* Sophie : Que se passe-t-il dans ton arrondissement au début de la décennie 1990 ? En particulier pour ta nouvelle organisation ?

* Guy : Tous les arrondissements de Paris sont encore dirigés par des maires de droite : RPR ou UDF. Jean Tibéri a succédé à Jacques Chirac comme maire de Paris et Didier Bariani UDF est maire de notre vingtième arrondissement. Il a un projet politique clair : continuer à vider le plus possible l’arrondissement de ses populations les plus modestes pour avoir une assise forte à droite. En particulier, il veut raser le vieux Belleville, qui, certes, comporte des taudis. Et construire une ville moderne, avec de grands ensembles, y compris des immeubles luxueux pour les classes dirigeantes. Ce sera en fait la bataille politique fondamentale de l’époque. Elle aboutira à l’échec de Bariani comme maire et nous y participerons vraiment. Ce sera d’ailleurs la seule fois de ma vie où je serai élu !

  • En réfléchissant pour toi, je constate que c’est la période où j’ai le plus milité dans des rassemblements de partis, d‘associations, de simples citoyen-nes. Au nom de l’AREV, bien entendu. Ce sont : le comité contre les expulsions de la rue de la Mare, celui contre le marchand de sommeil du West-hôtel, contre les incendies criminels, celui de soutien aux deux médecins traduits en justice par leur conseil de l’ordre, la lutte des ouvriers de Sancar, « Ensemble » et la « Coordination logement »
  • « Ensemble », il me semble, a été créé par la LCR. Il rassemblait des communistes, des libertaires, des AREV, des syndicalistes, des membres du Mrap. Mais il était hors de question d’accepter le PS ; et, même, l’adhésion de la LDH fut refusée après débat car il y avait trop de membres du PS dans sa direction locale ! Tu vois, quelque peu sectaire. Nous militions beaucoup sur le soutien aux immigrés, avons publié plusieurs numéros d’un petit journal et organisé une ou deux manifestations locales.
  • La « coordination logement » a regroupé plus largement et mobilisé entre vingt et trente personnes venues des mêmes organisations que Ensemble, mais avec plus d’associatifs, deux Verts et surtout un membre du PS qui s’intégrera facilement : Jean André Lasserre. La LCR avait voulu refuser sa présence, mais avait été mise en minorité. Je me souviens de débats fort riches, sur des aspects fondamentaux, avec des oppositions réelles.
  • Une association a joué un rôle encore plus décisif ; mais je n’en ai pas fait partie. C’est « la Bellevilleuse ». On peut dire que c’est elle qui a sauvé le vieux patrimoine de Belleville, permis que certains immeubles soient réhabilités et que soit abandonné la «ZAC (zone d’aménagement concerté) »de Bariani. Elle a réussi car elle a fédéré des architectes, des urbanistes, des photographes, des organisateurs, formé un collectif militant bien soudé et accueillant. Elle a établi un dossier remarquable, sérieux, précis. Il me faut citer un ami membre des Verts qui joua un rôle important, Jean-Pierre Samama, maintenant parti dans les Cévennes.
  • Dans Belleville, i y a la rue Bisson. Je t’ai raconté, il y a quelques temps l’expulsion des résidents noirs de cette vieille usine qui a abouti à « un commissariat qui chante l’internationale » Le foyer devait être démoli et reconstruit sur place. Le maire l’avait promis, mais ne bougeait pas malgré les pressions. Nous décidons une action originale. Tout au long des rues qui mènent de la mairie à la rue Bisson, nous peignons sur la chaussée des pas se dirigeant vers Bisson pour permettre au maire de découvrir enfin le « bon chemin » !

* Sophie : je vois bien que localement il se passe pas mal de choses. Mais au niveau parisien et national, que fait ton nouveau parti ?

