1960-1968 ou deux fenêtres historiques

1960 : naissance du PSU, parti socialiste unifié. C’est le pari d’une unification réussie à travers la lutte commune pour la paix « avec » l’Algérie et non pas « en » Algérie comme le demandait alors le PCF (ce dernier souhaitait alors la paix, mais pas l’indépendance de l’Algérie). C’est la dernière étape d’un rassemblement entamé dès 1957 avec la création de l’UGS (union de la gauche socialiste) qui regroupe le MLP (mouvement de libération du peuple, constitué de chrétiens très à gauche et très novateurs), la Nouvelle Gauche (avec Claude Bourdet et Gilles Martinet de France Observateur), Jeune République et Action Socialiste ; la seconde étape a eu lieu en 1958 avec la création du PSA (parti socialiste autonome, formé de personnes ayant quitté le parti socialiste de Guy Mollet, que rejoindront plus tard des radicaux socialistes autour de Pierre Mendés France). En 1960, c’est Tribune du Communisme qui se regroupe avec le PSA et l’UGS. Unification donc de militants venant d’organisations fortement antagonistes à ce moment là : communistes en rupture et trotskistes, chrétiens du MLP et francs-maçons socialistes, personnalités élues ou prestigieuses comme Edouard Depreux, Gilles Savary, Daniel Mayer, Mendés-France et modestes militants de terrain associatifs et/ou syndicaux.

1960 : débat tendu pour savoir si le parti allait proposer aux appelés du contingent, mobilisés pour la guerre d’Algérie, l’insoumission (acte de désobéissance civile comportant de grands risques). La majorité du PSU refuse de prendre une telle responsabilité à la place des jeunes et le risque d’une dissolution du parti. Elle propose une action plus collective, celle des manifestations de rue non autorisées, donc souvent matraquées (place Clichy avec le seul PSU, sortie de meeting unitaire de la Mutualité, etc.). Les militants de base sont nombreux à aider les insoumis dans la structure clandestine Jeune Résistance et même parfois le FLN algérien ou à participer aux sit-in non violents du MAN. Les intellectuels PSU sont particulièrement actifs dans « France Observateur » ou « Témoignage Chrétien ». Plusieurs manifs ont lieu avant que les jeunes communistes ne poussent le PCF à y participer, en particulier à celle du métro Charonne avec les huit morts communistes ; ce drame amènera des centaines de milliers de Parisiens au gigantesque et digne enterrement.

1961 : Claude Bourdet, fondateur du PSU et conseiller de Paris, dénonce les massacres de centaines d’Algériens orchestrés par le préfet de police Maurice Papon le 17octobre.

1962 : une opération d’intox réussie contre l’OAS (issue du putsch des généraux d’extrême droite en Algérie) qui, en France, plastique un certain nombre de personnalités dont Malraux et quelques PSU. En une nuit, sur l’initiative de Marc Heurgon, secrétaire de la fédération PSU de Paris, de nombreux « commandos » couvrent les murs de « tags » GAR (groupes armés de résistance). Elle donne l’impression d’une force clandestine, puissante et bien organisée, fausse évidemment !

1962-1967 : la guerre d’Algérie est finie et le PSU va devenir le laboratoire d’idées d’une gauche divisée et en partie discréditée (Guy Mollet et les tortures en Algérie, l’expédition de Suez,etc., les communistes et l’intervention soviétique en Hongrie, le stalinisme, etc. ). De grands débats politiques se font avec le Club Jean Moulin et surtout autour de grands sociologues membres du PSU : Pierre Naville, Pierre Belleville et Serge Mallet, issus de trois familles différentes : trotskiste, chrétienne et communiste.

1962 : Serge Mallet écrit « Les paysans contre le passé », ouvrage théorique qui contribuera à la création des « Paysans travailleurs » (fondés par Bernard Lambert qui a rejoint le PSU en 1966), ancêtres de la Confédération paysanne actuelle.

1963 : Serge Mallet écrit « La nouvelle classe ouvrière » qui analyse l’apparition d’ouvriers très différents des sidérurgistes, des mineurs, etc. que sont les ouvriers de l’électronique, de l’aéronautique, de l’informatique, de la chimie, etc. et aussi les cols blancs à revenus modestes, les jeunes OS de l’industrie automobile. Les 3000 militants ouvriers du PSU appartiennent à plusieurs syndicats ; les militants PSU participent à la déconfessionnalisation de la CFTC et, par ailleurs, à des luttes dures comme celles de la Rhodiaceta qui sont les prémices de la grève générale de mai 68. Cette « Nouvelle classe ouvrière fut le fer de lance du mouvement de mai 68 » écrira Mallet en couverture de la réédition au Seuil de1969. Le débat est vif entre ce jeune marxiste iconoclaste et les marxistes traditionnels, comme Jean Poperen, qui voient là une déviation réformiste fascinée par l’Amérique.

1967 : le congrès de Paris marque la rupture entre deux blocs : la tendance qui veut œuvrer à une réconciliation des frères ennemis socialistes et communistes et va, en partie, rejoindre Mitterrand et la tendance qui veut garder une forte autonomie, approfondir la réflexion théorique, espère devenir prépondérante à gauche . Cette tendance contient à la fois les germes de la « deuxième gauche » ( Rocard), des éléments écologistes avant que le terme ne surgisse et des éléments très radicaux que l’on retrouvera dans les tendances PSU maoïstes de l’après 68 (comme Marc Heurgon) et ensuite à la GOP (gauche ouvrière et paysanne). Rocard accepte de devenir secrétaire national.

1967 : le PSU organise le colloque de Grenoble sur le Contre plan et publie « Décoloniser la province » sous l’impulsion de Pierre Mendés-France et Michel Rocard. Anticipation des lois de décentralisation que Gaston Defferre fera adopter en 1982, 15 ans plus tard !

1968 : le PSU est au cœur des événements du « joli mois de mai ».C’est logique car ses sociologues, sa « commission entreprises » et ses ESU (étudiants socialistes unifiés) ont, avant mai 68, analysé l’évolution de la société et anticipé quelque peu. Il est à la tête du puissant syndicat étudiant qu’est l’UNEF (Jacques Sauvageot etc.) ; il a des liens étroits à tous les niveaux avec la CFDT. L’entente UNEF-PSU-CFDT constitue l’élément moteur d’un rassemblement plus large et composite comportant des libertaires dont Daniel Cohn-Bendit, des trotskistes dont Alain Krivine, des maoïstes, des situationistes, des communistes en rupture de ban. Ce premier bloc sera confronté à deux autres blocs : celui constitué autour du général De Gaulle et le bloc PC-CGT. Le PSU, en phase avec cette « ébullition » de la société, retrouve alors les 15 000 adhérents de l’année de sa fondation, mais devient aussi l’un des lieux de l’affrontement politique entre plusieurs tendances que l’on peut qualifier de « deuxième gauche, social-démocrate » (autour de Rocard), - maoïste (Gauche Révolutionnaire et Gauche Ouvrière et Paysanne), – trotskiste (avec Jean-Marie Vincent).- écolo-luxembourgiste (autour de Michel Mousel qui deviendra secrétaire national en 1974 au départ de Rocard vers le PS. Ce courant se réfère beaucoup à la révolutionnaire allemande Rosa Luxembourg) .