• Pour moi la qualité dominante de Rocard est son intelligence exceptionnelle, sa capacité d’analyse ultrarapide. Quand je l’ai connu en 1961 ses interventions étaient tellement denses, les idées se bousculaient tellement vite, avec la rapidité d’une mitrailleuse, qu’il était fort difficile de suivre sa cadence pour comprendre. Il a peu à peu appris à parler moins vite ! Cette capacité à décortiquer les multiples aspects d’une question a été, à mon avis, pour lui, un atout et une faiblesse. En effet, après l’analyse approfondie il faut bien hiérarchiser les priorités pour décider. Et Michel Rocard a eu parfois des difficultés dans la prise de décision.
  • Il s’était entouré de plusieurs cercles de conseillers : le cercle des militants politiques proches (j’en ai fait partie un peu), le cercle des associatifs sympathisants (surtout des syndicalistes, en particulier de la CFDT), le cercle des communicants (politologues ou journalistes) et les options étaient parfois divergentes entre ces cercles. Rocard n’a pas toujours fait « le bon choix » entre ces cercles d’amis. Entre 1961 et 1968 le tandem « baroque » Heurgon-Rocard a été particulièrement efficace car les deux hommes étaient très complémentaires, les faiblesses de l’un correspondant aux qualités de l’autre. C’est ce tandem qui, sous la houlette des figures emblématiques d’Edouard Depreux et Gilles Martinet, a fait la force du courant majoritaire entre 1962, fin de la guerre d’Algérie et 1967-1968.
  • Voici les quelques actions de Rocard que je retiens comme preuves de sa lucidité et de son courage :
  • 1957– Dans son rapport « le drame algérien » il écrit « l’égalité des devoirs existait (notamment l’impôt du sang) mais pas l’égalité des droits…mentalité proche de la ségrégation raciale ». Ce rapport lui fait perdre son poste de secrétaire national des étudiants socialistes et Michel Debré tentera de révoquer ce haut fonctionnaire !
  • 1958 – Refusant de cautionner la scandaleuse politique algérienne de Guy Mollet (tortures, etc.) il quitte avec Depreux, Savary et d’autres sa « vieille maison socialiste » et contribue à fonder le PSA puis le PSU.
  • 1967 – Il fait partie de la majorité qui refuse une dissolution du PSU dans la mouvance mitterrandienne et assume un pari fort risqué. En effet, devenu secrétaire national du PSU, il abandonne la couverture que représentait pour ce haut fonctionnaire le pseudonyme Georges Servet ; il perd une part importante de son traitement et il a déjà 2 enfants. Son avenir politique est loin d’être assuré. Il ne pouvait pas prévoir les événements qui vont le mettre en vedette.
  • 1968 – Il défile avec les « enragés de mai » et plusieurs fois bras dessus bras dessous avec Alain Krivine (les « unes » de notre journal TS en témoignent). Il soutient lors de leur dissolution les JCR de Krivine. Il essaie de trouver une issue politique au mouvement avec Pierre Mendés France qui refuse.
  • 1973 – Le siège national du PSU est la plaque tournante de la vente des montres du trésor caché des travailleurs de Lip et Rocard écrit une postface remarquable du livre Lip de Charles Piaget. C’est l’époque où il croit à l’autogestion socialiste.
  • 1988 – Nommé Premier ministre par François Mitterrand (après la réélection de celui-ci comme président de la République) Rocard réussit, à la surprise générale, à sortir par le haut de l’impasse que venait de provoquer le massacre de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie. Les trois années de son action gouvernementale sont marquées par l’instauration de la CSG, premier impôt qui frappe non seulement le travail mais aussi le capital et par celle du Revenu Minimal d’Insertion
  • Je ne l’ai pas suivi au Parti Socialiste et je regrette ses positions actuelles que je trouve en rupture avec ce qu’il a porté dans le PSU mais je respecte sa profonde honnêteté et d’ailleurs personne ne l’a jamais attaqué sur ce terrain. Lors de la fête célébrant le 50e anniversaire de la naissance du PSU Il a stupéfait la nombreuse assistance par sa longue, riche, passionnante analyse marxiste. Les ex PSU qui sont maintenant au Front de Gauche ou NPA ont écouté « religieusement » sans broncher ! Cela prouve que ce qui unit les personnes passées par le PSU est plus fort que les péripéties individuelles et les trajectoires divergentes !