''Nous essaierons de répondre ensemble dans de prochains textes Citation de Sarkozy à Bercy le 29 avril 2007 qui propose aux Français de « . rompre réellement avec le cynisme de Mai 68…. de renouer en politique avec la morale, l’autorité, le travail, la nation ».

Il retrouve la devise : « Travail, Famille, Patrie » de Philippe Pétain en 1940 ; celle de notre république est-elle encore « Liberté, Egalité, Fraternité » ?

Comment analyser l’état des forces politiques de 68 ? Objet de ce premier texte. Mai 68 c’est :

- la plus grande grève générale de l’histoire française (9 millions de grévistes), en liaison avec un gigantesque mouvement d’étudiants et de lycéens, qui a joué le rôle de détonateur

- la décomposition de l’appareil d’état qui conduit De Gaulle à aller discuter avec l’armée du général Massu en Allemagne, à Baden Baden

- l’ébranlement des fondements de la société, en particulier de l’autorité à l’école, dans l’usine, dans la famille, en France comme dans bien d’autres pays, et l’émergence d’autres rapports sociaux

- la complexité des jeux politiques et des rapports de forces



Pour comprendre ce dernier point, il semble utile de schématiser autour de 3 blocs

Premier bloc : celui dont le général De Gaulle est le fédérateur depuis 10 ans, domination qui commence alors à se fissurer et qui volera en éclats en 1969. C’est un « rassemblement »

- de gaullistes de gauche et de résistants de la guerre de 1940,

- de conservateurs ralliés faute de mieux,

- de « modernes » dont le but est de moderniser le capitalisme français sur le modèle des Etats Unis (les gratte-ciel, le tout voiture et les autoroutes, l’agriculture intensive, etc. ; le Premier ministre Georges Pompidou en est le parfait représentant),

- de centristes chrétiens ou libéraux que fédérera Giscard d’Estaing en 69.

Ce bloc a séduit une partie des couches populaires. Il contrôle totalement et officiellement via le ministre de l’information la chaîne unique de télévision : l’ORTF. Par contre les radios sont libres ; elles se prendront au jeu du « direct » sensationnel, du reportage sur les barricades, sur les rues dépavées, les manifestations aux slogans dévastateurs, les dialogues entre autorités et « enragés ». Les transistors joueront un grand rôle dans la mobilisation des manifestants grâce à l’information incessante en direct.

Deuxième bloc : celui du PCF et des cadres de la CGT. Il ne faut pas oublier que le PC est alors incontestablement la force dominante de la gauche, sur le plan militant comme sur le plan électoral (à la présidentielle de 1969 son candidat Jacques Duclos rate de peu la seconde place avec 21,3% alors que le socialiste Gaston Deferre atteint péniblement 5,1% malgré le soutien de Pierre Mendés France dont l’aura est réelle -Rocard pour le PSU fait 3,6% -Krivine 1,1%)

L’appareil du PC est encore totalement stalinien et inféodé à l’URSS. Or, pour l’URSS, De Gaulle est précieux dans la lutte contre les USA car il a pris ses distances avec le pacte atlantique et manifeste une réelle autonomie ; les socialistes qui pourraient le remplacer ont toujours été des atlantistes dociles ! D’où le jeu ambigu du PCF qui ne peut pas saboter le puissant mouvement populaire en risquant de perdre son hégémonie dans la classe ouvrière au profit de ces « gauchistes irresponsables » : PSU, trotskistes, anarchistes (comme ce « juif allemand » de Cohn Bendit). Sa courroie de transmission cégétiste fait tout pour déplacer les grèves du plan qualitatif, idéologique, « révolutionnaire » au plan quantitatif (salaires) et « réformiste », puis pour les stopper (voir la vidéo célèbre sur la « reprise du travail aux usines Wonder »). Ce sont aussi les fameux accords de Grenelle du 27 mai que Georges Séguy, secrétaire général de la CGT va essayer de « vendre» le même jour aux ouvriers de l’usine Renault à Billancourt. Il se fait huer car les contorsions des communistes provoquent des fissures, des démissions, des esquisses de « refondation »

Troisième bloc : le bloc moteur du mouvement, très large, donc très composite : situationnistes, libertaires comme Dany, trotskistes comme Krivine, maoïstes de diverses chapelles qui ne comprendront pas au début l’importance du mouvement, communistes en rupture et le trio le plus implanté : UNEF, CFDT et PSU qui joua un rôle déterminant, fédérateur dans le passage de l’explosion étudiante à l’explosion ouvrière (à tous les échelons d’organisation, les militants UNEF ou CFDT étaient souvent membres du PSU). D’ailleurs 2 des 3 figures médiatiques de mai 68 étaient liées au PSU : Jacques Sauvageot, président de fait de l’UNEF était adhérent, Alain Gessmar, secrétaire du SNES-SUP, syndicat majoritaire des enseignants du supérieur avait été formé par le PSU et y gardait de nombreux liens bien qu’il ait rompu en 1967 pour se rapprocher de Mitterrand ; le troisième Dany était celui qui avait le plus de charisme, mais peu de troupes derrière lui avec son mouvement du 22 mars.

Les manifestations étaient préparées en commun par Krivine et Rocard au siège du PSU, négociées avec le préfet de Police Grimaud par Rocard. Sur plusieurs photos de journaux de l’époque, on voit Krivine et Rocard, bras dessus-bras dessous au premier rang des manifs. Bizarre ! bizarre ! direz-vous ? Ces documents existent. « Le service d’ordre du PSU était le plus nombreux, mais autogéré, celui de la LCR moins nombreux mais très structuré et discipliné » Les patrons de la FNAC proches des trotskistes fournissaient les casques à ces 2 SO, ainsi que l’essence qui était quasiment introuvable

Articles à venir :

1 le moment décisif sur le plan politique, qui scelle le proche échec de 68, avec Charléty. Les historiens ne parlent pas des moments où tout bascule, les acteurs non plus d’ailleurs, sauf Rocard, un peu dans « Si la gauche savait »

2 l’année 68 dans le monde

3 les acquis et pourquoi cette haine à droite ?