé et complémentaire et que le Heurgon de la Gauche Ouvrière et Paysanne ait pu jouer un rôle décisif dans l’accession de Rocard au poste de secrétaire national en 1967. J’ai été ami des deux hommes entre 1961 et 1968 et j’ai vécu cela !
  • Mais revenons au portrait original de Rocard que je vous ai promis. Le Rocard de l’époque n’avait pas peur du mot révolution et l’a souvent employé. Je ne dirai pas qu’il était révolutionnaire, mais j’affirmerai qu’il était un réformiste fort radical !
  • Pour essayer de le faire revivre, je dirai qu’il parlait dans les débats avec une vitesse de mitrailleuse ; les idées se bousculaient l’une après l’autre à une vitesse vertigineuse et ce n’était pas de la langue de bois mais des idées complexes. Ensuite, il a un petit peu ralenti son débit. Il venait à chaque réunion « écrasé » par un lourd cartable plein de documents (manie de haut fonctionnaire ou de militant ?)
  • Revenons à ses radicalités
  • Radical dans son rapport sur les hontes de la guerre d’Algérie dont a parlé l’historienne Michèle Perrot. En rupture avec la prudence classique et quelque peu lâche des grands commis de l’Etat ! Du coup, il avait perdu son rôle de secrétaire national des étudiants socialistes. Michel Debré avait même essayé de le révoquer comme haut fonctionnaire.
  • Rupture avec ses amis de la « vieille maison » socialiste SFIO en 1958, face aux trahisons de Guy Mollet pour fonder avec d’autres le PSA !
  • Rupture avec ses amis du PSA : Verdier, Savary, etc. pour s’allier avec Heurgon et les anciens de l’UGS ; prémices de la future unité opposée à Jean Poperen que l’on pourrait baptiser « Nouvelle gauche »
  • Rupture avec le marxisme figé des communistes et de molletistes et favorable au marxisme vivant de Serge Malet et Pierre Naville qui appliquaient la méthode marxiste à l’analyse de la société actuelle, de la nouvelle classe ouvrière, de la nouvelle paysannerie. Il avait été initié au marxisme quand il était tourneur-fraiseur dans le laboratoire de l’Ecole Normale Supérieure par son contremaître, membre de la. LCR.
  • D’ailleurs ses deux années de travail manuel imposées par son père pour qu’ii paie lui-même ses études sont la marque de la rupture avec l’autorité paternelle qui voulait imposer à son fils une carrière scientifique. Sa formation au marxisme sera complétée par Victor Fay. Lors de la fête sur le cinquantième anniversaire de la naissance du PSU Rocard stupéfiera l’auditoire par sa parfaite connaissance du marxisme. Mais je l’ai vu passionné par l’étude des socialistes français du dix-neuvième comme Proudhon.
  • Rupture fin avril 1966 avec Guy Mollet et François Mitterrand lors du Colloque de Grenoble qui rassemble beaucoup de cadres du PSU dont Rocard qui porte alors le pseudonyme de Georges Servet, Gilles Martinet, Pierre Mendès France, mais aussi des militants syndicalistes de la CFDT ou des minoritaires de la CGT et FO, des journalistes de l’Observateur. Rocard était l’un des trois rapporteurs, en particulier sur la monnaie. On peut y voir les prémices de ce qui deviendra la « Deuxième gauche »
  • Rupture en décembre 1966 avec le jacobinisme dominant dans son livre « Décoloniser la province ». Il avait 15 années d’avance par rapport aux lois de décentralisations portées par Gaston Defferre en 1981. Je lui ai envoyé le livre « Mon PSU » que j’ai écrit avec Stéphane Sitbon et das une longue lettre il me remercie pour la façon honnête dont je parle de lui, y compris quand je suis en désaccord et me signale deux fautes dont le fait que c’est lui seul qui a écrit « Décoloniser la provinces » et que Mendès n’y est pour rien. Vérité ?
  • Dans les programmes du PSU pour les élections municipale on trouve moult idées originales sur la démocratie et le « cadre de vie ». C’était la première approche de l’écologie politique ; le mot ne sera employé que plus tard !
  • Rupture avec la FGDS et Mitterrand en 1967 lors du congrès. Les tenants du rapprochement sont battus par la base et en particulier les deux dauphins qui devaient succéder à Edouard Depreux : Martinet ou Poperen. Il faut trouver un secrétaire national parmi les vainqueurs. Ce sera Rocard ! il a un salaire magnifique de haut fonctionnaire ; Son salaire deviendrait « ridicule » ! Et il a deux enfants. Il ne peut pas deviner qu’il deviendra fort connu, qu’il fera 3,61 % à la présidentielle de 1969 et qu’il battra le Premier ministre Couve de Murville. Pari risqué. Il prend le risque !
  • Et voici le grand chambardement ; la rupture avec les autoritarismes universitaire, patronal. religieux et gaulliste Rocard aime ces ruptures, va sur les barricades de la rue Gay Lussac, défile bras-dessus, bras-dessous avec Krivine (il y a des photos). Mais il rompt avec Heurgon sur la question de la violence révolutionnaire. Il fait tout pour qu’il n’y ait pas de mort
  • La dernière rupture dont je parlerai est celle avec le PSU en 1974, rupture ratée qui fera débat cet après-midi