Cinquante troisième texte : Ma famille
:: Par Guy Philippon, lundi 8 janvier 2018 ::
* Sophie : Tu ne m’as jamais parlé de ta famille. Dis-moi un peu ?Nous allons sans doute revenir en arrière dans le temps, après avoir parlé de la fin du siècle actuel !
* Guy : Oui. Voilà ! Du côté paternel les Philippon ont vécu constament à Ajain (Creuse) pendant des siècles. Les archives les baptisent laboureurs ou éleveurs suivant leurs moyens pour le travail agricole : charrue, animaux, etc. Trois ancêtres ont été maires de la commune, pendant des décennies pour mon grand-père et mon arrière-grand-père. Tu vois que la passion politique peut se transmettre. Le grand-père était radical socialiste, en compétition pour les municipales avec le curé. Il a eu quatre garçons et aussi une fille « naturelle » avec la Victorine (tout le pays le savait et cela ne l’empêchait pas d’être élu car la chose était banale)
- Il créa un commerce de vins en gros, qu’il cédera plus tard, en 1927, à son plus jeune fils, Emile mon père. Deux autres fils : René et Henri hériteront chacun d’une ferme et un autre fils, Fernand, d’un ensemble de bois. Les fils légitimes ont eu fort peur à la mort du grand-père, qu’il ait fait en douce, des cadeaux importants à sa fille naturelle. Un fils de cette dernière m’a alors interpellé : "Pourquoi, nous, nous n’héritons pas !" L’adolescent que j’étais, fut bien embarrassé.
- J’ai fort peu connu ce grand-père, bien qu’il ait vécu à 100 mètres de ma maison. L’un des oncles Fernand appelé « Bombonne venait par contre régulièrement bavarder amicalement avec maman. Il mériterait un récit. Les petits-fils de René l’oncle le plus âgé, Michel et Pierre, venaient me voir!
- Mes parents et moi allions régulièrement à Vichy, chez mon parrain, qui m’avait choisi comme héritier, car il avait perdu son fils. Il avait vécu dans la misère, avait été aidé par ma grand-mère maternelle, était devenu ingénieur et même directeur des mines de Bozon dans le midi. Ces mines appartenaient à des Anglais qui ont dû être tués pendant la guerre de 1939 et n’ont donné aucun signe de vie après cette guerre. Je ne vais pas te raconter les énormes soucis que m’a causé l’héritage de la villa de Vichy. Ce parrain était d’ailleurs de droite, pétainiste
- Ma mère Adrienne était une paysanne, née dans une maison isolée d’un tout petit village appelé Lage dans la commune de Parsac. Nous avons une photo du mariage en 1904, à La Celle sous Gouzon, de ses parents Marie, fille du maire de cette commune, et Cyprien, agriculteur à Lage, Ma mère à moi avait dû être fort protégée par sa mère à elle. Car, lorsque, mariée à 18 ans, elle se retrouve dans le bourg d’Ajain, dans une famille fort différente, elle a du mal à s’adapter et ses parents viennent s’installer avec elle.
- Ma grand-mère s’occupa en fait plus de moi que ma maman et je lui étais très attaché. Le grand-père, gazé à la guerre de 1914, mourut assez vite. Il ne me laisse pas de souvenirs. J’ai eu une sœur, morte à trois ans d’une maladie cardiaque que l’on saurait soigner aujourd’hui.
* Sophie : Quelle était l’ambiance familiale ?
* Guy : Dans mon enfance et mon adolescence, j'ai été gâté, presque « pourri » par mes parents. Parce que j’avais une très mauvaise vue et qu’ils avaient perdu ma petite sœur. Ils faisaient presque tout à ma place, sur le plan pratique et pour les achats divers. Donc, quand je fus seul dans Paris, j’avais du mal à commander des boissons, à demander des renseignements. Chez un marchand de chaussures ou de vêtements, je n’arrivais pas à sortir sans acheter, même si rien ne me plaisait vraiment. Je suis né en 1927, à une époque où la natalité était faible et je n’avais pas à Ajain de camarades de mon âge avec qui jouer. Les élèves de l’école rentraient à pied dans le village de leurs parents paysans, situé souvent à 4 km ! Mon ami Jeannot vivait à Paris et ne venait que lors des vacances scolaires chez sa tante. C’est avec lui que j’ai fait quelques fredaines !
