Cinquante deuxième texte : L’avenir possible ? Probable ?
:: Par Guy Philippon, lundi 19 juin 2017 ::
* Sophie : Nous avons beaucoup parlé sur le passé ! Ton passé politique personnel particulièrement ! Comment vois-tu l’avenir de notre planète ?
* Guy : C’est une question que je me pose beaucoup depuis quelques temps et sur laquelle j’ai de fortes convictions, partagées quelque peu par certainEs ! La base est, je crois profondément, que nous sommes dans la période d’un changement de monde, presque de civilisation, comme celle où le capitalisme est apparu avant de devenir dominant, pendant les dix neuvième et vingtième siècles. Mutation analysée alors par Karl Marx et Friedrich Engels et dans un autre domaine par Sigmund Freud.
- Je pense que le développement du numérique et des robots est aussi important que le fut la découverte de l’imprimerie par Gutenberg. Elle permit les diffusions massives et rapides de livres. Maintenant Internet permet des échanges d’informations et d’idées entre des milliers de gens situés très loin les uns des autres et de façon quasi instantanée. La vitesse triomphe ! Souviens-toi des lenteurs de la vie campagnarde, sorte de sérénité, de paix !
* Sophie : Diable ! Tu vas chercher loin ta comparaison ! Pourquoi ce rapprochement ?
* Guy : Je la cherche dans l’analyse que faisait Marx, qui reste valable. Pour lui, c’est le progrès de la science et des applications techniques qui expliquent les changements de société. Il analyse le passage d’une société moyenâgeuse, essentiellement agricole à une société industrielle. Bouleversement qui a entraîné des ruptures dans les modes de vie, dans les rapports sociaux jusque dans les religions (le protestantisme).
- Le capitalisme est permis, au départ, par la découverte de la machine à vapeur, donc des trains et de l’automobile, par les ressources du sous-sol (pétrole et charbon) et aussi le fordisme. Il entraîne une urbanisation et une nouvelle structuration des classes sociales, le colonialisme et des guerres ; le productivisme également. Sa période éclatante est celle des 30 glorieuses, entre 1945 et 1974, avec de fortes croissances et un chômage relativement faible !
- Ensuite le choc pétrolier a de lourdes conséquences ; le capitalisme devient plus financier qu’industriel. Il cherche maintenant de nouvelles formes d’exploitation ; le capitalisme vert et le capitalisme numérique (le GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazone, qui dominent le marché du numérique depuis le début du siècle actuel ; certains ajoutent Microsoft) ! Dans ces domaines le peuple a des atouts possibles. Marx disait que les classes sociales se structurent en fonction de la place dans le processus de production. Or la production devient de plus en plus liée à des machines ou au numérique. Donc les « intellectuels » qui inventent les robots, les smart phones, tablettes, etc. deviennent importants ; à quel point ?
- Regarde l’accélération de l’histoire. Il y a quatre-vingts ans, pas de télé, pas de réfrigérateur, pas de machine à laver, pas de salle de bains et pas de WC à l’intérieur des maisons, peu de voiture et souvent pas de téléphone pour une grande majorité et pas d’ordinateur bien entendu ! Dans les campagnes chaque famille ou presque mangeait les légumes et les fruits de son jardin, ses poules et ses lapins, achetait ses vêtements à des marchands de passage, voyageait peu ! Les ouvriers vivaient encore plus mal ! J’ai vécu cela. Cela durait depuis des siècles. Tout va vite, très vite !
- Quand je suis arrivé à Paris, un poinçonneur de billets m’accueillait à chaque extrémité de chaque quai de chaque métro. Un agent validait sur sa petite machine à manivelle mon ticket de bus et tirait le cordon sur la plate forme pour donner le signal du départ au conducteur. Je ne te raconte pas cela par nostalgie, mais pour que tu penses au nombre d’emplois disparus. Maintenant des machines valident mon pass navigo. La SNCF est menacée par le covoiturage organisé par Internet et aussi par les bus.Tout va vite, très vite !
- Un cousin postier me dit que la Poste n’envoie plus guère de courrier d’individus, mais essentiellement des publicités. Nous communiquons de plus en plus par courriels, y compris pour des achats. La Poste est sauvée actuellement par sa banque postale implantée partout.. Nous retirons nos billets de banque sur des appareils avec notre carte bleue, pas à un guichet. Tout va vite, très vite !
- Faut-il vraiment multiplier les exemples? A la fin du siècle, une partie de ce que nous appelons actuellement « travail » aura disparu à cause ou grâce aux progrès technologiques
* Sophie : Serais-tu donc profondément pessimiste ? Allons-nous vers un accroissement dramatique du chômage ?
* Guy : Non ! Je suis au contraire optimiste, si nous sommes intelligents et lucides à la fois. Je pense que le développement des robots et des technologies plus généralement vont permettre de remplacer énormément de travaux pénibles, fastidieux, trop répétitifs ou dangereux par l’utilisation de machines. Le travail de recherche, de créativité sera logiquement valorisé, ainsi que la formation permanente !
- De plus un certain nombre d’obligations impérieuses, incontournables, nécessaires à nos survies vont nous obliger à des choix dramatiques et porteurs d’espoirs. Je parle des changements climatiques qui peuvent faire fondre la banquise, donc submerger d’énormes territoires, provoquer des millions de départs, des guerres. Je parle des pollutions qui peuvent menacer gravement nos santés. Donc de catastrophes écologiques qui exigent une lucidité collective, à l’échelle de la terre. Je veux penser que l’humanité saura réagir avant de disparaitre!