* Guy : Pour représenter notre section locale, je vais régulièrement aux réunions des directions parisiennes ou nationales. J’y retrouve essentiellement de vieux camarades du PSU, dont quelques-uns sont issus de l’AMR, et avec lesquels j’ai des désaccords. Nous suivons attentivement les évolutions de rénovateurs communistes

  • Se constitue une nouvelle organisation, qui admet la double appartenance : la CAP, convention pour une alternative progressiste, où se retrouvent des communistes, des membres de la ligue communiste, de la LCR et des AREV. Je participe donc à des réunions locales et à des réunions nationales. Je n’y trouve pas grand plaisir ; en effet l’unité fragile est soumise aux méfiances de camarades au passé truffé de divergences ; mais je découvre mieux d’autres types de militants (qui ne m’enthousiasment pas). L’alliance avec les Verts est globalement rejetée car leur inscription dans la gauche semble douteuse.
  • Pourtant, pour la présidentielle de 1995, le soutien à Dominique Voynet est finalement adopté, non seulement par nous, mais aussi par la CAP. Donc nous participons à la campagne commune. Au niveau national, la coordination n’est pas facile, étant donné les préventions de part et d’autre. La campagne dans notre arrondissement sera sans histoire et je découvrirai les militants Verts, dont leurs deux leaders : Martine Billard et Denis Baupin ;
  • Une anecdote amusante : Rue de la Chine, à la Teinturerie, nous attendons Dominique Voynet qui doit faire une conférence. Je suis anxieux, me demandant si la presse viendra bien. J’agite nerveusement mes clefs dans ma poche. Dominique arrive et en guise d’accueil me dit : « réflexe masturbatoire ». Je suis étonné !
  • Dominique Voynet obtiendra 3,32 % des voix. Jacques Chirac battra finalement son rival de droite Balladur, longtemps donné favori. Va se poser très vite le problème des élections municipales et des alliances. Les Verts ont besoin à Paris d’alliances pour obtenir les 5 % qui permettent d’avoir des remboursements et aussi de fusionner avec la liste PS-PC, donc d’avoir des élus. L’AREV et la CAP acceptent ; mais les discussions vont être dures sur les places éligibles dans les arrondissements gagnables.
  • Dans notre arrondissement, les Verts souhaitent que notre groupe AREV les rejoignent ; donc Martine et Denis se battront pour que je conserve la deuxième place sur la liste commune ; notre arrondissement est susceptible de passer à gauche, comme le treizième et le dix-huitième. Je participe au nom de l’AREV aux marchandages parisiens, dans lesquels la CAP est représentée par des trotskistes qui seront particulièrement habiles et perspicaces. En effet, ils obtiendront la tête de liste dans les dixième et onzième arrondissement qui ne paraissaient pas gagnables, mais le seront. Donc ils auront deux conseillères de Paris, membres de la LCR, et de la CAP, ce qui est intéressant politiquement et aussi financièrement !
  • Ici, les deux personnages connus du PC qui y ont eu des responsabilités avant de rejoindre les Rénovateurs ont trop « bouffé de vert » pendant la campagne Voynet et ne veulent plus de cette alliance ; donc, localement, les militants CAP seront uniquement des trotskistes qui, en pratique, feront uniquement la campagne des 10e et 11e arrondissements; tout en refusant la couleur verte pour certains tracts et nous, AREV, devront arbitrer les conflits permanents entre Verts et CAP. Pénible ! Les camarades trotskistes ne règleront même pas leur part de financement à laquelle ils s’étaient engagés. Tu peux imaginer la colère des militants Verts !

* Sophie : Alors, quel est le résultat, le bilan ?

* Guy : Il faut que je te raconte les négociations avec le PS et Michel Charzat et ,en particulier, celles de la fusion pour le second tour, intéressantes !

