Septième texte : Saint Omer, la classe ouvrière Les trahisons de Guy Mollet
:: Par Guy Philippon, mardi 5 juillet 2016 ::
* Sophie : Présente-moi ces ouvriers que tu découvres !
* Guy : Nous avons tout de suite fait des réunions communes Nouvelle Gauche et MLP, et je n’ai jamais retrouvé depuis de telles véritables formations populaires. A chaque réunion les 15 ou 20 militant/e/s MLP prenaient méticuleusement des notes. La réunion suivante commençait par une sorte de contrôle de l’acquis de la précédente et le MLP disposait de multiples brochures de formation sur tous les sujets. L’atmosphère était à la fois très conviviale et très sérieuse. Je garde un souvenir extraordinaire d’une militante de ce groupe. Je te raconte :
- Madame Rose est une personnalité exceptionnelle. Elle milite à la CGT et au MLP. Mère de huit enfants, elle s’engage dans les luttes sociales et pour la paix avec l’Algérie, contre l’avis de son mari et de tous ses enfants, sauf l’aîné (le plus concerné par cette guerre honteuse), …sans parler de l’hostilité de son curé bien à droite, comme une bonne partie de cette petite ville bourgeoise, celle de « Ces dames au chapeau vert », roman connu que je n’ai pas encore lu ! La famille vit dans une sorte de hangar où il pleut parfois, tellement la toiture est vétuste. Les enfants ont, sur une mezzanine, des sortes de loges, de boîtes. La maison est au cœur d’une cité populaire, pépinière de taudis.
- Je fais du porte à porte pour la première fois de ma vie dans ces quartiers déshérités, avec Madame Rose et découvre la chaleur de la solidarité ouvrière. Nous sommes accueillis en amis. Vous pensez bien que l’action de ma camarade du MLP embarrasse la municipalité. Elle lui propose un appartement de 5 ou 6 pièces dans la cité HLM en construction. Madame Rose aurait accepté si ses voisins de la cité, aussi mal logés qu’elle, avaient eu la même proposition. Consciente du piège tendu, elle refuse d’être la seule relogée. Je n’ai pas osé alors lui demander ce que fut son accueil lorsqu’elle annonça ce refus à sa famille
* Sophie : Pourrais-tu me résumer l’essentiel du long texte sur la « conversion des chrétiens » que tu me dis avoir écrit ?
* Guy : Cette conversion vers la gauche s’étale sur un siècle ! «Le sabre et le goupillon» ont été les piliers de la royauté puis de l’empire. Jusqu’au vingtième siècle l’église catholique interdisait à ses fidèles d’être républicains !
- Les prémices de l’évolution se situent en 1891 dans l’encyclique « rerum novarum » du pape Léon XIII. Elle « condamne misère et pauvreté qui pèsent injustement sur la classe ouvrière », dénonce « les excès du capitalisme à cause de son matérialisme ». Marc Sangnier fonde en 1894 le Sillon qui veut « réconcilier les classes laborieuses avec l’Eglise et la République ».
- En 1927 naît la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) pour « voir, juger, agir, lutter contre la cassure entre conscience ouvrière et conscience chrétienne ». Seront créées ensuite la Jeunesse Agricole Chrétienne et la Jeunesse Etudiante Chrétienne. En 1941 l’archevêque de Paris, crée la Mission de France, un séminaire qui formera les prêtres ouvriers. Ceux-là partageront la vie des travailleurs de leur temps, s’engageront syndicalement (en général à la CGT). En 1954, donc en pleine période de guerre froide, le pape Pie XII, inquiété par la proximité des prêtres ouvriers avec les militants communistes, leur interdit toute activité professionnelle. Plusieurs désobéiront. Je cesse toute pratique religieuse !
- En 1942 naît le Mouvement Populaire des Familles, MPF qui rassemblera à la Libération environ 200 000 familles. Le MPF mène de fait une action politique tout en revendiquant l’apolitisme; il veut former une conscience de classe, donne une grande importance au travail de quartier, au « squattage » de logements pour les familles ayant épuisé tous les moyens légaux. Ce squattage conduira des militants à la prison. Le mouvement se prononce en faveur des nationalisations, pour la destruction du salariat, pour une « révolution totale »
- En 1950, le MPF décide de changer de nom et devient le MLP (Mouvement de Libération du Peuple). Peuple est choisi dans un long débat car ce terme est moins restrictif qu’ouvrier et symbolise « les petits, les exploités, ouvriers, ruraux, cadres, techniciens, artisans ». Le MPF est devenu parti car il a constaté que toutes ses luttes se heurtent à des blocages politiques.
* Sophie : Si je ne trompe pas, Guy Mollet est aux manettes gouvernementales et tu parlais de trahison ?
* Guy : Malheureusement oui et vite !
- 5 jours après sa nomination, en février 1956, dès son voyage à Alger ; où il reçoit des tomates jetées par les partisans de l’Algérie française (il cède en remplaçant le Ministre Résidant en Algérie, le général Catroux, par Robert Lacoste qui sera le chouchou des Pieds Noirs)
- Mars 1956 : vote des pouvoirs spéciaux qui vont permettre les tortures et les assassinats dans les fameuses « corvées de bois »
- Avril : service militaire porté à 27 mois et rappel du contingent, envoyé enAlgérie. Cela mobilise un peu l’opinion
- Mai : démission de Mendés France
- Octobre : détournement d’un avion marocain contenant 5 dirigeants du FLN algérien et leur emprisonnement ( Mollet pirate !)
- Novembre : guerre avec Israël et l’Angleterre contre l’Egypte, sous prétexte de la nationalisation du canal de Suez (ce ne peut être que l’Egypte qui est responsable de la guerre d’Algérie !) URSS et USA mettent fin à cette mascarade, ensemble pour une fois !
