LIP, l’imagination au pouvoir, ne ratez pas ce film chef d’œuvre
:: Par Guy Philippon, jeudi 5 avril 2007 ::
Cet exploit de roman et policier, et politique, et historique, et sociologique
Roman policier avec l’enchaînement de coups bas policiers et de ripostes audacieuses inventées dans la fièvre collective des Assemblées Générales. Roman policier avec le déménagement fébrile en pleine nuit du « trésor de guerre » constitué par le stock des montres, le prélèvement régulier dans les caches des montres revendues un peu partout en France par les militants du PSU ou des syndicats pour assurer la paie des ouvriers. Courses poursuites entre la police et les militants LIP. Secret encore préservé sur les caches « qui peuvent resservir ! »
Roman sociologique avec une trame de récits d’acteurs actrices de cette lutte qui fascina en France et ailleurs ; des femmes et des hommes d’une densité humaine exceptionnelle, un humour décapant qui déclenche régulièrement les rires de la salle. On ne s’ennuie pas une minute pendant 2 heures, avec l’alternance des temps d’angoisse et des explosions de bonheur comme lors de la remise de la première paie après la décision « On produit, on vend, on se paie »,en autogestion!
Roman psychologique avec des personnalités fortes : Jean le passionné et radical, « Jeannine avec sa gouaille, Roland, tout en saccades et en émotion, Raymond, synthétique et précis, Michel avec son humour, Fatima avec la justesse de ses synthèses, Charles avec son accent du Jura et sa voix posée », Claude Neuschwander le patron de gauche « avec une solennité toujours prête à se briser », qui se triture sans cesse les mains. Charles, Piaget, leader incontesté, raconte qu’une fois il s’était mis en colère et avait boudé pendant 48 heures ; au retour il découvre que les commissions tournaient sans lui et qu’il n’était pas indispensable ; petit coup à son ego vite digéré ! Jeannine ou Fatima qui racontent avoir remplacé leur minijupe par un jean avant de subir l’envahissement de l’usine par les CRS !
Roman historique avec l’irruption dans la gauche de couches chrétiennes, ici des ouvriers dont le Dominicain Raguenès, l’un des plus radicaux ; avec même l’évêque de Besançon qui apporte son soutien aux LIP en chaire. Cette irruption jouera un rôle non négligeable dans la victoire de Mitterrand en 1981. La lutte autogestionnaire des LIP inspira bien d’autres luttes comme celle des femmes de Cerisay fabriquant des chemises.
C’est aussi à la suite d’une visite à LIP que la Gauche Prolétarienne de Sartre qui aurait fort bien pu glisser vers le terrorisme comme la bande à Baader en Allemagne ou les Brigades Rouges en Italie a décidé de se dissoudre, considérant que les vrais révolutionnaires étaient ces non violents de LIP.
Roman « philosophique, éthique » autour de la notion de « vol » à propos de la mise à l’abri du stock de montres, propriétés du patron ou des ouvriers qui les ont fabriquées ? N’oubliez pas l’origine catholique de beaucoup. Il a fallu que le Dominicain Raguenès se fâche et dise « je ne vais quand même pas être obligé de vous donner l’absolution ! » Il y eut aussi un énorme débat sur la hiérarchie des salaires : dans la paie « autogestionnaire » assurée par les ouvriers eux-mêmes, devait-on distribuer la même somme à toutes et tous, ouvriers ou cadres ? Plusieurs étaient endettés, avaient des charges de famille ; l’égalitarisme risquait de casser la large unité du mouvement. On adopta un compromis. Rappelons que dans cette période la CFDT autogestionnaire préconisait des augmentations de salaires uniformes, c’est à dire la même somme pour ouvriers et cadres, tandis que la CGT exigeait des augmentations proportionnelles !
Roman politique
-avec l’autogestion, luttes autogestionnaires et projet de société
- avec les rôles de la CFDT, de la CGT, du Comité d’Action incluant des non syndiqués surtout des jeunes, radicalisés: "les fous sages à côté des sages fous"
–avec l’irruption des femmes et la rotation des tâches
– avec l’analyse concrète du passage d’un capitalisme à un autre : du capitalisme d’entreprise, de production, souvent paternaliste et coloré via les gaullistes de gauche par l’idée de participation au capitalisme financier, un libéralisme pur et dur, voire sauvage et cynique (ce qu n’exclut pas un libéralisme sociétal dans le domaine des mœurs) Politiquement dans cette période cela se traduira par la défaite du gaulliste Chaban Delmas face au libéral Giscard d’Estaing (alors soutenu par l’opportuniste Chirac) Le gaulliste Charbonnel et le patron rocardien Neuschwander racontent parfaitement cette transition entre 2 capitalismes et comment Neuschwander qui commençait à redonner un second souffle à LIP fut débarqué par le pouvoir giscardien. Giscard d’Estaing expliqua cyniquement qu’il fallait punir les LIP car leur initiative pouvait « véroler les autres entreprises»
Cela souligne combien l’idée autogestionnaire semble dangereuse pour nos adversaires