• Mon cousin Pierre raconte : « Je me souviens avoir assisté dans mon adolescence à cette cérémonie : l’eau qui arrivait de l’étang dans la « pêcherie » était barrée par des grilles qui stoppaient les poissons ; certains étaient vendus sur place, d’autres mis dans des caissettes ; mon oncle chargeait des caissettes dans sa Simca p 60 pour les emmener à Guéret dans une vraie pêcherie. Lorsque l’étang était vidé on curait le fond soigneusement pour éviter l’accumulation de boues »
  • Guy qui a, lui aussi, vécu cette fête : « Imaginez ; les flots d’onde qui grondent, les cris des enfants, les baratins des marchands, les moteurs qui ronflent, les poissons qui sautent et luisent, le ballet des épuisettes, les hommes aux jambes nues dans l’eau, les arbres qui se penchent pour regarder, le soleil qui joue avec les nuages, l’herbe qui souffre. Et le soir le silence lunaire de l’étang, les nénuphars affalés. »
  • Pierre : « L’étang est situé dans une belle petite forêt. Les berges étaient bien dégagées et j’étais heureux de me promener autour de cet étang, seul ou avec une amie d’enfance. Je me souviens des voyages en carriole, le soir, avec des sacs de blé que nous emmenions au moulin. Mon oncle mettait en route la roue du moulin qui, propulsée par le courant du ruisseau, activait les mécanismes. Puis il mettait du blé sur la roue de granit inférieure et faisait descendre la roue supérieure. Je me souviens du bruit des mécanismes, de celui du blé écrasé. Je me souviens de l’odeur de la farine qui arrivait en dessous. Nous la chargions dans des sacs et les sacs dans la carriole. Je me couchais sur les sacs encore chauds. Mon oncle me recouvrait d’un paletot. Couché sur le dos, pendant le trajet de retour, je contemplais les étoiles. Quel bonheur ! Ma famille ne possédait que le moulin et la moitié de l’étang. Aujourd’hui l’autre moitié est la propriété d’un couple d’Anglais.
  • Et nous voilà tout récemment convoqués, les Anglais et moi par un fonctionnaire départemental chargé de la protection de la nature qui nous explique : « les berges de l’étang sont maintenant envahies par de grands arbres ; sur l’esplanade en pierres qui sépare l’étang de la pêcherie ; les racines plongent dans l’eau d’un côté et, du côté pêcherie, menacent de desceller les pierres ; si le talus était un peu perforé l’eau de l’étang coulerait dans le ruisseau, ce qui vous vaudrait sans doute un procès à cause des boues. En effet les boues ont depuis des décennies envahi le fond de l’étang et il ne reste plus au-dessus qu’un mètre cinquante d’eau ( Pierre interrompt pour dire que dans son enfance il y avait quatre mètres de profondeur). Ces boues ne doivent en aucun cas passer dans le ruisseau. Vous avez le choix entre deux solutions : la première consiste à reprendre l’entretien de l’étang, le vider, le curer et nettoyer les berges. Cela vous coûtera environ 30 000 euros. La seconde consiste à abandonner cet étang ; mais li faudra que vous enleviez les boues pour laisser un chenal propre au ruisseau qui le traverse ; les limons séchés ne pourraient sans doute pas être utilisés par les paysans pour fertiliser leurs champs car ils doivent être pollués par les nitrates et autres produits chimiques. »
  • Voilà le résultat de 60 années d’insouciances écologiques, du manque de sonnettes d’alarme. La société des 30 glorieuses ne s’intéressait pas à l’écologie ! Mon cousin n’est pas riche, son père, propriétaire réel de l’étang a 90 ans, les Anglais sont pauvres ! Pierre est un écologiste convaincu mais ne peut pas dépenser de telles sommes et envisage de vider l’étang, d’enlever les boues du chenal qui, au centre de l’étang, formera le lit du ruisseau, mais pas les autres. Cet étang fait partie d’un patrimoine écologique et les écologistes pourraient manifester pour sauver l’étang ; mais qui paierait ? C’est la collectivité qui profiterait de ces beautés naturelles préservées. L’étang pourrait devenir la propriété d’un collectif, voire de la commune. Mais il y a 5 ou 6 autres étangs dans cette commune. Que pensez-vous de tout cela ?
  • Conclusions de Pierre : « Retenons que cet ouvrage d'art (bief, écluse, pêcherie... ) construit par des hommes avec leurs mains et peu d'outils au 18 ème siècle va disparaître faute de conseils en amont, voire d'aides à la restauration. Ce patrimoine - privé puisque outil de travail d'un meunier - n'est aujourd'hui qu'une réalisation architecturale qui peut être assimilée à du petit patrimoine et il me semble que la collectivité devrait se soucier, dans le cadre de la conservation des ouvrages d'art, de la restauration de ces édifices. Les menaces sont inadaptées et font ressortir le fait que personne ne s'est soucié du sujet pendant des années. Certes nous sommes propriétaires mais n'en tirons aucun bénéfice et c'est l'humanité et l'histoire qui vont perdre le plus. Important, quand même, le premier danger est la pollution agricole qui s'est amassée dans l'étang.