Quarante huitième texte : Le militant face aux voleurs
:: Par Guy Philippon, mardi 18 avril 2017 ::
* Sophie : Tu m’as beaucoup parlé de tes conflits, entre guillemets, avec la police. As-tu à faire face à des voleurs, à en être victimes ? Comment as-tu réagi ?
* Guy : Bonne question provocatrice. Je vais commencer par ce qui m’est arrivé dans la « Résidence des Lilas, rue Haxo. Nous sommes un soir d’hiver, vers 18 heures. Il fait déjà presque nuit. Je vais chercher des billets à mon distributeur BNP de la place Saint Fargeau, toute proche. Dans le distributeur adjacent au mien deux ados font comme moi. Je me demande à quel âge on peut se livrer à ces opérations.
- Pour une fois, je regagne directement mon logement, sans faire d’autres courses. Je passe par l’arrière de la longue rangée des quatre escaliers. Le mien est le dernier et cela est un petit raccourci. Paresse ! J’ouvre avec ma clef. Je fais deux pas. Soudain on me bloque la bouche pour que je ne puisse pas crier « A quoi jouent ces jeunes ? » me dis-je ! On me traîne vers le coin aux poubelles et on me plaque au sol, en me disant de ne pas crier. Je ne vais pas crier pour les obliger à m’assommer. Je pense vite dans ce genre d’urgence. Ils me fouillent fébrilement, sortent mon portefeuille et s’énervent un peu.
- Je pense que d’autres locataires peuvent arriver et que feront alors mes agresseurs ? Que cherchent-ils donc ? Que vont-ils faire avant de partir, m’assommer ?
- Non ! Ils m’aspergent la figure avec ce liquide utilisé contre les agresseurs et s’enfuient. Je suis abasourdi ; les lunettes ont protégé mes yeux. Ont-ils pris mes clefs ? le portefeuille est à terre, ouvert. Je réalise qu’ils cherchaient ma carte bleue qui était dans une petite poche en haut de ma veste. Il faut faire opposition vite. Je n’ai aucun document pour le faire. Je pars chez le gardien à l’autre bout de la résidence. Nous trouvons un numéro de téléphone de la BNP et faisons opposition.
- Ouf ! j’ai encore mes clefs ! Je vais porter plainte à la police et suis agréablement accueilli. Les agresseurs ont pris les billets que je venais de retirer. Je découvrirai ensuite qu’ils ont eu le temps de retourner au distributeur et de retirer le montant qu’il est possible d’atteindre. La BNP me remboursera cette somme là !
- Je ne les avais pas entendus me suivre et je pense que ce n’était pas les ados que j’avais vu. Donc c’était une équipe organisée et les ados avaient la tâche de repérer le code de la carte bleue. Pendant un moment, j’ai surveillé les gens qui me suivaient après des retraits d’argent !
- Cela ne m’empêche pas de rester critique sur les stupidités sécuritaires. Par exemple, dans ma résidence, pour éviter les vols, en particulier dans le garage, on fait barrer le passage privé par une haute grille avec un instrument spécial pour ouvrir ou fermer et un bidule pour la porte piéton ; bidule qui est complété par un code que l’on peut taper et qui change souvent (commode pour nos amiEs !) je trouve qu’un voleur peut facilement entrer en même temps qu’une voiture et on ne lui demanderait pas ses papiers. Précaution stupide qui n’avait pas arrêté mes agresseurs !
* Sophie : On dit qu’un cambriolage est bien plus difficile à vivre qu’un vol, car les voleurs ont pénétré dans l’intimité de la victime ?
* Guy : Oui et j’ai vécu cela également dans la maison creusoise héritée de mes parents. Je me rappelle. Mes parents sont morts tous les deux, depuis octobre 1984. Une voisine a les clefs de la maison et la surveille. C’est une vieille dame, Paulette, que tout le pays adore pour sa gentillesse souriante, son intelligence. Un jour, donc, elle a du mal à ouvrir la porte à cause d’obstacles.
