Je n’ai vécu ni sa naissance, ni son enfance car j’étais membre de la section voisine. J’ai connu son adolescence vibrionnante en 1968 et dans les années qui ont suivi, sa maturité, son décès et son enfant l’AREV 20 (Alternative Rouge Et Verte) qui rejoindra (en totalité à l’exception d’une camarade) les Verts 20 en janvier 1998.

J’ai titré ce chapitre « Les riches heures d’une section parisienne » car ce fut une réalité pendant plusieurs années. En effet y furent alors remplies simultanément plusieurs fonctions essentielles :

  • La chaleur humaine. Les personnes viennent dans un groupe et, surtout y restent, si celui-ci leur apporte de la convivialité, de l’écoute, de l’humour, de la stabilité et s’ils ou elles y établissent quelques relations amicales. J’ai senti un acquiescement et une sorte de « soulagement à entendre exprimée cette idée» lorsque, lors d’une réunion, j’ai osé estimer que ces aspects « affectifs », individualisés étaient, dans la réalité analysée lucidement, des éléments déterminants de l’adhésion et de la fidélité à un parti, presque aussi importants que l’accord avec la ligne politique
  • L’animation intellectuelle avec Michel Mousel (futur secrétaire national), Léo Goldberg, Alain Guillerm (qui a beaucoup écrit sur Rosa Luxembourg et sur l’autogestion), des militant(e)s venus de Lutte Ouvrière ou de l’Alliance Marxiste Révolutionnaire ; animation parfois légèrement polémique dans ces derniers cas
  • La réflexion collective en petits groupes (les groupes, sortes de commissions de travail détaillés au début de ce chapitre),
  • La liaison entre le travail intellectuel d’élaboration de ces groupes et l’action concrète (par exemple : la rédaction de nombreux tracts par le groupe « entreprises », leur impression sur notre ronéo puis leur distribution ou encore la création de slogans et de dessins pour des affiches suivie du tirage manuel en sérigraphie, voir le texte précédent : « La belle époque de la sérigraphie »)
  • L’organisation, l’efficacité qui réconforte, avec Claude Picart (secrétaire de la section assez longtemps et organisateur des soirées peinture de fresques), Roger Bournazel (trésorier), Paul Oriol et, sans fausse modestie, moi-même
  • La cohésion et parfois les joyeux souvenirs apportés par des actions menées en commun ou de puissantes manifestations. Notre section était assez autonomisée par rapport au parti qui parlait de la « willaya » du vingtième !
  • Les rituels : les fêtes nationales et les stands de notre section, les week-ends de formation sur l’île des Migneaux, les réunions régulières hebdomadaires, la « reprise des cartes » en janvier

Histoires singulières

  • Les membres d'un parti ne sont pas que des militants rationnels, ils sont faits comme les autres de raison, de sentiments et quelquefois des problèmes. Comme animateur reconnu j’ai passé des heures au téléphone avec des camarades qui avaient des problèmes personnels.
  • Je me souviens du coup de téléphone d’un camarade qui, à minuit, appelait au secours parce que sa compagne menaçait de se jeter sous un métro s’il refusait de l’épouser (le mariage aura finalement lieu et se terminera mal!)
  • Deux autres amies, adhérentes pour un temps, m’ont personnellement bien perturbé. Car elles sont devenues paranoïaques et m’appelaient au secours en pleine nuit pour des dangers imaginaires.; je partais tôt le matin pour assumer mes cours de mathématiques ! Intelligentes, elles développaient des raisonnements rigoureux qu’il était difficile de démonter et elles ont parfois perturbé de petites réunions.

Mon ami clochard

Tous les vendredis ou presque, dans les années 73-74, un »ami clochard » nous retrouvait, Laurence et moi, à la sortie du métro Gambetta où nous vendions Tribune Socialiste, le journal du PSU ; nous bavardions un peu et il venait manger avec nous et souvent Jean-Pierre, chez moi rue Haxo, avant la réunion de la section qui avait alors lieu dans ma grande salle à manger (sur 2 côtés il y avait des piles du journal Le Monde reliées par des planches qui servaient de sièges ; d’autre s’asseyaient par terre ; nous étions de 30 à 40, me semble-t-il, lors de ces réunions). Il avait été libraire. Il avait une vraie culture politique, libertaire sur les bords. Il avait encore un petit logement près de la mairie, que les aides sociales lui permettaient de garder mais, pour manger ; il devait mendier dans les quartiers chics. Il en parlait sans complexe ni plaintes et racontait ses bons rapports avec les policiers. C’était plus un « clochard » qu’un « SDF actuel ». Il est venu à un week-end de formation que notre section avait organisée dans l’île des Migneaux sur la Seine à Poissy. Il intervenait modestement mais sans embarras ; il souffrait d’insuffisance respiratoire et il en est mort après un séjour à l’hôpital Tenon. Je pense que nous étions un peu des amis et il apportait sa pierre à nos discussions politiques.

Une proposition ahurissante

Nous avons eu un contact bien différent. Lors de notre réunion, ce nouveau venu propose une action de commando qui devait ridiculiser le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Nous devions aller à l’Assemblée nationale pour faire une piqûre au président et lui injecter des hormones féminines ; ainsi on lui verrait pousser de gros seins et il devrait démissionner. Nous avons mis cette « géniale » proposition dans un tiroir et n’avons pas poussé ce nouveau venu à adhérer ! Il n’est pas revenu, fort heureusement !