- Mon souvenir global est plutôt négatif au niveau de la relation inter familiale. Il y avait une rivalité entre mon père et ma grand-mère par rapport à moi, à mon affection. Mais surtout il y avait trop de tensions entre mon père et les deux femmes, sur des questions souvent liées à l’argent. Les crises se traduisaient par des bouderies prolongées pendant une semaine, par des repas totalement silencieux. Du coup, j’ai été heureux d’être interne au lycée de Guéret, avec d’autres préoccupations et une bande d’amis. Je revenais, en général, le week-end, en vélo ou dans la voiture de mon père.
- Mon père avait une forte capacité de communication, d’échanges. C’était un grand bricoleur dans plusieurs domaines ; la mécanique, car il avait été mécanicien à Paris, la menuiserie (il avait tout un atelier, il me construisit une bibliothèque et un pupitre de travail), le tissage (il réalisa, lors de sa retraite, des dizaines de grands et magnifiques tapis en laine, à partir de modèles anglais « Readicut ».qui décorent plusieurs pièces de ma maison creusoise et ma chambre de Paris) et enfin le jardinage.
- Ma mère avait une grande intelligence, une réelle finesse, mais restait à la maison, donc était un peu solitaire. Même chose quand elle se trouva à La Celle Sous Gouzon dans sa nouvelle maison. Elle y assurait tout le travail ménager et d'entretien; j’ai souvent vu maman repriser divers vêtements : après sa mort, nous avons retrouvé une chemise de nuit qui avait tellement été reprisée que l’on ne voyait plus que l’ensemble des zones réparées. Souci d’économies, mais ce travail lui fournissait une occupation manuelle qui meublait ses moments de solitude
- Elle restait des heures assise devant la fenêtre, à regarder la place du village, le vieux tilleul et la vieille église. Mais il y avait peu de circulation humaine devant sa fenêtre. Elle savait beaucoup de choses par sa voisine Paulette Pinet, sa grande amie.
- J’aimais beaucoup, moi aussi, Paulette, : une femme toujours souriante, optimiste mais lucide, très fine, aimée par toute la commune. Elle a longtemps tenu un débit de tabac et une épicerie pour les aliments de base indispensables et même un poste d’essence. C’était le lieu de rencontres. Son fils Bernard est devenu lui aussi notre ami et surveille notre maison, lors de ses nombreux voyages en Creuse ; comme le fit avant lui sa mère.
* Sophie : Tes parents sont sans doute morts ?
* Guy : Bien sûr ! J’ai d’abord vécu la maladie et la mort de ma grand-mère. J’étais interne au lycée Henri IV, lorsque j’ai appris qu’elle avait un cancer du foie. Aux vacances de Noël, je l’ai vue souffrir terriblement. Mes parents m’envoyaient, le soir, jouer au bridge chez des amis. J’ai vu le médecin de famille lui retirer du liquide de la plèvre. Souvenirs atroces ! J’ai appris sa mort au lycée Henri IV et son enterrement est le pire souvenir de ma vie. J’ai découvert le contact horrible du froid de la mort en lui faisant une bise dans son cercueil ! Je me suis effondré psychologiquement au cimetière. De retour à Paris, je me suis trouvé les mêmes symptômes, donc atteint d’un cancer du foie, que je n’avais pas.
- Mon père a eu un infarctus pendant que j’étais en Creuse. Le médecin est venu assez vite et mon père s’en est bien sorti. Mais à l’époque, ces malades ne devaient plus faire de réels efforts. Donc se posait le problème du commerce de vins en gros. Il fallait envisager la vente du commerce, donc de la maison qui lui était liée. Le frère de mon père, Henri, était en position de force, puisqu’il assurait une transition inévitable. Il proposait un prix qui paraissait un peu bas à mes parents. Il rêvait de ce commerce depuis toujours. Je dus insister pour qu’ils acceptent. Donc ce frère Henri prit le commerce en mains.