- Janvier 1957 : pleins pouvoirs spéciaux au général Massu pour mener par tous les moyens la terrible guerre d’Alger, car malgré les 500 000 soldats français le FLN continue à résister !
- Mai 1957 : mise en minorité à l’Assemblée nationale.
- Horrible année qui va déshonorer le socialisme pour une bonne décennie !
- Sophie : Pour nous remonter le moral ; parle-nous du lycée, de tes joies !
- Guy : Le lycée Alexandre Ribot était mixte, bien avant les lycées parisiens. Il y avait un internat de garçons et un de filles. Les profs et surtout les surveillant/es, nombreus/es étaient en majorité jeunes, autour de 30 ans, comme moi. C’est la première fois que je vis dans un monde aussi féminisé, avec autant d’occasions de rire, de manger ensemble, de faire des sorties, des baignades ensemble ! Je retrouve les visages et certains prénoms de 8 ou 9 femmes et de 2 ou 3 hommes.
- J’enseignais dans les trois terminales ; mathématiques, philosophie et sciences expérimentales, plus une première. Les élèves étaient agréables, sérieux ; Ils-elles venaient plus des campagnes environnantes que de la ville, car la bourgeoise locale utilisait beaucoup le lycée catholique Saint Bertin, sérieux.
- Je deviens l’ami d’un surveillant passionné de théâtre avec qui je découvrirai des pièces, mais il est taraudé par des problèmes psychologiques qu’il ne maîtrisera pas ! J’ai eu fort peur, un dimanche, lorsqu’il m’emmena chez son père à une allure folle! Ma chambre est un entassement, dans un espace restreint, de choses inconciliables : le lavabo, un secrétaire qui ressemble à un vieux piano, mon meuble de radio, moderne, une vieille armoire, et l’alcôve du lit.
- J’échafaude ma théorie sur la musicalité des textes poétiques, avec plus d’exigences que la rime et un rôle essentiel des voyelles. Depuis je la mets constamment en pratique, en particulier dans mes vœux de bonne année, qui, en général, plaisent. Je rêve également d’une pièce de théâtre dont le titre serait Boofffe, établissant un dialogue, un va et vient, entre la paresse d’un individu et la paresse collective d’une société qui se désintéresse des choses fondamentales (comme la guerre d’Algérie). J’aurais voulu créer une pédagogie politique ; j’avais beaucoup d’anecdotes et la volonté de mixer dialogues, chansons et cinéma. Je n’ai jamais pu ébaucher le scénario !
- Mon voisin de chambre m’a initié aux premières musiques préparant le chant grégorien, qui m’ont fasciné (organum, je crois ?) et à la musique ultramoderne. Il essayait de faire, comme compositeur, la synthèse des deux musiques ! J’ai acheté un meuble radio remarquable. Enfin j’ai pris beaucoup de plaisir avec mon scooter Vespa et à la vitesse !
- Donc, tu vois : un très bon souvenir, malgré Guy Mollet ! Et j’oublie la découverte des « ducasses », avec leurs défilés de gigantesques géants, fêtes flamandes dont la vigueur, pour ne pas dire brutalité, les distingue totalement des fêtes limousines !
- Sophie : Alors, pas du tout de mauvais souvenir pour ces deux années ?
- Guy : Mon arrivée à Saint Omer fut épouvantable et il faut que je te raconte. Pendant l’été j’ai été opéré d’une dent de sagesse, mal positionnée. Toutes les 4 heures, avec une précision étonnante, je subis des douleurs épouvantables, annoncées par le dentiste et calmées par des médicaments. La rentrée est proche et il faut rejoindre mon poste au nord de la France. Je pars avec une lourde valise pleine de bouquins ou de chaussures et deux gros sacs.
- Commence un invraisemblable périple, avec six changements de gare : Guéret, La Souterraine, Paris Austerlitz, Paris gare du Nord ; Arras, Hazebrouck et enfin Saint Omer. La fatigue due aux bagages croit à chaque étape. Les heures passent. Vers 22 h 30, enfin le terminus. Comme à Guéret, bien plus petite ville, il doit y avoir un hôtel proche ? Quelques voyageurs descendent du train et sortent plus vite que moi, fort fatigué ! Ils-elles sont attendus et partent en voiture. La gare ferme vite et éteint ses lumières. Pas question de laisser la valise en consigne. Froid, brouillard, nuit ! Je mets mon cache-nez autour de ma tête pour ménager ma dent. J’arrive péniblement à l’hôtel situé de l’autre de la place. Je tambourine ! Pas un bruit ! Je recommence. Niet ! Que faire?
- Je décide de planquer ma valise dans le petit parc, de l’autre côté d’un petit mur, et de partir avec les sacs. Je marche, je traverse le sinistre Aa, je marche seul dans la rue. Enfin voici un groupe d’Algériens sympas. Mais il n’y a plus aucune place dans leur hôtel, surpeuplé. Ils me conseillent d’aller à la police, plus loin dans la rue. Et à nouveau je marche, angoissé ! Interminable rue ! Enfin une voiture qui s’arrête ! Je cours pour ne pas rater l’occasion et leur demande « Où est le commissariat ? » Vu mon look, que pensent-ils ? «Tout près ; mais il y a, encore plus loin, un hôtel peut-être encore ouvert » Et je marche, je marche ! L’hôtel est encore ouvert et m’accueille ! J’abandonne la valise et je me couche. Le lendemain je retourne à la gare et… ma valise se voit de loin ! Mais elle est restée en place. Ouf !
- Visite du lycée qui m’indique une chambre possible. Je m’installe pour deux années. Ma proprio a un habillement fort original, avec une sacoche fixée à la ceinture.. Il faudra que je te parle de mon discours de distribution des prix au théâtre de la ville.