1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


PSU
Des pierres, des hommes, des luttes

Il s’agit du montage audiovisuel réalisé en 1971 et utilisé en premier lieu pour la campagne des municipales. C’est une réussite militante, esthétique, politique. Il s’agit d’une projection en « fondu-enchaîné par deux appareils» de nombreuses diapositives, projection rythmée par l’audition simultanée de chansons, d’interviews d’habitants et de reportages des journalistes de Europe 1 faits sur le vif en mai 68. Ce montage a été fort apprécié lors de ses projections qui ont continué après la campagne.

Claude Daugé avait fait un stage sur l’audiovisuel à l’ENS de Saint-Cloud. Il propose à la section du vingtième de réaliser un tel montage et constate avec joie que l’idée séduit quelques camarades. Et c’est parti ! De longues et nombreuses réunions de travail se tiennent chez moi avec Claude, Jean Biscarros, Laurent Zundel et peut-être quelques autres épisodiquement. Nous décidons de réaliser des interviews d’habitant/es dans les rues et parfois chez eux. Jean me rappelle combien il fut surpris de voir autant de passants accepter volontiers de répondre ; il est vrai que nous n’avions pas de caméras. Surpris également de constater combien leurs réponses étaient souvent claires, directes, percutantes sur des problèmes politiques importants comme la « déportation » en banlieue des plus défavorisés. C’est sans doute ce thème développé dans nos listes « Paris aux travailleurs » qui a fait le succès de celle-ci avec plus de 9% et a stupéfait le PCF. Les interviewés ne parlaient de leurs soucis personnels, quotidiens que pour les lier à une vision collective. Belle démonstration de lucidité et de sens du bien commun !

Nos interviews étaient loin d’être parfaites car nous n’avions pas un matériel de professionnels et des bruits annexes étaient perturbateurs. Le travail de lecture, de bonification technique, de choix des séquences à sélectionner a été long, un peu fastidieux. Plus joyeux le choix des chansons à enregistrer ! J’avais acheté un gros magnétophone Revox et le couple Schalchli avait décidé d’adhérer à condition que leurs cotisations servent à acheter une table de mixage. Nous n’étions pas des pros. Laurent Zundel et Jean Biscarros ont été les artisans majeurs de la réalisation des mixages ; Nous avions même prévu que le déclenchement des projections de diapositives serait commandé par la bande du magnétophone au moment adéquat. Mais cela n’a pas fonctionné en pratique et j’ai appris avec plaisir le rythme nécessaire à la concordance entre le son et l’image, dans le passage d’un projecteur à l’autre. Les spectateurs étaient admiratifs.

Sur les affiches en sérigraphie qui annonçaient la projection, le montage était baptisé « Des pierres, des hommes, des luttes ». Le montage s’ouvrait avec la chanson « Sous les toits de Paris » et de belles photos de notre arrondissement. Une séquence importante portait sur le logement et les promoteurs avec projection de nos affiches ci- jointes « nous étions ravis d’avoir trouvé pour accompagner cette projection la chanson « Les loups sont entrés dans Paris » chantée par Serge Reggiani. Une partie importante était consacrée aux transports illustrée par nos affiches en sérigraphie de la section PSU 20e et « Le poinçonneur des Lilas » chanté par Serge Gainsbourg

Toute une séquence sur le contrôle ouvrier, une autre sur les foyers de travailleurs immigrés. La suite sur mai 68 était déjà un peu décalée mais les images de manifestations de mai 68, la belle affiche du CRS au brin de muguet et « Il ne s’est rien passé» rappelaient de bons souvenirs à plusieurs.

PSU
Autogestion socialiste ou programme commun de gouvernement

C’est le 23 juin 1972 qu’est signé le programme commun de gouvernement par George Marchais pour le PCF, François Mitterrand pour le PS et Robert Fabre pour les radicaux de gauche. C’est un moment historique pour la gauche et même pour la France car c’est grâce à cette coalition que Mitterrand deviendra président de la République 9 années plus tard.

François Mitterrand commence à peine son ascension ; il n’est premier secrétaire que depuis un an et le PS est encore très affaibli.