- Mes parents allaient déménager pour une maison située à 20 km construite au début du 20e siècle Elle avait besoin de travaux d’aménagement. Il a fallu que je m’en occupe, pendant mes vacances d’été. Je suis venu tous les jours, à la nouvelle maison, en Vespa. Il fallait accompagner les artisans électriciens qui étaient en même temps peintres et plombiers (ils créaient une salle de bains ). Pendant qu’ils travaillaient, je décapais les poutres de la cuisine qui étaient couvertes d’une épaisse couche de suie, suite au mauvais tirage de la cheminée.
- J’achèterai à Paris des carreaux noirs et blancs que nous collerons, mon père et moi, sur le sol de la cuisine et celui de la salle de bains. Le déménagement se fit sans moi. Mon père remplaça ses activités de commerçant par celles de jardinier. Il fut astreint à un régime alimentaire sévère par ma mère. Cette nouvelle vie dura plusieurs années sans anicroches.
- Pendant mes vacances, je fis la dalle en ciment de la cour, dont je t’ai déjà parlé…et beaucoup de vélo. Lors des vacances de Noël 1989, je reçus un coup de téléphone de maman disant que papa faisait une rechute. Retour rapide en Creuse. L’état de mon père est grave. Des voisins le portent du premier étage au rez de chaussée dans un autre lit. Le médecin est très pessimiste. Dans la nuit de Noël Il perd conscience, Une sorte de craquement indique que le cœur a cessé de battre. Je passerai sur les soucis pour l’enterrement, l’héritage, et sur le chagrin etc.
* Sophie : Et pour ta maman ?
* Guy : C’est une période fort pénible. J’étais avec Agnès et son neveu Guillaume, en 1995, à Domart en Ponthieu. Je travaillais avec Guillaume sur un scénario possible pour mon projet de pièce de théâtre sur la paresse individuelle et collective qui s’appellerait « Boffffe ». Un téléphone des voisins de maman m’informe qu’elle a été trouvée sur la descente de lit le matin et envoyée à l’hôpital de Montluçon, avec des membres paralysés. Choc ! Guillaume s’occupe de mon trajet de retour, horaire des trains, achat de billets, correspondances, etc.. J’arrive le soir et commencent des semaines très pénibles. Agnès me rejoint vite. Nous irons chaque jour, en voiture, à Montluçon. Maman a les bras et les jambes fortement paralysés et il faut l’alimenter à la cuillère. Elle supporte mal de ne plus être chez elle. Nous avons du mal à lui faire accepter de bien se nourrir.
- Et il faut trouver une maison de retraite médicalisée qui puisse l’accueillir. Donc nous prospectons. Quand Agnès repartira pour travailler en septembre, je m’installerai dans un hôtel proche de la gare de Montluçon, avec présence à l’hôpital chaque après-midi. Angoisse de la nuit sur une possible aggravation ! Angoisse de l’alimentation à l’hôpital ! Maman n’est pas seule dans sa chambre. Il y aura d’abord un coiffeur victime d’un AVC et une vieille artiste farfelue ; quand elle changera d’étage, elle sera avec une famille bruyante et méprisante pour maman.
- L’hôpital ne peut pas la garder indéfiniment et une maison de retraite d’Evaux les Bains finit par l’accepter. Nous partons en ambulance et les nombreux virages m’inquiètent pour son cœur ! On l’installe dans une grande chambre commune où sa voisine semble avoir perdu la tête. Pas de toubib pour l’accueil ! Elle demande un café. Je pars m’installer dans un hôtel d’Evaux et je reviens. Je lui parle et elle ne répond pas. Je finis par appeler. Elle vient de mourir
- Une cousine, Claude, femme de Pierre Manouvrier vient à Evaux me soutenir et m’aider dans les diverses démarches, comme le changement de commune pour le cercueil. La cérémonie religieuse aura lieu dans notre petite église, dirigée par des paroissiennes, car depuis longtemps nous n’avons plus de curé et celui de la ville voisine est débordé ! L’inhumation dans le caveau de famille sera impossible, car il ne restait plus de place ! Le cercueil dut rester sur place une nuit, avant que les fossoyeurs ne regroupent les vieux ossements ! Le chagrin m’empêcha de souffrir de ces péripéties et les formalités d’héritage sont pénibles !