1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


PSU
1967 : année charnière

Le PSU n’est pas en pleine forme en cette année 1967 pour la préparation de son 5e congrès à Paris (25 juin), bien que le nombre de ses députés soit passé à quatre aux élections législatives de mars : Pierre Mendés-France à Grenoble, Yves Le Foll à Saint-Brieuc, Roger Prat à Morlaix et Guy Desson à Sedan. Mitterrand commence son irrésistible ascension vers le pouvoir à travers une série de clubs. Certains PSU regrettent la vieille « maison socialiste » SFIO et pensent à leur avenir politique dans la FGDS. Le PSU est à la croisée des chemins par rapport aux deux lignes décrites dans le texte précédent. Edouard Depreux doit passer la main et ses deux dauphins potentiels, jusque-là rivaux (Martinet et Poperen), sont d’accord pour se rapprocher de la FGDS ; le courant de Poperen qui auparavant nous accusait de vouloir vendre le PSU aux socialistes suit largement son leader sauf des camarades comme Bernard Ravenel. De l’autre côté, Depreux, Heurgon, Rocard, les cadres CFDT et les « cathos » tiennent bon, sur une ligne autonome et les secrétaires nationaux planifiés pour succéder à Depreux sont battus par la base (le PSU aura la curieuse originalité d’avoir mis en minorité presque tous ses secrétaires nationaux : Michel Rocard et Robert Chapuis en 1974, puis Huguette Bouchardeau, Serge Depaquit, et enfin Jean-Claude Lescornet).

Jean Poperen fonde l’Union des Groupes et Clubs Socialistes (UGCS). A la suite d’un article sur UGCS dans Combat, il est exclu du PSU ; il rejoindra la FGDS de Mitterrand en 1968, deviendra ministre (de 1988 à 1992) et…soutiendra la guerre du Golfe !! Cela démontre que l’affirmation de représenter la gauche d’un mouvement dépend des critères retenus et se juge sur une longue période (le cas de Guy Mollet est exemplaire). Pierre Bérégovoy quitte le PSU et rejoint la FGDS avec son club Socialisme moderne. Gilles Martinet, lui, restera au PSU jusqu’en 1972.

Qui va donc succéder à Depreux ? Vide dangereux ! Marc Heurgon entre en scène. Il ne veut pas devenir secrétaire national ou pense qu’il ne le peut pas étant donné son image d’apparatchik ? Il passe un bon moment à convaincre Rocard (comme me l’a expliqué alors Claude Dubois, ami intime de Marc et membre du bureau national). Michel Rocard a un poste important et bien payé comme haut fonctionnaire (secrétaire général de la commission des comptes), deux enfants. Sa carrière est prometteuse, rectiligne ; il milite sous un pseudo : Georges Servet. Le secrétaire national sera nettement moins bien payé, l’avenir politique est incertain étant donné les pertes de ténors et de militants du parti ; qu’auriez-vous fait à sa place ? Eh-bien ! ce « diable » d’Heurgon réussit à le décider et lance ainsi la carrière de Rocard jusque là inconnu. Marc Heurgon n’avait pas prévu Mai 68, Rocard sur les barricades, Rocard bras-dessus – bras-dessous avec Krivine,…. candidat du PSU à la Présidentielle de 1969, avec un score honorable, élu député dans les Yvelines contre l’ancien Premier ministre Couve de Murville ! Il n’avait pas prévu non plus les divergences avec lui en 1968 et dans l’après 1968.

Pendant des années, quand j’étais, avec Marc et Michel, membre du bureau de la fédération de Paris, puis lors des congrès, entre 1962 et 1967, je les ai vus parfois quotidiennement et souvent ensemble. On pourrait dire que j’étais alors leur ami et je pense que mon jugement a de vrais fondements sur les rapports complexes qu’ils ont entretenus à cette époque d’avant 68. Oubliez un moment l’après 68, avec les oppositions entre Rocard et les deux courants maoïstes du PSU, le passage de Rocard au PS et son parcours ultérieur. Heurgon et Rocard étaient alors pour l’essentiel sur la même ligne politique d’autonomie/innovation et ils se complétaient parfaitement, l’un à l’organisation, au recrutement et aux affrontements de congrès (faiblesse relative de Rocard), l’autre à la réflexion intellectuelle de moyen terme (faiblesse apparente plus que réelle de Heurgon) ; l’un apte aux synthèses rapides (Heurgon), l’autre (Rocard) analyste d’une finesse exceptionnelle pour décortiquer les 8 ou 10 aspects d’une question, mais parfois paralysé pour faire la synthèse et aller à l’essentiel, donc hésitant voire timoré. Au total, deux personnages complices, fascinants, déjà un peu méfiants l’un vis-à-vis de l’autre par rapport au pouvoir politique réel dans l’avenir du mouvement et avec des tempéraments assez opposés. Le désaccord politique naîtra en 1968 et s’approfondira par la suite. Je garderai des relations quasi amicales avec les deux, tout en étant en désaccord avec les deux !