Le PC est incontestablement la force dominante de la gauche par ses puissants réseaux militants, ses liens étroits avec la grande centrale ouvrière qu’est la CGT mais même électoralement ( Jacques Duclos a obtenu 21,27 % des voix 3 ans plus tôt à l’élection présidentielle, contre 5,01 % au PS Gaston Defferre). Il pourrait préférer l’alliance avec le PSU à l’alliance avec le PS et d’ailleurs 3 grandes villes au moins : Le Havre, Nîmes et Reims sont gérées par cette alliance avec 3 maires communistes ; des négociations avec la direction du PSU pour une déclaration commune sont menées par Paul Laurent et Roland Leroy du bureau politique communiste, mais s’arrêtent avec la signature du programme commun. Les historiens diront peut-être un jour les motivations de la direction du PC ? En effet le PSU est une organisation plus forte que le PS sur le plan militant ; il a des liens très étroits avec la CFDT et une base ouvrière dont révélera l’imagination et l’efficacité. Mais le PC garde un très mauvais souvenir de mai 68, se méfie du PSU qu’il classe dans le camp des gauchistes irresponsables, de, Rocard trop proche de l’anticommuniste Mendés France. L’autogestion n’est pas dans sa culture. Le PC pense que sa force lui permettra de « plumer la volaille socialiste » : sans doute la pense-t-elle moins dangereuse pour lui que le PSU, la CFDT et leur autogestion !

Le PSU n’a pas été associé aux négociations Il fait une critique rigoureuse, sérieuse et sans sectarisme du programme commun dans le « PSU-documentation » d’octobre 1972. Ce texte mériterait de longues citations. Le programme commun ne contient pas « une thèse positive sur la société à construire » car PC et PS n’ont pas « une visée commune ». « L’Etat occupe à l’évidence une place centrale dans le programme commun. Il est l’instrument décisif, voire exclusif de la transition…Les travailleurs ne sont jamais considérés collectivement comme les acteurs décisifs de la transition.. Il appelle les citoyens les gouvernés, les administrés ! » (La CFDT fera d’ailleurs une critique du programme commun proche de celle du PSU).

Le manifeste du congrès de Toulouse de décembre 1972 : « Contrôler aujourd'hui pour décider demain » sera un vrai succès et sera très diffusé. La lutte exemplaire des Lip à partir de 1973 sera éminemment populaire et inquiétera le pouvoir giscardien. Et pourtant la bataille politique du programme commun qui marginalise le PSU est sans doute une raison importante de sa lente décroissance ultérieure. Lors de discussions pendant des diffusions combien de fois ne nous a t-on pas dit : « Lip c’est extraordinaire, je suis d’accord avec vos propositions mais je voterai pour le candidat susceptible d’être élu, PC ou PS ! » Dans les manifestations communes le slogan « Union, action, programme commun » écrasait tous les autres (force militante du PC). L’exigence d’union et l’espoir de victoire sont souvent plus forts que tout et même que les programmes développés, que les perspectives à court ou long terme. L’union avant les idées ! Le PSU devenait un laboratoire d’idées fort sympathique mais marginal et ce fut longtemps le cas des écologistes.

L’histoire a donné raison aux Cassandres PSU ! Pendant la campagne de la présidentielle de 1981 j’ai participé dans notre vingtième arrondissement aux réunions et actions du rassemblement baptisé Union dans les luttes avec des socialistes, des communistes et bien d’autres. Je me souviens fort bien que quelques jours avant le scrutin j’ai proposé que soit prévue, après la victoire, une réunion pour organiser le soutien à l’action de Mitterrand (le pousser quelque peu pensais-je). Proposition gentiment évacuée et nulle part en France ne fut organisée la mobilisation populaire face aux fuites de capitaux, aux campagnes scandaleuses de la droite qui pronostiquait les chars russes à Paris. Pourtant les militants de gauche connaissaient le rôle que les masses populaires avaient joué en 1936 pour le Front populaire. Le PSU avait souligné fortement que le programme commun était axé sur la délégation aux élus et aux camarades occupant l’appareil d’Etat ; « Donnez-nous le pouvoir et nous satisferons vos besoins ». Il ne parlait nullement de changer l’Etat, sa police, son armée et n’engageait pas une transition au socialisme.

