Stéphane Sitbon : Comment expliques-tu la décroissance du PSU et quelque part son échec final ?

Guy Philippon : On peut analyser plusieurs éléments

  • Premier élément: les affrontements violents de tendances qui découragent les militants ! Mais dans le PSU les tendances se sont toujours constituées à partir de clivages politiques et pas en clans destinés à propulser un-e leader. Ce n’est pas vrai dans tous les partis ! D’autre part le PS n’a pas été détruit par les luttes de tendances et la mouvance trotskiste n’est pas morte de ses multiples scissions et subdivisions. A contrario, le PCF qui réprimait vigoureusement l’apparition de tendances a décliné à partir de 1981, malgré sa longue hégémonie antérieure sur la gauche
  • Deuxième élément : la bipolarisation ! Dans beaucoup de pays, la vie politique s’articule entre deux forces (centre gauche et centre droit, comme parti démocrate et parti républicain aux USA-Etats-Unis ou comme en Angleterre). Les deux respectent le modèle capitaliste dominant et alternent au pouvoir. En France, depuis le Programme Commun de la gauche de 1972, et à partir du mode d’élection du président de la République, se manifeste une pression gigantesque pour aller vers ce modèle. Tout est bon pour réduire drastiquement la place des forces alternatives (qui compliquent l’échiquier politique) et aussi le travail des observateurs. La réduction du mode proportionnel pour les élections est un instrument de ce projet ! L’originalité d’un autre projet de société dérange ; il faut le marginaliser, le ridiculiser, le discréditer. Ce fut hier un réel handicap pour le PSU ; c’est un handicap aujourd’hui pour les écologistes. Cela a vraiment pesé, je pense.
  • Troisième élément : la pratique systématique du désistement républicain. Le PSU s’est toujours positionné dans la gauche. Donc, à chaque élection, il annonçait qu’au second tour il se désisterait pour le candidat de gauche le mieux placé au premier tour, y compris lorsque le désaccord était profond. Fort souvent des électeurs nous ont affirmé qu’ils ou elles étaient en accord total avec notre programme et avec notre projet de société ; mais, en même temps nous annonçaient leur intention de voter utile dès le premier tour, c’est à dire pour le ou la candidate susceptible de l’emporter, donc PS ou PC, avec parfois le désir de privilégier le moins mauvais des deux. Les Verts ont mieux affirmé leur autonomie originale, n’ont pas soutenu des candidats de gauche « détestables », cela même après la période du ni-ni d’Antoine Waechter. LCR et LO ne pratiquent presque jamais le désistement républicain mais appellent à battre la droite. Je ne suis pas certain qu’une attitude différente aurait changé fondamentalement les résultats électoraux.
  • Quatrième élément : Le manque de temps pour s’affirmer. Certains historiens pensent que le PSU a manqué de temps pour asseoir son identité, son originalité. En effet les communistes ont eu derrière eux le fil d’Ariane du modèle soviétique entre 1920 et 1990. Le PC a eu le mythe et… le financement ! Ensuite cette référence est devenue négative et peut expliquer en partie le déclin communiste. Le socialisme existe depuis 1905 et le PS peut s’adosser aux modèles sociaux démocrates scandinaves. Les radicaux socialistes sont bien aidés par la franc-maçonnerie. Le PSU n’a eu que la référence ambiguë à l’autogestion yougoslave de Tito ou au mouvement libertaire. Il a néanmoins bien failli réussir la synthèse de toutes ces traditions historiques.
  • Cinquième élément : Le pois du Programme Commun. Signé en 1972 entre le PS, le PC, le MRG, il allait aboutir à la victoire de Mitterrand en 1981, mais aussi aux ruptures ultérieures. Le programme n’avait rien d’autogestionnaire, ni d’écologiste. Donc le PSU ne l’a pas signé et s’est donc marginalisé dans cette période « union, action, programme commun ». Aurait-il du signer par réalisme tactique ou « opportunisme » ? Moi je ne regrette rien.
  • Sixième élément : Les contradictions internes : Réforme ou révolution ? L’unification en 1960, dans le PSU, d’ organisations éloignées les unes des autres a été réussie grâce à la lutte commune contre la guerre d’Algérie. Mais ce pari ambitieux n’était-il pas voué à l’échec ? On pourrait dire, en caricaturant un peu, que mai 68 et les années suivantes ont révélé le clivage caché entre « réformistes » et « révolutionnaires ». Mais le parcours ultérieur des hommes et des femmes montre combien ce clivage était simpliste. Un petit exemple pour l’illustrer: Gilles Lemaire, Alain Lipietz, Gérard Peurière étaient alors dans une tendance maoïste révolutionnaire du PSU (prônant la dictature du prolétariat) ; ils étaient en 2009 dans trois tendances différentes des Verts.
  • Septième élément : La politique financière du parti, dans une période où le financement par l’état des partis politiques n’existait pas ! Sortir chaque semaine le journal du PSU « Tribune Socialiste » était un atout politique : mais cela creusait les déficits car le nombre d’abonnés était trop faible et les recettes publicitaires nulles. Les grandes fêtes du parti à la Courneuve étaient remarquables à tous égards ; mais la dernière a été une catastrophe financière car une pluie violente a persisté pendant tout le week-end, réduit considérablement le nombre d’entrées et bousculé l’équilibre financier habituel (nous n’étions pas assurés contre les risques d’intempéries). Une imprimerie, une librairie dans le local national de la rue Borromée, plus une maison d’édition Syros, c’était ambitieux pour un parti qui n’a atteint que deux fois le chiffre de 15 000 adhérents !


Questions

  • La modestie collective ? Le PSU a souvent su faire, inventer, mais il n’a pas su « faire savoir ». Pourquoi ?
  • Laboratoire d’idées et parti aspirant au pouvoir d’état ne sont-ils pas des options difficilement compatibles ? PS et PC ne sont-ils pas actuellement des machines électorales plus que des laboratoires intellectuels ?
  • Parti de luttes et parti de pouvoir sont-ils des choix compatibles ? Le PC a longtemps tenté cette synthèse ! Peut-on avoir un pied dans les institutions et un pied dans les luttes ?
  • La structure parti est-elle dépassée ? Faut-il envisager des structures mouvementistes, des réseaux entre clubs théoriques, associations, syndicats ? Le PSU avait ébauché cette synthèse. Comment les questions de prise du pouvoir, de démocratie et d’efficacité dans ces réseaux multiformes seraient-elles assurées sans une structure globale, transversale, du type parti ? .