1967 est aussi une année charnière car apparaissent dans la société française bien des ingrédients qui coaguleront en 1968 et que seul le PSU avait observé et analysé avant l’explosion de mai 68.

Les militants PSU accèdent majoritairement en juillet 1967 à la direction de l’UNEF. Nous verrons que ce grand syndicat jouera un grand rôle dans les « événements de mai 68 ».

Lors de l’une des quatre rencontres de deux heures avec Michel Rocard du petit groupe des Amis de Tribune Socialiste dont je parle par ailleurs, Michel nous explique ce qui suit. Le parti avait observé que, dans l’année 1967, les luttes ouvrières étaient dures et portaient bien plus sur les conditions de travail, la dignité, le rejet des « petits chefs » de l’encadrement que sur les salaires. Les grèves démarraient souvent avec des animateurs non syndiqués, jeunes et un nombre important de femmes, surtout parmi les employés. La participation aux grèves des employés que Serge Mallet appelle les « cols blancs » au côté des « cols bleus » ouvriers contribue à la radicalisation. En effet la tradition ouvrière veut que soit désignée pour négocier avec le patron une délégation de responsables syndicaux auxquels on fait confiance. Les jeunes cols bleus ou blancs qui sont en colère et n’ont pas l’habitude de cette discipline syndicale envahissent massivement le bureau du patron et commence ainsi une « séquestration » non prévue. Un rapport écrit début 1968 sera discuté en mars1968 lors du Conseil National « sur les luttes sociales ». Ces documents sont à la disposition des historiens.

1967 est aussi marquée par des manifestations paysannes violentes dans l’Ouest avec des jonctions temporaires entre paysans, ouvriers et étudiants. Le 2 octobre à Quimper la manifestation crie : « Che Guevara en Bretagne », « Québec libre, Bretagne libre », « Nous ne voulons pas deux Europe, celle des riches et celle des pauvres » ! Le même jour 5000 agriculteurs enfoncent les portes de la préfecture du Mans !

Enfin, c’est le 3 août 1967 que sort le film de Jean-Luc Godard « La Chinoise » qui symbolise l’existence de groupes maoïstes, en particulier à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm.

Il existe bien d’autres ferments de ce qui bouillonnait sous le couvercle de l’autorité étouffant tous les secteurs de la société : la politique et la tutelle du général De Gaulle, l’usine (ses patrons caricaturaux et ses « petits chefs »), l’école, la famille avec la domination masculine, la morale, la religion et les interdits sexuels (le 21 mars 1967 les étudiants de la faculté de Nanterre occupent le bâtiment réservé aux étudiantes et sont délogés brutalement ; en 68, le Mouvement du 22-Mars de Nanterre provoque par une autre occupation l’étincelle à l’origine de l’embrasement étudiant).

Mai 68 va démontrer la pertinence du choix fait en 1967 par la majorité des adhérents du PSU, car nous verrons à quel point le parti sera en phase avec les aspirations des acteurs du joli mois de mai, tant ouvriers qu’étudiants…quel rôle actif il jouera (alors que les socialistes orthodoxes seront alors absents de la scène politique et ne prendront leur revanche qu’en 1981 avec la victoire de François Mitterrand !)

PSU
Le PSU cherche son identité La grande bataille des années 62-67

J’ai vécu une grande partie de cette période avec passion, douloureusement parfois, comme membre de la direction parisienne ou de celle du dix-neuvième arrondissement, face à des procédés inacceptables. Je parlerai de majorité et de minorité puisque ce fut le cas clairement jusqu’en 67. J’ai été fortement engagé dans la réflexion et parfois même dans la gestion de la ligne majoritaire.

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