- Elle trouve un énorme désordre et pense d’abord à l’œuvre d’un rat. Mais vite, voyant que la pendule a disparu, elle découvre qu’il d’agit d’un cambriolage. Apeurée et se demandant si les voleurs ne sont pas encore là, cachés, elle fuit et téléphone à un artisan qui a beaucoup travaillé dans la maison. Ensemble ils alertent les gendarmes et nous.
- Je revois notre arrivée. Les tiroirs sont tous ouverts, les armoires béantes, des meubles ont disparu, comme le grand buffet de la cuisine et la pendule, des tableaux également. Des papiers jonchent le sol. La vaisselle est bien empilée sur la table de la cuisine et les couverts rassemblés dans un sac poubelle. Certains lustres, modernes, ont été arrachés. Tout a été fouillé de la cave au grenier. Je ressens une sorte d’agression physique ! C’est une sorte de tornade et nous ne savons pas où commencer un minimum de remise en ordre.
- Les gendarmes accueillent notre plainte avec compréhension et viennent faire les constats. Les empreintes prises sur les assiettes où les cambrioleurs ont pris un petit repas, pour souffler un peu, ne donneront rien. Les gendarmes analysent le début de rouille sur une scie égoïne qui a servi à couper des branches de lilas gênantes pour rentrer leur camion dans le jardin. Les gendarmes concluent que le cambriolage est relativement récent.
- Les cambrioleurs ont introduit un instrument, entre deux lames verticales d’un volet métallique situé face au jardin ; ils ont écarté ces deux plaques voisines, soulevé le crochet qui ferme le volet, cassé un carreau, ouvert la fenêtre et ouvert la porte du jardin depuis l’intérieur de la maison, pour pouvoir charger tranquillement leur camion. Ils ont même démonté la porte du couloir pour pouvoir passer le grand buffet de la cuisine.
* Sophie : Quels sentiments éprouves-tu par rapport à tes cambrioleurs ? Colère ? Haine ?Envie de les voir payer pour leur vol ?
* Guy : J’admire leur organisation, leur professionnalisme dans le choix des objets volés : les vieux cuivres, de vieux verres rustiques, de beaux tableaux, quelques assiettes décorées et les mécanicismes de trois vieilles pendules comtoises. Les gendarmes disent qu’ils ont dû satisfaire à une commande et que tout est peut-être déjà à l’étranger ! J’essaie de les imaginer à l’œuvre, de définir le rôle de chacun. Y avait-il un chef ? Un spécialiste des vieilles choses, des antiquités ? Un guetteur ? Combien étaient-ils ? Bien évidemment je souhaite leur arrestation ; mais je n’ai pas de haine. Un complice avait apparemment observé les habitudes du bourg quelques jours auparavant ?
- Il faut, pour la police, faire la liste des meubles et objets disparus. Ce long travail fait oublier le choc émotionnel. Notre assureur promet de venir dès le lundi. Mais dès son arrivée il nous fait une pénible annonce. Nous ne serons pas du tout remboursés car le vol ne fait partie des protections garanties dans le contrat ! Bizarre ? Mais le contrat a été passé par mes parents qui habitaient alors la maison, étaient persuadés qu’un cambriolage ne pouvait avoir lieu en leur présence et, en bons paysans, voulaient faire des économies. L’assureur se sentait coupable de ne pas avoir revu le contrat après leur mort. Moi aussi j’aurais dû le faire !
- Les gendarmes nous ont conseillé de faire des marques bien camouflées sur les meubles restants, de noter leur emplacement sur un cahier, ainsi que les nœuds du bois un peu incongrus. Nouveau devoir de « vacances » accompli. En effet les gendarmes nous ont raconté que, grâce à leurs enquêtes, ils avaient fini par retrouver une pendule comtoise. Mais parmi les trois personnes qui auraient pu la récupérer, aucune n’avait pu donner un détail permettant d’affirmer que la pendule était la leur et pas celle des deux autres !!
