• Seconde séquence historique importante dans laquelle il joue un rôle clef : 22 avril 1961, moment où les 4 généraux félons font à Alger un putsch contre de Gaulle et où le Premier ministre Michel Debré redoute l’arrivée de parachutistes factieux sur l’aéroport d’Orly. Comme Savary est un résistant de la première heure, Compagnon de la Libération, c’est lui que le PSU délègue pour prendre contact avec le gouvernement et proposer l’aide du PSU contre les parachutistes ; le gouvernement promet de donner des armes au PSU !!; nous sommes plus d’une centaine, rassemblés rue de Solférino au siège de la FEN, attendant ces armes ; on nous annonce que désormais nous ne sommes plus en organisation démocratique mais en structure militaire sous les ordres de Savary. Nous sommes partagés en 2 groupes : ceux qui ont eu une formation militaire et ceux qui n’en ont pas eu (je me demande à quoi je pourrai bien servir avec ma vue fort basse). Les parachutistes ne viendront pas et les armes non plus car le PSU était quand même dans l’opposition. Ce sont les appelés du contingent qui en Algérie restent républicains et font échouer le putsch.
  • Savary, animateur du courant le plus modéré lors du débat sur l’insoumission, sera déstabilisé par l’alliance de plusieurs de ses camarades PSA avec Marc Heurgon et Gilles Martinet de l’ex UGS et prendra ses distances peu à peu. Il reviendra dans sa « vieille maison » et sera même Premier Secrétaire du nouveau Parti Socialiste à Issy les Moulineaux en juillet 1969 qui remplacera la SFIO déshonorée par Guy Mollet. Il est renversé en juin 1971 par François Mitterrand qui le bat au congrès d’Epinay sur Seine. Il est nommé ministre de l’Education nationale en 1981 quand Mitterrand devient président de la république. Il est chargé de « mettre fin à la distinction entre l’école privée (dite « école libre ») et l’école publique » donc créer un service unique de l’enseignement. Il trouve un compromis avec les représentants des églises. Mais le texte radicalisé par les députés laïcs lors du débat à l’Assemblée nationale provoque la rupture et en juin 1984 une manifestation rassemble un million de personnes pour défendre l’école privée. Mitterrand doit reculer et remplace Savary par Chevènement qui,pour calmer le jeu, fera de bien plus fortes concessions à l’école privée. Dès son arrivée en juillet 1981, Savary crée les ZEP (Zones d’Education Prioritaire) qui donnent des moyens supplémentaires pour les quartiers défavorisés. En 1982 il organise l’enseignement des langues et cultures régionales de l’école maternelle à l’université.
  • Mais la troisième intervention de Savary dans mon vécu militant (au lycée Chaptal de Paris) se situe en décembre 1983 lors de la remise au ministre du rapport Legrand « pour une réforme du collège unique et pour un collège démocratique » Le rapport prévoit : une adaptation progressive à la diversité des publics et des situations locales, avec une certaine autonomie de pouvoirs et de responsabilités pour les établissements, sur la base du volontariat de ceux-ci – la mise en place de groupes de travail comportant des élèves de même niveau à côté d’autres groupes d’élèves de niveaux hétérogènes, dans les classes de 6e et de 5e – le travail en équipes pédagogiques et pluridisciplinaires - la mise en place du tutorat pour aider les élèves dans leur travail et leur vie scolaire – la redéfinition du service des enseignants avec 16 h d’enseignement, 3 h de concertation en équipes pédagogiques, 3 h de tutorat (aussi bien pour les certifiés que pour les agrégés). Dans un premier temps les syndicats sont tentés par l’expérience ; mais très vite une colère venue du c^té de FO ,je pense, soulève une bonne partie du corps professoral et les syndicats, à l’exception du SGEN-CFDT, collent à leur base, renonçant à toute démarche pédagogiquement constructive. Je suis alors sidéré par le changement d’attitude de mes collègues qui savent que je suis favorable à la réforme. Honnêtement j’ai des rapports très cordiaux, voire amicaux avec la quasi-totalité d’entre eux. Or quand j’arrive dans notre salle de travail les conversations sur le rapport Legrand s’arrêtent brusquement ; refus de tout dialogue ! Un jour je comprends enfin l’origine de la colère contre le ministre Savary car une enseignante nouvelle qui ne me connaît pas encore parle : « J’ai passé l’agrégation pour enseigner les lettres pas pour devenir assistance sociale ! On va bientôt nous obliger à rester toute la journée au lycée comme en Angleterre ou en Allemagne. Nous n’avons pas de bureau personnel pour accueillir les élèves en difficulté ». Donc :
  • Impression de perdre sa qualité d’intellectuel, d’être dévalorisé. On retrouve le débat sur la question de l’identité !
  • Peur de perdre la liberté de travailler chez soi, en dehors des 15 ou 18 h de service hebdomadaire face aux élèves.
  • Refus plus ou moins conscient du travail en équipe, de voir des collègues intervenir dans le travail autonome de chacun, et le juger peut-être.
  • Refus de voir codifié par un règlement ce que l’on fait comme on veut et quand on veut (pourtant beaucoup des professeurs de Chaptal faisaient du tutorat avec les élèves en difficulté et avec les parents).
  • Savary cédera sur la redéfinition du service des enseignants et sur le choix du tuteur par les élèves eux-mêmes. Les volontaires ne seront pas légion.

Je prendrai ma retraite de professeur en 1990, triste de voir un corps professoral moins syndiqué, moins politisé, moins à gauche. Mai 68 était bien oublié ! Alain Savary est ; pour moi, le meilleur des ministres de l’Education nationale que j’ai connus !