  • Charzat avait méthodiquement préparé cette élection. Il avait découpé le 20e en 7 quartiers, qui seront ceux des conseils de quartier quand il deviendra maire. Dans chacun, une équipe de militantEs labourait le terrain, contactait les associations et les sympathisantEs. Charzat espérait bien que nous n’atteindrions pas les 5 %. Mais, prudent, il envisagea cette hypothèse et nous rencontra, Martine, Denis et moi, dans un café, pour vérifier que nos programmes n’étaient pas incompatibles. Il nous déclara que, si fusion il y avait, elle se ferait à la calculette, pour une stricte proportionnelle, en fonction des résultats obtenus par chaque liste.
  • Nous faisons une bonne campagne, sous le titre : « Paris Ecologie, Solidarité, Citoyenneté ». La liste PS, PC conduite par Michel Charzat est baptisée « Paris s’éveille »
  • Et nous obtenons 5,73 % et Charzat 40,31% Donc la fusion aura lieu. Martine Billard, tête de liste, devrait devenir conseillère de Paris. Je suis deuxième et devrais devenir adjoint au maire de l’arrondissement. Une femme de la Cap est troisième et Denis Baupin est quatrième. Nous devrions, à la proportionnelle avoir 4 éluEs.
  • Le dimanche soir, après le premier tour, les militants des trois organisations de la liste attendent les négociations à la Teinturerie. Martine, Denis et moi avons rendez-vous avec Charzat. Nous attendons longtemps, car il négocie avec le PC. Enfin le voilà avec son futur premier adjoint et il ne tergiverse pas ; il nous déclare, en substance : «Vous auriez droit à 4 éluEs ; mais vous n’en aurez que 3 ; Martine conseillère de Paris et Guy adjoint dans l’arrondissement. Si vous refusez la fusion, vous aurez du mal à expliquer votre exigence sur un seul poste, puisqu’il n’y a pas de désaccord sur la ligne politique ! » Nous sommes abasourdis et réalisons que Denis Baupin ne serait pas élu. Nous demandons une suspension de séance, accordée.
  • Je réalise que, rue de la Chine, ce sera tout de suite la bagarre, si nous téléphonons aux camarades. Les Verts n’accepteront jamais que Denis soit sacrifié au profit de quelqu’un qui n‘a rien fait dans la campagne. Ils voudront remettre en cause l’ordre établi ou refuser la fusion. Il y aura peut-être une bagarre. De plus je n’ai guère envie de me retrouver seul au milieu de faux alliés. Je propose donc que nous soumettions à Charzat le compromis suivant : nous renonçons au poste de Guy et nous avons 4 éluEs. Denis et Martine acceptent l’idée et nous la soumettons. Charzat demande une suspension à son tour et finit par accepter. Mes camarades de l’AREV seront furieux contre moi, car ce sont eux les perdants !

* Sophie ; Comment se passe le démarrage de la nouvelle équipe municipale ?

* Guy : D’abord le PC nous fait la gueule quelques temps car notre nombre d’élus est devenu trop proche du leur. Mais la première séance du conseil d’arrondissement va être l’occasion d’un petit désaccord. Et je serai le responsable de cette petite tension. La première séance est légalement présidée par le doyen d’âge. A quelques semaines près, c’est moi et pas l’élue du FN. * Charzat dit « Ouf » ; mais il trouvera une autre raison de regretter. Le jour venu, la salle des fêtes est complètement pleine, car c’est un événement historique pour la gauche. Le discours que j’ai préparé n’est pas de pure forme, gentil avec tout le monde, solennel ; il est volontairement très politique et provoque la colère du maire battu. La salle m’applaudit fortement ; mais Charzat en prenant ma place pour la suite ne me félicite pas et je sens qu’il fait la gueule. Il me dira lors du pot final qu’il aurait souhaité une transition sereine, entre gens bien élevés, du même monde, donc un discours plus traditionnel. Je te le lirai, la prochaine fois où nous nous verrons.

  • Martine Billard devient conseillère de Paris, avec les deux femmes de la CAP-LCR et un associatif du 19e qui l’empêcheront de créer un groupe écolo, alors que c’était un terme central de la campagne municipale. Elle embauche, en tant que collaborateur, notre camarade AREV Serge Rivret, comme elle en avait fait la promesse (nos camarades parisiens avaient douté qu’elle tiendrait sa promesse). Denis Baupin et moi sommes de simples conseillers d’arrondissement, sans aucun émolument. Je deviendrai coprésident du conseil de quartier Plaine et j’aurai des tas de choses à te raconter à ce propos. Denis Baupin sera délégué au transport, au plan vélo, etc.