Le paysage politique local de l’époque :

  • Le PCF est la force politique dominante à tous égards : 2000 adhérents, des militants encore imprégnés de stalinisme (qui considèrent que les murs sont leur propriété pour l’affichage et vendent l’Huma presque partout). Ils sont même dominants sur le plan électoral et arracheront entre 1973 et 1978 les deux députés du 20e (Daniel Dalbera et Lucien Villa qui sera encore député entre 1978 et 1981) Et, même en 1977, Henri Meillat qui conduisait la liste commune avec le PS serait devenu maire de l’arrondissement avec la loi actuelle.
  • Le PS est quasi inexistant, refuge de vieux notables dépassés (voir mon récit sur l’élection municipale de 1971). C’est Michel Charzat qui, envoyé en mission par le CERES de Chevènement depuis son 16e arrondissement, développe peu à peu la section PS avec une poigne digne de la panoplie stalinienne, contre les rocardiens dont Alain Riou.
  • La droite n’existe pas sur le plan militant.
  • La LCR n’a que de rares sections d’entreprise et pas de structure locale, même si le journal Rouge est vendu chaque dimanche boulevard Mortier comme LO d’ailleurs.
  • Le PSU est très nettement la seconde force politique militante et vraiment la première force écologique locale. D’après le méticuleux fichier de notre grand trésorier Roger Bournazel le nombre d’adhérentEs oscillera entre :

- 95 en décembre 1968 - 98 en décembre 1969 - 114 en décembre 1970 - 106 en décembre 1971 - 90 en décembre 1972 - 110 en décembre 1973 - 90 en décembre 1974 (7 ou 8 adhérentEs seulement auront suivi Michel Rocard au PS, quelques-uns auront décroché ou déménagé).

  • Dans toute cette période la section aura compté en moyenne : 9 ouvriers, 13 employés, 18 techniciens, 16 fonctionnaires, plus 17 membres de l’enseignement à divers postes, 13 étudiants, 2 médecins, 3 cadres supérieurs, 5 artisans ou commerçants, 3 retraités, 3 sans profession (toujours d’après les statistiques de Roger) Vous voyez que la caricature PSU = parti d’enseignants n’est pas tout à fait valable ! 1
  • Après 1974, sans chiffres indiscutables, on peut affirmer que les effectifs sont longtemps restés stables entre 80 et 90, surtout qu’en 1974 nous avons reçu le renfort d’une dizaine de militants venus de l’AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire, groupe trotskiste qui a un peu perturbée la convivialité du groupe, mais nous a apporté pour un certain temps la disposition de la vieille usine désaffectée de la rue Piat à la porte blindée).

