Nous sommes en 1960 à Angers. La fusion entre les composantes UGS (Union de la Gauche Socialiste) et PSA (Parti Socialiste Autonome) n’arrive pas à se concrétiser normalement. Le groupe issu de l’UGS comporte une centaine de militants actifs, en quasi-totalité ouvriers et chrétiens (originaires du Mouvement de Libération du Peuple), membres par ailleurs de la CGT. Le groupe issu du PSA ne comporte qu’une vingtaine de membres, presque tous francs-maçons. Le vote démocratique va donc conduire à l’élection du leader « chrétien » comme secrétaire du groupe unifié PSU. C’est inacceptable pour les camarades du PSA. Toutes les pressions du Bureau National en recherche d’un consensus ont échoué ! Alors cette instance décide d’envoyer sur place le secrétaire national Edouard Depreux qui a l’autorité de son statut, la jovialité naturelle et qui, de plus, est issu de la même famille PSA. Voici le dialogue :

Depreux : Robert est ouvrier, connu, membre du comité National d’Action Laïque, ce qui constitue une garantie. Que vous faut-il de plus ?

-Les PSA locaux : « As-tu regardé ses chaussettes ?

-Depreux : Non ! Qu’ont-elles donc ?

-Les PSA locaux : Eh bien ! Il n’en a pas !

-Depreux : Et alors ?

-Les PSA locaux : Il a fait un vœu. Il ira à Lourdes. Il ne peut être laïque !

Depreux devra renoncer et les PSA n’adhèreront pas au PSU à cause de ce « sans chaussettes » et des rumeurs induites !

Ce ne fut pas l’unique exemple posé par l’intégration de chrétiens.

Le même Gilles Martinet nous rappelle, ce même jour de l’interview, que le Bureau National dut polémiquer pendant deux réunions avant d’accepter l’adhésion d’un militant lillois qui avait la « tare » d’être enseignant dans un établissement privé, catholique.

Les ouvriers chrétiens du MLP auraient du logiquement adhérer au PCF, car ils luttaient au quotidien dans les entreprises avec les communistes, étaient en général membres de la CGT. Mais le PCF était alors d’un athéisme sectaire, proclamait que le « religion est l’opium du peuple » et d’autre part dans son stalinisme n’avait pas envie de voir arriver des groupes organisés, soudés par une autre église, susceptibles d’une certaine autonomie par rapport au « centralisme démocratique » en vigueur.

. Le PSU fut le premier à accueillir plusieurs prêtres ouvriers qui, bien plus tard, à cause de leur militantisme cégétiste se retrouvèrent en nombre dans le PCF, comme des cadres de l’ACO, Action Catholique Ouvrière, qui avaient auparavant fait la force de la base ouvrière du PSU. Les socialistes, comme sur bien d’autres terrains, furent en retard d‘une «messe », mais surent récupérer leur retard avec l’opération « Assises du socialisme » en 1974. Elle permit de réunir dans le PS bien des chrétiens du rocardisme et de la CFDT ; mais le mitterrandisme ne sut pas ou plutôt ne voulut pas intégrer cette « deuxième gauche » avec laquelle il y avait de fortes divergences.

Néanmoins, la victoire de Mitterrand en 1981 n’aurait certainement pas eu lieu sans le travail « missionnaire » patient, honnête, mené par les militants PSU dans des terres catholiques comme la Bretagne, et même une partie de la Vendée, sans oublier les pays protestants, comme les Cévennes où la terreur catholique laisse encore des cicatrices profondes, avec le souvenir de la guerre des Camisards (le PSU de 1960 a eu une forte implantation dans cette région et parmi les ouvriers des mines d’Alès)


  • Gilles Martinet (1916-2006), séduit en 1930 par le communisme sevient ensuitet secrétaire des étudiants communistes de Paris .
  • Il quitte le PC en 1938 après les procès de Moscou (exécution de la plupart des premiers bolcheviks de la révolution de 1917).
  • Il est résistant dès 1941et journaliste à l’Insurgé.
  • Il prend, avec un groupe de résistants FFI la direction de l’agence Havas. Il est de 1944 à 1948 le rédacteur en chef de ce qui deviendra l’AFP, Agence France Presse.
  • Il fonde en 1950 avec Claude Bourdet et Roger Stéphane l’Observateur (ancêtre du Nouvel Observateur actuel, mais bien plus radical.)
  • Il est secrétaire national de l’UGS de 1958 à 1960.et secrétaire national adjoint du PSU de 1960 à 1967.
  • Il aurait certainement succédé à Edouard Depreux comme secrétaire national en 1967 s’il n’avait pas été alors mis en minorité parmi ceux qui voulaient rejoindre la FGDS de Mitterrand. Michel Rocard milite alors sous le pseudonyme de Georges Servet parce qu’il est haut fonctionnaire ; il devient secrétaire national, comme représentant de la base qui a mis ses « ténors » en minorité ; il n’aurait sans doute pas eu le parcours que nous connaissons sans ce vote en faveur de l’autonomie politique du PSU !
  • Minoritaire, Martinet contrairement à d’autres comme Jean Poperen ne démissionne pas et restera membre du PSU jusqu’en 1972, qu’il quitte à cause des mesquineries de sa section locale et aussi parce qu’il n’est plus vraiment d’accord avec la ligne politique du PSU.
  • Membre du bureau exécutif du PS de 1973 à 1979, député européen en 1979.
  • Pierre Mauroy veut le nommer ministre en 1981 mais Mitterrand refuse car « ce gouvernement comporte trop de rocardiens » et de fait une moitié ou presque des ministres était passée par le PSU dont Bérégovoy, Hernu, Lang, Savary, Le Garrec et Rocard lui-même.
  • En 1981 Il est nommé ambassadeur à Rome parce qu’il connaît parfaitement la gauche et l’extrême gauche italienne, parle l’italien, langue de sa femme (il est le beau-père d’Alain Krivine pour l’anecdote) Il y restera jusqu’en 1984 et sera alors élevé à la dignité d’Ambassadeur de France.

C’était un grand intellectuel, un grand journaliste, un grand séducteur et un remarquable orateur.