- L’humanité commence à comprendre les avertissements des écologistes, à les écouter mais hésite à prendre les orientations qu’ils préconisent et les décisions concrètes urgentes. Car elles exigent des ruptures avec des habitudes ancrées. Un nouveau monde est en gestation et le vieux monde qui ne veut pas mourir s’accroche désespérément, brutalement parfois dans certains domaines. D’où les multiples tensions qui nous désarçonnent.
- La religion de la croissance, moteur du bonheur, du productivisme commence à être contestée. La terre a des dimensions finies, les ressources naturelles sont limitées. Une sobriété volontaire devient nécessaire et elle peut être « heureuse » comme dit le philosophe Patrick Viveret. Depuis deux décennies nous dépensons des sommes considérables pour attirer la croissance. En vain ! Alors il est temps de changer nos priorités, de préparer le monde nouveau.
- Déjà la consommation du bio se développe, l’agriculture raisonnable également, ainsi que les circuits courts. Les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, qui créent des contrats entre consommateurs et paysans) se multiplient en France depuis 20 ans ; elles sont nées au Japon. Des « jardins partagés » naissent partout, ainsi que des « écovillages » (communautés autogestionnaires et écologiques). Les bâtiments se végétalisent. Bien des jeunes expérimentent l’autoentreprenariat et ses risques. Les conducteurs Huber découvrent leur exploitation. Le travail bouge vite, très vite ! Internet permet le travail à domicile, ce qui a des aspects positifs et des aspects négatifs.
* Sophie : Dis-moi, comment rêves-tu ce monde nouveau ?
* Guy : Je souhaite que le village devienne le lieu de vie dominant. Ce qui suppose que les grandes villes soient réorganisées en une multitude de micro quartiers. Villages où tout le monde connaît tout le monde, avec un savant équilibre entre bébés, jeunes, adolescents, hommes et femmes mûrEs, vieux et très vieux. La petite taille permettra une profonde solidarité et une réelle démocratie sur l’essentiel du quotidien commun.
- Villages où beaucoup de besoins sont offerts gratuitement, beaucoup d’activités sont collectives. Machines et robots assument l’essentiel des tâches ! Les trocs de services et une monnaie locale font quasiment disparaître le rôle de l’argent, ce cancer capitaliste ! Les échanges de produits reçus d’ailleurs par le village et ceux envoyés par lui sont équilibrés sur des domaines informatiques, avec de fortes tolérances de temps. Ce qui n’est pas grave car l’argent n’est plus l’obsession du tout pour les humains !
- Donc une redéfinition du bonheur qui ne sera plus lié à la fortune, mais à la convivialité joyeuse du collectif villageois, aux fêtes diverses, aux créations artistiques, aux activités sportives. La planète aura été sauvée par un miracle qui , peut-être aura été provoqué par une catastrophe spectaculaire dont la solution exigeait des décisions drastiques et mondiales ??.
- La nourriture sera soigneusement liée à des impératifs de santé. La voiture aura laissé la place à des vélos de toutes formes ; avec un moteur pour les handicapés. Chacun, chacune sera jardinierE, pépiniériste ou agriculteur et, en même temps, expertE du web. Ses activités seront planifiées soigneusement entre, d’une part, activités produisant des nourritures ou des objets pour la collectivité, ou pour les autres villages… et, d’autre part, activités intellectuelles, créatives, activités sportives et activités démocratiques. Planifications faites par l’individu et la collectivité villageoise, en fonction des capacités, des âges, des états de santé ; facilement évolutives et vraiment acceptées par la personne concernée. Les accords sont infiniment plus faciles à obtenir entre des gens qui se voient quotidiennement et qui n’ont pas de supériorité hiérarchique !
- Dans cette organisation, il n’y a plus lieu de distinguer travail , repos ou loisir. L’heure que chaque personne passera chaque jour à discuter et décider démocratiquement pour la collectivité ou pour des cas individuels est bien entendu comptée dans le planning. Tu vois que « travail » et « chômage » deviennent des mots dépassés !
* Sophie : De telles révolutions ne sont pas pour demain ! Sont-elles vraiment possibles ? Dans combien de siècles ? Que dis-tu de la cohabitation de ces millions de villages à l’échelle d’une ancienne ville ? D’une région ? D’un état si tu en vois encore ? De la planète ?
* Guy : Vraies questions ! Difficiles questions ! Mais nos sociétés ont un besoin extraordinaire de rêver, de préparer un avenir au lieu de désespérer, de rêver à un retour impossible en arrière ! Quel contemporain de Martin Nadaud aurait pu croire à l’apparition de réfrigérateurs, de la télé, d’avions, d’ordinateurs ? Croire que l’homme pourrait aller sur la lune ? Faire changer un de ses reins ? Il vivait il y a cent cinquante ans. Tout s’accélère dans les domaines scientifiques et technologiques. On envisage même d’aller sur une planète du système solaire !
- On pourrait plutôt dire que tout va trop vite, à cause du réchauffement climatique, des pollutions difficiles à maîtriser car il n’y a pas de gouvernement mondial !
- Je ne me sens pas capable de répondre sur la coordination des villages entre eux à l’échelle mondiale, même si je crois que les nouveaux moyens de communication peuvent permettre de résoudre beaucoup de questions de démocratie. Et l’urgence aujourd’hui est bien de trouver les moyens de sauver la planète contre le réchauffement climatique
- Il y a quelque temps j’avais un peu développé mon rêve de société possible qui faisait la synthèse des aspirations écologistes, des aspirations communistes et des aspirations libertaires, sous le titre 2222 pour donner du temps au temps !