  • Le militantisme intense paraît aujourd’hui étonnant. Tous les groupes de travail dont il est question ci-après n’ont sans doute pas existé simultanément et n’ont pas vécu pendant la même durée ; plusieurs font l’objet d’un texte spécifique. Pratiquement, chaque semaine ou chaque quinzaine se réunissent :
  • Un groupe « immigration » qui rédige tracts et brochures, travaille avec d’autres associations (voir 2 autres textes)
  • Un groupe « entreprises » qui rédige de multiples tracts locaux, très pédagogiques pour Bull informatique (2400 employés avenue Gambetta et 1000 rue d’Avron), le centre de documentation du CNRS, rue Boyer, l’hôpital Tenon, l’usine SOPELEM (optique) du Bd Davout, l’entreprise SANCAR qui fabriquait des armoires métalliques, la BNP de la place Gambetta pendant sa longue grève…(voir textes spécifiques)
  • Un groupe « sérigraphie » qui produit plus de 30 affiches de grande qualité politique et esthétique dont une quantité d’affiches « écologiques » sur le nucléaire, les transports, la ville…Je reparlerai de ce groupe et de son premier animateur, le peintre de renommée internationale Raymond Georgein ; plusieurs affiches de cet atelier sont reproduites dans des ouvrages spécialisés.
  • Un groupe « fresques et banderoles » autour du second peintre de notre section, Claude Picart. Nous réaliserons quatre gigantesques fresques d’environ 4-5 mètres sur 3 : deux fresques sur l’immigration, une sur la révolution des oeillets au Portugal et une sur le « PSU tout nu » et son histoire.
  • Un groupe « femmes » dont les hommes sont exclus, décision bien utile pour que les femmes osent toutes prendre la parole. En effet les débats des réunions plénières étaient souvent fort théoriques avec, en particulier, de longs discours de plusieurs théoriciens du « luxembourgisme » (ce « luxembourgisme » ne fait pas référence au pays mais à Rosa Luxembourg, la révolutionnaire allemande assassinée en 1919, marxiste hostile à la vision léniniste de la dictature du prolétariat. Notre camarade Alain Guillerm publiera deux livres au moins sur Rosa Luxembourg qu’il voyait en pionnière de l’autogestion
  • Un groupe « école », avec notamment des lycéens, des étudiants, une surveillante générale du lycée de Montreuil (ancienne appellation des conseillers d’éducation actuels). Il se réunissait chez notre grand trésorier Roger Bournazel.
  • Un groupe « cadre de vie », dont les quelques membres travaillent avec le CLAD (comité de liaison pour l’animation et le développement du 20e arrondissement qui a publié une soixantaine de brochures entre 1972 et 1994, sur transports, urbanisme, fêtes, etc. et se méfiait de la récupération éventuelle par le PSU) Michel Riaudel se rappelle le grand jeu de l’oie organisé devant l’église Notre Dame de la Croix, rue de Ménilmontant, pour populariser les réflexions.
  • Un groupe « santé » qui travaille avec des sympathisants dont un médecin du quartier. Il a contribué à l’édition d’une brochure sur l’IVG à l’hôpital Tenon
  • Un groupe de vendeurs du journal TS, Tribune Socialiste, le journal du parti (chaque semaine TS était vendue à 7 ou 8 stations de métro et au porte à porte le dimanche, voir le texte sur Paul Oriol ou la ténacité..) Les ventes oscillaient entre 50 et 70 car j’ai gardé nos graphiques.
  • Un bureau très efficace au niveau de l’organisation, des contacts avec les sympathisantEs ou les adhérentEs (en particulier lorsqu’ils ou elles étaient un peu démotivés). Le bureau organisa pour la section trois week-ends de formation, dont deux dans l’île des Migneaux sur la Seine, à Poissy. Nous avons eu alors comme animateurs : un des fondateurs de la revue Alternatives Economiques, Daniel Richter un des leaders de la CFDT Renault-Flins etc. . Le fait que le groupe d’une vingtaine de militants se retrouvent « ensemble » dans un cadre magnifique pendant deux journées, pour des débats approfondis grâce à leur durée, mangent ensemble, chantent ensemble le samedi soir était un atout réel pour la cohésion humaine et politique. De même la préparation des stands 20e pour les fêtes de juin à Meudon puis à la Courneuve, l’installation de clôtures autour du lieu de la fête, les tours de garde pour les guichets et la sécurité centrale des recettes, le nettoyage du terrain après les festivités sont pour toutes et tous de bons souvenirs, même si tout cela était épuisant ! Nous avons organisé un stand sur la « révolution des oeillets » au Portugal, avec vente de porto, un sur l’histoire de PSU: « le PSU tout nu », un sur les droits des immigrés et un avec un atelier de sérigraphie et vente massive de notre fameuse affiche sur la Commune de Paris. Le bureau organisait même pour faire des économies la distribution de courrier dans un certain nombre de boites à lettres, à partir d’une organisation par quartiers.
  • Une équipe pour la rédaction, le tirage et l’envoi du journal de la section (voir article suivant : « Les Pavés de La Commune »)
  • Un groupe « montage audiovisuel » qui réalisa un remarquable document : « Des pierres, des hommes, des luttes », mixage d’interviews trottoirs, de chansons engagées, de photos, de reportages sur mai 68. Il fut préparé pour les élections municipales de 1971 dont il est question dans un autre texte ; et projeté en fondu -enchaîné dans les réunions des préaux. Voir texte spécifique.
  • Une grande difficulté fut le manque d’un local pour les réunions regroupant plusieurs dizaines de personnes. Une première réunion en 1968 eut lieu dans un café de la porte de Montreuil où une vitre fut involontairement cassée. Plus tard les réunions eurent lieu chez moi rue Haxo et me causèrent des soucis avec les voisins, surtout que notre ronéo était aussi dans l’appartement ! Nous eûmes la chance de pouvoir utiliser un pavillon prêté par un sympathisant dans la campagne à Paris, et bien plus tard le local AMR rue Piat quand celle-ci fit de l’entrisme au PSU. D’où finalement l’achat par 8 personnes, en 1978, de la Teinturerie, rue de la Chine ; local qui devait accueillir et a accueilli effectivement non seulement le PSU mais aussi des associations du quartier.

PS : les groupes thématiques mobilisaient de 4 à 10 personnes chacun et nous avions une réunion plénière presque chaque semaine avec des débats très riches et théoriques (voir plus haut), mais aussi des plannings très concrets de ventes du journal, d’affichages, de séances sérigraphie, de manifs très fréquentes à l’époque, etc.. Quelle période ! Nous rêvions de changer la vie, mai 68 nous avait donné espoir, énergie, imagination.-

1 Nombre d’adhérents avant 1968 : 44 en fin1963 – 41 en fin1964 – 43 en fin 1965 – 37 en octobre1966 – 52 en fin1967 – 69 en juin 1968 – 95 en décembre 1968 chiffres de Roger Bournazel