Le PSU devra renoncer à devenir un élément essentiel de la gauche et s’inscrire dans de nouveaux rapports de forces : alliances diverses, Front autogestionnaire, Arc-en-ciel, comités Juquin, etc. sans parler de la participation à un gouvernement (Huguette Bouchardeau ministre de l’environnement dans le gouvernement Laurent Fabius, avec un directeur de cabinet longtemps membre de notre section du 20e arrondissement Michel Mousel et un autre membre de celle-ci Xavier Bolze chargé des relations du cabinet avec le parlement). Nous en reparlerons.

PSU
L’art et la politique : Raymond Georgein

Raymond Georgein fut un artiste peintre connu internationalement de la Chine aux Etats-Unis, membre de l’Atelier des Beaux-Arts de mai 68…et créateur de l’atelier sérigraphie de la section PSU 20e. Raymond, nouvel adhérent de notre section, amenait chaque semaine un petit rouleau des affiches tamponnées Beaux-Arts. Nous devions les coller toutes sans exception ; mais je ne regrette pas d’avoir, malgré cette consigne politique, conservé un exemplaire de chaque affiche car cela représente une précieuse fraction d’archives historiques Quand le pouvoir gaulliste ferma le dangereux pôle de contestation que constituaient les beaux-arts, Raymond entraîna quelques camarades libertaires rue Borromée au siège national du PSU et, pendant quelques mois, il continua avec eux à élaborer et à imprimer des affiches sérigraphie au dos de la célèbre affiche PSU aux foules stylisées : « Pouvoir ouvrier, pouvoir paysan, pouvoir étudiant, pouvoir au peuple » ; l’atelier fonctionna au second étage de la rue Borromée au-dessus du bureau du secrétaire national Michel Rocard.

C’est Raymond qui proposa à notre section parisienne la création d’un atelier sérigraphie local, qui l’organisa et l’anima pendant de nombreux mois. Sa gentillesse souriante, son humour délicat, son intelligence subtile, sa créativité, sa passion du travail collectif ont été fondamentaux pour la vie de l’atelier. Il savait rendre le travail participatif, joyeux et efficace. J’allais acheter le matériel, les cadres à toile de nylon, les raclettes, les pots de peinture chez Tripette et Renaud dans le Sentier. Pour le séchage des affiches fraîchement imprimées j’avais fabriqué 5 ou 6 cadres en bois bordés de pinces à linge, cadres destinés à leur suspension. Il y avait même un système de poulies et de ficelles pour hisser les cadres au plafond du pavillon de la rue Géo Chavez mis à notre disposition par un sympathisant qui attendait un acquéreur. Les premières œuvres avaient été imprimées dans l’atelier de notre camarade photographe Laurent Zundel ; Voir article « Les riches heures d’un atelier de sérigraphie »

Les premières toiles de Raymond stigmatisaient le sinistre enfermement concentrationnaire des immeubles pompidoliens de très grande hauteur qu’il connaissait bien puisqu’il habitait rue de la Py, rue pas très éloignée de ce quartier saint Blaise, qui est devenu le quartier le plus dense d’Europe.

Sa seconde période fascinée par mai 68 fut celle des collages « surréalistes » avec des peintures mixant foules de manifestants, sexes, visages, journaux. J’ai longtemps reçu des cartes de vœux de ce type fort original.

Dans une troisième période, il associa collages et sculptures à partir de morceaux de mannequins de grands magasins, peints d’une blancheur éclatante. Les hauts murs de son atelier-domicile de la rue de la Py étaient encerclés par une sarabande de ces mannequins féminins vêtus de leurs érotiques chemises nocturnes qui donnaient vie à un stock de toiles. Un repas chez lui était un voyage étonnant, avec des dialogues passionnants !

Sa dernière période a été marquée par l’influence de son amie chinoise, avec de délicates couleurs pastel derrière de fins réseaux de toiles. J’ai une belle affiche de son exposition « Retour de Chine » en mai 1994. Sur wikipedia vous verrez que quelques-unes de ses oeuvres sont encore dans les salles de ventes

Sa peinture et sa vie sont une synthèse harmonieuse de l’art, de la politique et de l’érotisme. Ce personnage hors norme a marqué profondément toute une période de la vie de notre section PSU. Il est mort en 2002.