L’entrisme pabliste
:: Par Guy Philippon, lundi 26 mars 2012 ::
En 1974 quand Michel Rocard et une partie de ses amis quittent le PSU pour le PS de Mitterrand, le PSU (Michel Mousel étant devenu secrétaire national) arrive à compenser partiellement cet affaiblissement (un millier de militants et la quasi-totalité des élus) par l’adhésion de deux groupes : le petit CIMR (Comité d’Initiatives pour un Mouvement Révolutionnaire) et l’AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire, 250 membres) dont les personnalités que je connaîtrai le mieux sont Michel Fiant et Gilbert Marquis qui sera membre de notre section.
Le regroupement avec l’AMR est assez logique puisque cette mouvance d’origine trotskiste s’est rapprochée des idées libertaires, revendique des convictions autogestionnaires, est active dans le mouvement féministe (MLAC, etc.), dans Secours Rouge, dans les entreprises et les banques
Le passé de ces militants témoigne de la proximité de leurs luttes avec celles des militants PSU :
- aide au FLN algérien dans la lutte pour son indépendance,
- aide à l’Algérie indépendante ; des cadres de l’AMR dont leur leader Pablo seront conseillers techniques auprès de Ben Bella pour organiser la mise en place d’un socialisme autogestionnaire ( ils ont fait partie de ceux qui ont été appelés pieds-rouges)
- intérêt pour l’autogestion yougoslave de Tito
- soutien à la Tricontinentale de Ben Barka
- création des CAL (Comité d’Actions Lycéens) en 1968 dont le pabliste Maurice Najman sera un leader reconnu.
Dans la fusion l’AMR apporte son local national : une vieille usine désaffectée de la rue Piat dans le vingtième arrondissement de Paris. Puisque le PSU a son local national rue Borromée, c’est le PSU du 20e qui a bénéficié peu après de ce local. Nous y avons fait des réunions et imprimé plusieurs affiches en sérigraphie.
On appelait les militants AMR « pablistes » puisque Pablo était le pseudonyme de leur leader Michel Raptis. En 1965 ils avaient rompu avec la IVe internationale trotskiste et fondé la TMRI (Tendance Marxiste Révolutionnaire Internationaliste). Pablo avait théorisé « l’entrisme sui generis » qui consiste à entrer dans les grandes organisations politiques de gauche, à y mener un militantisme déterminé pour fédérer les éléments les plus radicaux, les grouper autour d’eux et organiser une sortie collective à une occasion propre à exacerber les divergences. Lorsque les militants AMR sont venus dans notre section PSU, notre camarade Marcel Jouaneau, très intéressé par les aspects théoriques, a demandé à Gilbert Marquis s’ils avaient renoncé à cette pratique ; car la TMRI avait un local dans le quartier Réunion (celui de Marcel) et allait le garder. Gilbert Marquis a juré que c’était bien le cas. Marcel était sceptique et il avait raison.
L’intégration des « pablistes » n’a pas été facile car ils/elles voulaient un rôle dominant dans notre bureau.. Ils ont joué un rôle actif dans le soutien politique et matériel aux employés de la BNP lorsque ceux-ci ont occupé le siège le la place Gambetta et dans l’action des Comités de soldats.
Ils ont réussi au plan national et local l’opération « sortie », scission en 1977, à l’occasion d’un débat sur les questions internationales. Parmi les militants PSU partis avec eux deux militants recrutés par notre section, syndicalistes de la banque…Six mois après ces deux camarades cessaient de faire de la politique !
Donc en 1977 les « pablistes » créent les CCA (Cercles Communistes pour l’Autogestion) et en 1981 une nouvelle scission amène la recréation d’une seconde AMR (dont fera partie notre camarade Gilbert Marquis qui fera ensuite un bref passage à la LCR). Michel Fiant restera lui au CCA avant de rejoindre l’Alternative Rouge et Verte dont il sera l’un des dirigeants. Il écrira beaucoup sur l’autogestion.
Les militants de cette mouvance se retrouvent maintenant dans diverses forces de gauche ou écologistes. Ils ont été des initiateurs créatifs dans de multiples domaines, des leaders charismatiques dans certaines luttes ; mais leur influence politique a été gâchée par des comportements politiciens et le manque de patience, de sens du compromis qui les ont conduit à une « frénésie » de scissions.