- Cette maison n’est pas celle où je suis né, pas celle de mon enfance et de mon adolescence. Mais j’ai beaucoup travaillé à son aménagement. Elle vient de la branche maternelle ; c’est l’héritage d’un oncle de ma mère, Joseph. Il était prévu qu’elle abriterait la retraite de mes parents. Rober Hennebault avait prévu les aménagements nécessaires : une cloison pour séparer la cuisine de l’escalier qui monte au premier étage ; la coupure par une sorte d’arceau de l’immense pièce du rez de chaussée qui avait été prévue comme salle de bal ; et la pose, au premier étage, d’une cloison pour isoler deux chambres. Il me semble que ces cloisons étaient posées mais tout n’était pas fini ?
- Un infarctus oblige mon père à arrêter son travail de marchand de vins en gros et je dois passer mes vacances d’été à organiser les travaux indispensables pour une bonne installation : électricité, peintures, création d’une salle de bains et d’un WC au rez de chaussée sous l’escalier. Heureusement deux personnes vont pouvoir assumer tous ces travaux, même s’ils sont plutôt peintres et/ou électriciens. Je viens chaque jour en Vespa et je décape le plafond de la cuisine où les fumées de la grande cheminée ont déposé un centimètre de suie. Problème pénible à cause de la position nécessaire et de sa durée ! Il faut également que je planifie les travaux des ouvriers, les achats, etc.
* Sophie : Tu dois avoir beaucoup de souvenirs liés à cette maison ?
* Guy : Oui, de tous ordres : travaux manuels, longs périples sur mon vélo de course, soirées culturelles organisées par un vieil ami à la fois paysan, chanteur, poète, animateur. Dès l’installation, j’ai collé, avec mon père, sur le sol de la cuisine et celui de la salle de bains des carreaux alternativement noirs et blancs que j’avais ramenés de Paris, bétonné un peu le sol de la cave trop humide ; puis le sol de la pièce attenante à la cuisine qui devint l’atelier de mon père.
- Je suis certain d’avoir passé des semaines, pendant trois ou quatre années à faire des travaux pénibles physiquement dans la cour qui sépare la maison du jardin. J’avais d’abord élaboré un projet esthétique d’allée qui serpenterait entre la maison, la grille d’entrée sur la rue adjacente, le puits et les cages à lapins. Puis vint la réalisation : creusement du sol à environ 30 cm ; concassage de pierres pour faire un soubassement solide, étalement de gravillons ; préparation de béton en mélangeant ciment, sable et eau ; pose avec mon père et organisation de dessins J’ai bien aimé apprendre à faire le mélange sable et ciment. Mon père s’occupait de commander et faire livrer sable, gravillons, etc. Nous sommes allés chercher avec sa voiture des pierres dans un de nos champs. Cela me changeait des mathématiques !
- J’ai beaucoup aimé couper du bois avec une vieille machine électrique, le bruit de la scie circulaire pénétrant dans le bois, peinant quand le morceau était gros ; la sciure qui tombe et fait un monticule, la séparation finale en deux morceaux, le plaisir du résultat final. Je faisais de belles rangées avec les bûches obtenues sous un hangar de la cour. Seules apparaissaient les sections circulaires et de couleur claire. Nous protégions ce tas de bois sous une immense toile noire en plastique, que nous soulevions l’été. Je faisais une petite réserve sous l’escalier montant à notre chambre.
- A la mort de mon père, j’ai voulu le remplacer pour le jardinage. Mais bêcher le jardin m’a paru bien trop pénible. J’ai quand même réussi à semer deux sillons de haricots verts. Mais j’ai abandonné le jardinage dès l’année suivante et je paie maintenant une entreprise pour l’entretien du jardin, devenu une grande pelouse. Nous aimons manger à l’ombre d’un grand marronnier quand le temps le permet. Un second marronnier a du être abattu et nous avons fait planter quelques arbres fruitiers, un châtaigner et deux bouleaux, un érable. Nous ramassons, en général, pas mal de groseilles et de cassis, début juillet, pour faire des confitures.
- Des amiEs viennent souvent passer quelques jours dans cette grande maison Nous visitons avec elles et eux les environs.